À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Lorena Suelves Ezquerro, « « J’avais peur de me faire déporter, mais j’ai demandé de l’aide ». Quand l’immigration par le parrainage se retourne contre les femmes », publié en 2020 dans la revue Anthropologica, volume 62, n° 2.

  • Faits saillants

  • La langue, la non-reconnaissance des diplômes et des expériences de travail ainsi que la discrimination augmentent la dépendance économique des femmes immigrantes et parrainées envers leur partenaire, et les confinent au rôle de femme au foyer.
  • Le contrat d’engagement signé par le couple dans un contexte d’immigration par parrainage peut être détourné en menace ou chantage, et ainsi entretenir des situations d’abus, voire de violence conjugale.
  • Le sentiment d’isolement social est incontournable dans le parcours d’immigration, mais le soutien du partenaire et des membres de son entourage facilite l’intégration des femmes parrainées au Québec.

Qu’est-ce qui vous vient en tête lorsque vous entendez « immigration par le parrainage »? Une formidable histoire d’amour entre une personne résidant au Canada et une qui souhaite la rejoindre pour vivre heureuse dans son nouveau pays d’accueil? Loin d’être aussi idyllique, ce processus est particulièrement éprouvant pour les femmes, qui représentent 60 % des personnes parrainées. 

Lorena Suelves Ezquerro, étudiante à la maîtrise en anthropologie à l’Université Laval, s’intéresse à l’expérience d’immigration des femmes dans un contexte de parrainage. En 2013, l’autrice interroge dix femmes hétérosexuelles âgées de 30 à 40 ans et parrainées par leur partenaire (marié ou en union libre). L’étudiante y aborde quatre sujets : la situation de vie dans le pays de résidence, dans le pays d’accueil, la motivation et le processus d’immigration. Ses constatations? Ces femmes ont vu leur expérience migratoire être teintée de nombreuses difficultés qui ont renforcé leur dépendance et leur vulnérabilité envers leur partenaire. Parmi elles, quatre étaient directement affectées par la « résidence permanente conditionnelle » mise en place par le gouvernement conservateur pour éviter les « faux mariages ». Cette mesure en vigueur de 2012 à 2017 obligeait une cohabitation de deux ans entre la personne parrainée et celle qui parraine, même en cas de séparation. Les risques en cas de non-conformité? Une perte de son statut migratoire et un retour dans son pays d’origine. Bien que cette disposition très contraignante ait été levée depuis, le contrat d’engagement de trois ans entre parrain et parrainée continue de favoriser l’inégalité entre les partenaires au sein du couple.

La demande d’immigration ou comment les femmes perdent tout contrôle 

Dire que l’immigration par le parrainage au Québec est un processus complexe est un doux euphémisme! Sous la juridiction fédérale et provinciale, il comporte trois étapes qui à tout moment peuvent conduire au rejet de la candidature de la personne parrainée. 

Figure 1. Les grandes lignes des étapes du processus d’immigration par le parrainage pour la province du Québec en 2022


Anglais, français… Et c’est tout! Puisque les formulaires sont uniquement accessibles dans les deux langues officielles, la plupart des parrains s’imposent comme responsables de la demande d’immigration. Une fois la candidature approuvée au Canada, le couple signe un contrat d’engagement qui légalise la prise en charge et la dépendance de la femme à son parrain durant trois ans. Tenues à l’écart du processus par leur partenaire, rares sont les femmes qui connaissent les enjeux et les conséquences dudit contrat d’engagement en cas de séparation! Pire encore : certains parrains l’utilisent comme menace et source de chantage pour asseoir leur mainmise sur elles. On est donc loin du conte de fées !

« La première fois lorsque je l’ai quitté, j’étais encore dans les deux années de résidence conditionnelle, mais je l’ai quitté pareil. J’ai pensé plus à moi qu’aux papiers, tu comprends? Mais après, je voulais aller dans mon pays, j’étais malade, mais je me suis dit: « Non, non, non, relaxe un petit peu pour savoir, peut-être qu’il va te piéger ou quelque chose lorsque tu t’en iras. » Il peut arrêter le parrainage, quelque chose comme ça […]. J’ai eu cette crainte. » (Maria, originaire du Brésil)

Vol direct vers la précarité

Quitter son pays de résidence pour le Canada, c’est se mettre en position de fragilité financière pour ces femmes. Le long et lent processus d’immigration perturbe leur accès à l’emploi puisqu’elles doivent obtenir un permis de travail ouvert ou la résidence permanente avant d’entamer la recherche. En conséquence? Une situation financière plus que difficile et une dépendance économique vis-à-vis de leurs parrains qui peuvent durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. 

Et comme si cela ne suffisait pas, la non-reconnaissance des diplômes étrangers et la discrimination s’ajoutent à la longue liste des obstacles à l’embauche. D’une part, les entreprises sont souvent réticentes à engager une personne nouvellement immigrée : idées préconçues sur les compétences, interrogations sur les possibilités d’intégration au milieu de travail… Les perspectives d’embauche fondent comme neige au soleil! 

D’autre part, à défaut d’avoir un emploi, les femmes se retrouvent souvent à endosser les grandes responsabilités familiales. Plusieurs font état du cercle vicieux des tâches domestiques qui les empêchent de suivre des formations ou des cours de francisation propices à l’insertion sur le marché du travail. Entre enfants et entretien de la maison, difficile d’envisager un retour sur les bancs d’école… 

« C’était trop, je n’étais pas prête à tout vivre ça, la dépendance complète, absolue, tu sais? Tu ne parles pas la langue, oublie ça, je voulais étudier et je me voyais : ça va être long de m’adapter à cet autre monde ici avec la langue… Je ne pouvais pas aller [aux cours] avec les enfants. J’ai senti ce poids alors que j’étais ici depuis un an déjà. » (Maria, originaire du Brésil)

Ce sont les raisons pour lesquelles de nombreuses femmes se contentent d’un emploi précaire à temps partiel ou restent confinées chez elles, sans revenu. 

La possibilité de sociabiliser… jusqu’à un certain point

Nouvelle vie, nouvelle réalité : entre isolement social et déracinement, les femmes parrainées ne profitent pas vraiment de leur terre d’accueil! En quittant leurs pays de résidence, elles quittent également leur langue maternelle et leur famille, pour rejoindre seules leur partenaire dans un lieu qu’elles ne connaissent pas. Maintenir le contact avec leurs proches grâce aux technologiques et se greffer à la vie familiale et sociale de leur partenaire sont les solutions qu’elles déploient pour contrer la solitude. Mais, rapidement, elles se sentent « étouffées » et infantilisées par ce réseau social acquis par défaut.

« Les premiers mois ont été très difficiles, […]. Dans mon pays, je voulais quelque chose et je me débrouillais toute seule, mais ici, j’étais comme une petite fille avec mon époux, il fallait qu’il fasse tout pour moi. » (Valentina, originaire de la Bolivie)

Malgré la barrière linguistique, ces femmes essaient de participer à des activités communautaires. Leur partenaire leur sert alors d’interprète et facilite la communication avec les personnes rencontrées. Les opportunités de rencontre restent néanmoins réduites, puisqu’elles dépendent encore une fois de leur parrain et de ses horaires de travail. Dans les cas extrêmes, certains leur refusent purement et simplement toute activité sociale. En conséquence, l’isolement n’en finit plus. 

À l’autre bout du spectre, la dépendance sociale rassure certaines femmes à leur arrivée au pays. Elles se sentent accueillies et accompagnées par les membres de la famille et le cercle de leur partenaire. Sans surprise, elles s’intègrent donc plus facilement et voient leur immigration sous un meilleur jour.

Entre parrainage et contrôle, la frontière est parfois mince

L’expérience de ces femmes parrainées démontre que le processus d’immigration est à géométrie variable. Si certaines peuvent espérer le soutien de leur partenaire et ainsi, mener une existence heureuse, d’autres peuvent devenir victimes d’un climat de contrôle exacerbé, allant de la précarité financière, à l’isolement social et pouvant conduire jusqu’à la violence conjugale. Afin de favoriser une immigration bienveillante et sécuritaire, de nombreux organismes communautaires comme Assistance aux femmes et La Maison Bleue s’emploient à accompagner et faciliter l’intégration des personnes immigrantes. Un petit pas vers la terre d’accueil, un grand pas pour le futur de ces femmes!