À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Carmen Lavallée, Hélène Belleau et Édith Guilhermont, « La situation juridique des conjoints de fait québécois », publié en 2017, dans Droits et cultures.

  • Faits saillants

  • Au Québec, peu de conjoints de fait signent un contrat de vie commune.
  • La moitié d’entre eux ignorent qu’ils ne bénéficient pas du même encadrement juridique que les couples mariés. Beaucoup croient, à tort, qu’ils sont «automatiquement mariés» après un certain délai.
  • Les couples comprennent mal les conséquences de la rupture d’une union libre. Les conjoints en situation de vulnérabilité économique, principalement les femmes, s’en trouvent d’autant plus fragilisés.

2013, Cour suprême du Canada. Lola revendique ses droits face à Eric[1], son ex-conjoint de fait. Leur rupture, hautement médiatisée, a fait couler beaucoup d’encre et a soulevé de houleux débats. Malgré l’issue du jugement en faveur d’Éric, une question plane toujours autour de cette affaire : les couples québécois connaissent-ils vraiment leurs droits? Lors d’une séparation, y’a-t-il une différence entre un couple marié et des conjoints de fait? Divorce et séparation de l’union libre, même combat?

Il existe trois types d’unions conjugales : le mariage religieux, le mariage civil et l’union libre[2]. Les lois fédérales définissent un certain cadre pour ces unions, mais il existe de grandes disparités entre les provinces, notamment en ce qui concerne l’union libre.

Au Québec, on encadre peu les unions de fait. En fait, c’est même la province qui les encadre le moins, alors qu’elle est parmi les championnes de l’union libre! L’idée, pour le législateur québécois, serait de défendre la liberté de choix et le respect de l’autonomie des conjoints de fait.

Les auteures se sont penchées sur les conséquences de ces différences de traitement entre les provinces. Leur analyse s’appuie, entre autres, sur les résultats d’une recherche quantitative menée auprès de 3246 personnes âgées de 25 à 50 ans, en situation d’union libre, en 2016. Cette recherche s’inscrit dans un vaste projet d’étude sur la conjugalité au Québec[3].

Mariage civil et union libre : mêmes droits, mêmes effets ?

Sur certains points, les couples en union libre bénéficient des mêmes droits que les couples mariés. La Loi fédérale leur offre notamment les mêmes déductions et exonérations d’impôts.

Selon les provinces, d’autres droits et protections s’ajoutent. Ailleurs qu’au Québec, on retrouve l’obligation de verser une pension alimentaire au conjoint le plus pauvre, dans les premiers temps suivant une rupture[4]. Sept provinces prévoient également le partage des biens familiaux. Dans cinq provinces, les conjoints de fait peuvent hériter en cas de décès d’un partenaire. La Saskatchewan et le Manitoba sont celles qui proposent le plus de protections.

L’exception québécoise

Le Québec se distingue de cette tendance alors que, paradoxalement, c’est l’une des provinces où l’union libre est la plus répandue: 40% des couples étaient conjoints de fait en 2016, contre 15,7 % pour la moyenne nationale[5]. Le Code civil québécois comporte toute une série de mesures qui s’appliquent aux couples mariés, mais pas aux conjoints de fait.

Pour s’assurer une certaine protection, les conjoints de fait québécois ont la possibilité de rédiger des contrats de vie commune. Dans ces contrats, ils dressent la liste des biens appartenant à chacun avant le début de la vie commune et ceux acquis pendant qu’ils vivent ensemble. Ils définissent ensuite les protections et obligations auxquelles ils souhaitent souscrire. Ils peuvent, par exemple, prévoir une compensation lorsque l’un des conjoints demeure à la maison pour s’occuper des enfants. Les conjoints sont également encouragés à rédiger un testament pour se protéger en cas de décès, puisque le conjoint de fait survivant n’est pas un héritier légal.

Union sous contrat

Les conjoints de fait ont la possibilité de consulter un notaire pour obtenir certains documents légaux (contrat de vie commune, testament, etc.) pour se protéger. Dans les faits, rares sont ceux qui le font. Moins de 8 % des couples en union libre rédigent un contrat de vie commune[6].

La majorité de ces couples sont donc exposés à un certain nombre de risques en cas de rupture. Par exemple :

Si l’un des conjoints de fait n’est pas propriétaire de la résidence familiale, il peut en être expulsé, ainsi que les enfants, même s’il en a la garde.

Un conjoint de fait ne peut pas demander le partage du patrimoine familial (résidences, meubles, véhicules, retraite, etc.) et peut donc tout perdre : « chacun repart avec ce qu’il a payé! ».

Le conjoint de fait n’a pas non plus d’obligation alimentaire envers son ex-partenaire. C’est cette dernière exclusion qui a fait couler le plus d’encre. Certains jugent qu’il s’agit d’une discrimination préjudiciable pour les ex-conjoints qui se retrouvent vulnérables économiquement.

Le manque de protections offertes aux conjoints de fait lors d’une rupture affecte le plus souvent les femmes.

En effet, il existe encore un écart important entre les revenus des hommes et des femmes, et ce sont souvent ces dernières qui, lors d’une séparation, se voient attribuer la garde des enfants. Même si un ex-conjoint de fait verse une pension alimentaire pour enfant, l’absence de pension pour conjoint rend les choses plus difficiles. La mère doit souvent continuer à travailler, avec un salaire moindre, pour maintenir ses finances à flot. Ce sont donc les familles monoparentales dirigées par des femmes qui sont les plus pauvres, comparées à celles dirigées par des hommes.

L’affaire Éric contre Lola

Cette différence de traitement entre les couples mariés et les conjoints de fait au Québec a déjà été contestée devant les tribunaux.

En 2013, la Cour suprême du Canada jugeait l’affaire « Éric contre Lola » où Lola, ex-conjointe de fait d’Éric, réclamait l’application de l’obligation alimentaire et du partage des biens familiaux qui s’impose aux époux en cas de rupture. Elle invoquait le droit à l’égalité, consacré par la Charte canadienne des droits et libertés.

L’avis de la Cour suprême sur la question a été extrêmement partagé. Le jugement s’est basé sur deux idées, soit, d’une part, qu’il faut respecter la liberté des conjoints de choisir entre plusieurs formes de conjugalité et, d’autre part, que les conjoints de fait ont droit à leur autonomie.

Finalement, la Cour a jugé que la différence de traitement entre les couples était constitutionnellement valide.

D’après la Cour, puisque les conjoints de fait ont choisi librement de ne pas se marier, ils ne peuvent pas bénéficier automatiquement des protections offertes par le mariage. Mais ils n’en sont pas exclus pour autant : ils peuvent décider de faire des démarches pour mettre en place les protections de leur choix. Leur autonomie est préservée, leurs droits aussi.

La liberté de ne pas se marier?

C’est donc au nom de la liberté que la Cour a refusé de modifier les effets juridiques de l’union libre. Pourtant, soulignent les auteures, autonomie et liberté ont leurs limites.

En 2016, les auteures de cette étude ont conduit un projet de recherche visant à comprendre la façon dont les couples en union libre perçoivent leurs droits et leurs obligations conjugales. Or, une grande partie des répondants ignoraient les lois qui s’appliquant à leur situation ou entretenaient des croyances erronées. Beaucoup d’entre eux pensaient, notamment, qu’ils pouvaient obtenir « automatiquement » les mêmes droits que les couples mariés après quelques années de vie commune.

La moitié (49 %) des répondants ne savaient pas qu’ils n’avaient pas le même statut légal que les couples mariés. Et une proportion un peu plus élevée ignorait qu’en cas de rupture ils ne bénéficieraient pas du partage égal des biens (57 %) ni n’auraient pas automatiquement droit à une pension alimentaire (55 %). Peut-on parler de choix éclairé ?

Les auteures ajoutent que, même lorsque les conjoints connaissent les conditions légales de leur union, le problème demeure. Il faut être deux pour rédiger un contrat de vie commune ou décider de transformer l’union libre en mariage. Le conjoint le mieux nanti disposerait en quelque sorte d’un « droit de veto » sur les protections que le couple peut se donner ou non, ce qui fragilise l’autre conjoint et, par ricochet, les enfants du couple.

Dans ces circonstances, peut-on réellement avancer le principe de liberté de choix des conjoints de fait, comme le fait la Cour suprême ? Les auteures remettent en question cet argument; sans connaissance solide des conséquences de ces choix, l’autonomie et la liberté des couples sont peut-être beaucoup moins réels qu’on ne le pense.

_____________________________

[1] Prénoms fictifs, employés par les médias.

[2] D’après le gouvernement canadien, l’union libre se caractérise par le fait de vivre dans une relation conjugale avec son conjoint « de fait ». Il faut en plus remplir au moins l’une des conditions suivantes :

  • Les conjoints vivent dans une relation conjugale et cette relation dure depuis au moins 12 mois sans interruption ;
  • Les conjoints sont parents d’un même enfant, par la naissance ou l’adoption ;
  • L’un des conjoints a la garde, la surveillance et la charge entière de l’enfant de son partenaire.

(Source : site du gouvernement canadien, [En ligne] https://www.canada.ca, section « État civil ».)

[3] Source : Belleau, Lavallée, Seery, « Unions et désunions conjugales au Québec », INRS, 2016

[4] Cette forme de soutien financier est à distinguer de la pension alimentaire destinée aux enfants du couple. Dans certains cas, il est possible qu’une personne doive verser à la fois une pension alimentaire pour ex-époux et pour enfants.

[5] Le Québec (39,9%), le Nunavut (50,3%), les Territoires du Nord-Ouest (36,6%) et le Yukon (31,9%) sont les quatre provinces qui affichent la plus grande proportion de couples en union libre, d’après le référencement de 2016. La moyenne nationale de 15,7% rassemble les autres provinces, en excluant les quatre mentionnées. Source : Statistiques Canada

[6] Source : Belleau, Lavallée, Seery, « Unions et désunions conjugales au Québec », INRS, 2016