À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Diane-Gabrielle Tremblay, « Trade unions and work-life rights : the challenge of work-life interface in a union environment », publié en 2016 dans Employee Responsibilities and Rights Journal, vol. 28, n° 3.

  • Faits saillants

  • Travail de soir et de week-end, vacances écourtées, longs déplacements : la conciliation famille-travail est difficile au sein des centrales syndicales.
  • La culture des organisations syndicales, tournée vers la performance et la défense de leurs membres, nuit à l’équilibre entre la vie familiale et professionnelle de leur personnel.
  • La pression des pairs encouragée par la culture organisationnelle syndicale contribue à l’absence d’une conciliation saine entre la famille et le travail.

Les personnes qui travaillent dans les centrales syndicales : des passionnées qui à force de défendre les autres peuvent finir par se perdre elles-mêmes. Cette dévotion – parfois effrénée – se reflète dans la conciliation famille-travail. Il semblerait que celles et ceux qui négocient des conditions favorables à l’équilibre entre emploi et famille soient des cordonniers bien mal chaussés !

Spécialiste en matière de conciliation famille-travail et professeure à l’École des sciences de l’administration de la TELUQ, Diane-Gabrielle Tremblay s’entretient avec 16 personnes employées d’une centrale syndicale considérée comme parmi les plus progressistes. Son objectif ? Comprendre à quels enjeux elles font face en matière de conciliation famille-travail. Son constat : à force d’aider les autres, on finit par s’oublier. 

Du dévouement jusqu’à l’épuisement ?

La pression est grande sur les épaules des personnes qui travaillent dans les centrales syndicales. On s’attend à ce qu’elles répondent Présentes ! à chaque urgence, rien de moins.

« J’ai moins de difficultés de « dealer » avec les avocats des employeurs [en matière de conciliation famille-travail]. C’est plus facile de dire à eux qu’à mes propres collègues ou à mon employeur : « Je suis désolé, c’est la semaine de relâche et je prends une semaine de vacances pour skier avec mes enfants. » C’est plus dur à dire à mes collègues au sein du syndicat. » – Un conseiller syndical, père de trois enfants

Plusieurs personnes vantent la flexibilité de leur emploi du temps comme employé d’un syndicat, mais à quel prix ? Celle-ci a un coût et pas n’importe lequel : une frontière on ne peut plus floue entre leur vie familiale et professionnelle. Le travail de soir et de week-end est monnaie courante, et les vacances n’ont de vacances que le nom, puisque les collègues s’attendent à une réponse, même en congé. Cette disponibilité exacerbée vaut-elle vraiment les quelques heures gagnées ici et là, qui offrent – par exemple – la possibilité de rester une journée en télétravail avec un enfant malade ? 

Être disponible en permanence : source de tension pour le personnel, mais aussi pour la famille. C’est particulièrement vrai si le partenaire de vie ne partage pas les mêmes valeurs de dévouement professionnel. Certaines personnes racontent avoir vécu des épisodes d’épuisement professionnel, de conflits familiaux, voire de séparations.

« Je devais prendre soin de mon père… J’ai pris mes semaines de vacances. […] C’était intense pour moi, mais aussi pour mon conjoint qui a dû prendre en charge tout le travail pour la famille de deux garçons pour tout le week-end. J’essayais d’être à la maison, au travail et aussi d’être avec mon père en même temps. » – Une employée de bureau d’une centrale syndicale, mère de trois enfants

Responsables la plupart du temps de la charge mentale familiale, mères et parents seuls sont particulièrement affectés : en plus de devoir être au top dans leur travail, ils se font un devoir de « performer » dans leur sphère familiale/privée. En conséquence ? Culpabilité et épuisement ne sont jamais bien loin…

Défendre le bien commun : une vocation aveuglante ?

Le preux chevalier, à la défense du salariat, en guerre contre les injustices, ça vous dit quelque chose ? Le personnel des centrales syndicales ne se prend pas pour Lancelot, mais plusieurs sont tout de même de grands militants de causes sociales. Dire que cet engagement interfère avec leurs obligations familiales est un euphémisme.

« C’est un travail de passion et c’est pourquoi c’est souvent difficile de concilier travail et famille. La difficulté que j’ai eue avec mon ex-femme est qu’elle ne comprenait pas comment je pouvais aller à une manifestation le week-end après avoir passé toute la semaine à travailler avec des membres du syndicat, répondant aux coups de fil, travaillant comme un fou. » – Un conseiller syndical, père de quatre enfants

Cette passion qui anime les troupes leur donne un sentiment d’accomplissement et une appartenance envers leur employeur très appréciés et valorisants. Pour cette raison, les inconvénients sont donc plus faciles à avaler, voire à minimiser. Déni ou loyauté ? Une chose est sûre : le personnel trouve difficile de critiquer l’employeur, et ne prend pas la pleine mesure des conséquences de la surcharge de travail sur la santé mentale.

Corps et âme à l’ouvrage… mais aussi bien-être et qualité de vie

Cette culture du dévouement et de la performance influence immanquablement l’attitude du personnel envers les membres de leur équipe. Chez le syndicat visité, la culture organisationnelle est très forte et imposée à tous : si l’agenda d’un ou d’une collègue n’est pas assez rempli, les autres ne se gênent pas pour le lui faire remarquer. Une tendance si ancrée dans les pratiques que les parents qui font leurs heures normales ou qui prennent un congé peuvent s’attendre à se faire regarder de travers ou à subir des moqueries.

La pression par les pairs est bien réelle et les conséquences, immanquables. Mais ce portrait peu réjouissant connait tout de même quelques changements. Ce qui est in ? L’équilibre. Ce qui est out ? La glorification du bourreau de travailPeu à peu, de nouvelles pratiques plus enclines à favoriser la balance entre la vie familiale et professionnelle trouvent leur juste place.

COVID-19 : une année pour réfléchir ?

La pandémie de la COVID-19 a frappé de plein fouet le milieu de l’emploi, et les centrales syndicales n’ont pas été épargnées. À l’heure des négociations dans le secteur public, du télétravail et des mises à pied, les équipes des centrales ont probablement été très sollicitées pendant cet épisode. Comment cela affectera-t-il le travail au sein des centrales ? Sont-elles à l’aube d’un changement significatif, ou sous le joug d’une tâche à accomplir, toujours plus grande ? Une chose est certaine : tous et toutes s’attendent à des changements dans les pratiques au travail.