À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Françoise Romaine Ouellette « Choisir un nom de famille: un choix multiple et un véritable casse-tête », publiée en 2013 dans Jézéquel, M. et F.-R. Ouellette (eds.) Les transmissions familiales aujourd’hui: de quoi vont hériter nos enfants?, Montréal: Fides.

  • Faits saillants

  • Depuis la modification du Code Civil en 1981 au Québec et même si la transmission du nom du père est la plus courante, les pratiques de nomination ont changées.
  • Dans les noms composés, près de 3 fois sur quatre, le nom de la mère est placé avant le nom du père. Les mères jouent aussi davantage sur le choix de prénom de leur enfant.
  • En regard de cette liberté dans la nomination, le «nom de famille» ne porte plus très bien son nom. Il devient de plus en plus souvent «un nom personnel qui, même s'il est hérité, singularise celui qui le porte».

Le nom du père? De la mère? Des deux? Tous les nouveaux parents se posent la question. Depuis la réforme du Code civil, en 1981, ils peuvent transmettre à leur enfant le nom de famille de leur choix. Pourtant, malgré une certaine évolution des pratiques de nomination, la transmission du nom du père demeure en tête de liste de la majorité des Québécois.

C’est du moins ce que note la chercheure Françoise-Romaine Ouellette, qui retrace les pratiques récentes relatives au choix du nom de famille des enfants au Québec à travers les résultats d’une demi-douzaine d’études sur la nomination 

Une idée : des lignées maternelles et paternelles

Donner le nom de la mère? Un nom composé? Et ainsi placer le nom du père sur le même pied d’égalité que celui de la mère? À l’époque, la mesure a soulevé de nombreuses objections, voire en a choqué certains. Les détracteurs y voyaient un risque d’affaiblissement de la cohésion familiale et une complexification administrative, notamment pour la recherche généalogique. Pour plusieurs, la transmission du patronyme a valeur de symbole et affirme le statut du père (alors que l’accouchement confirme de facto le lien filial des mères).

Quelques propositions alternatives avaient alors été soumises, dont la transmission automatique du nom de la mère aux filles et du nom du père aux fils, créant des lignées maternelles et des lignées paternelles. La transmission systématique des deux noms, avec celui de la mère en premier pour les filles et celui du père en premier pour les garçons, avait également été évoquée. Pour la génération suivante, seule la première partie du nom serait transmise, créant donc aussi des lignées maternelles et des lignées paternelles.

Enjeu politique ou privé? 

Le législateur a cependant préféré ne pas imposer de règles de transmission automatique, laissant les parents décider du nom de leur enfant. Ce faisant, il transfère ainsi « l’enjeu politique de la reconnaissance de l’égalité des femmes face à la nomination des enfants » à la sphère privée, à une « négociation au sein du couple parental » Cette négociation se mène sur le terrain des rapports de force, des émotions et des valeurs qui caractérisent la relation conjugale, aujourd’hui et dans le futur. L‘enfant, devenu parent, devra lui aussi reprendre cette négociation avec son conjoint, et décider de transmettre son nom intégralement, de manière décomposée (s’il porte un nom composé) ou l’abandonner. Selon l’auteure, cette façon de faire ouvre la porte aux conflits conjugaux et familiaux. 

Le nom de la mère, pas très populaire

Bien que la loi ait été adoptée il y a plus de 30 ans, seulement 30 % des enfants ont reçu le nom de leur mère, seul ou combiné avec celui du père (1992). Et la formule accuse un déclin depuis plusieurs années ; de plus en plus d’enfants reçoivent uniquement le nom de leur père.

Même lorsque le nom de la mère est utilisé, il occupe souvent un statut de moindre importance. Dans près de 3 noms composés sur 4, le nom de la mère est placé devant le nom du père; il est donc souvent associé au middle name américain. Certains enfants remplacent d’ailleurs le premier segment de leur nom par une simple initiale, ce qui laisse croire qu’il ne sera pas transmis à la génération suivante.

D’autres stratégies

La majorité des parents s’inscrivent dans la tradition patronymique du Québec. Mais plusieurs désirent néanmoins modifier cette tradition et rendre visible la filiation maternelle par l’utilisation du nom composé. Certains parents considèrent qu’ils enrichissent ainsi les ressources symboliques de l’enfant, en rendant visible toutes ses origines nationales ou culturelles. D’autres jugent que cette façon de faire permet d’illustrer une trajectoire familiale particulière; ainsi, les enfants d’une deuxième union n’auront pas le même nom que ceux de la première union. Certaines mères, dans un contexte de fragilité de la relation conjugale, évitent également de ne donner que le nom du père.

Nouvelles générations, nouveaux dilemmes!

Que se passe-t-il lorsque les enfants portant un double nom de famille deviennent à leur tour parents? Les parents ne peuvent pas transmettre l’intégralité de leur nom respectif. Ils doivent choisir l’un des deux noms composés, ou l’une de ses composantes, ou encore une nouvelle combinaison à partir de ces quatre noms.

Quelque que soit le cas, en dépit de la modernisation du Code civil québécois, on dénote une forte persistance de la tradition en faveur du patronyme. En revanche, les mères ajoutent parfois leur nom de famille dans la liste des prénoms de l’enfant, ce qui permet de légitimer la filiation tout en souscrivant à la coutume de donner le nom du père.

Tout compte fait, on peut se demander si le « nom de famille » porte bien son nom. Il devient de plus en plus souvent « un nom personnel qui, même s’il est hérité, singularise celui qui le porte ».