À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation scientifique est tiré de l’article de Lucie Nadeau, Janique Johnson-Lafleur, Annie Jaimes et Emmanuelle Bolduc, « L’engagement dans les soins de collaboration en santé mentale jeunesse pour les familles migrantes : des lieux cliniques ancrés dans leurs contextes institutionnel et sociopolitique », publié en 2020 dans Santé mentale au Québec, vol. 45, no 1, p. 19-38.

  • Faits saillants

  • La continuité des soins, le partenariat entre les institutions et la collaboration entre les différents corps professionnels sont des facteurs associés à l’engagement des familles migrantes dans les soins en santé mentale jeunesse.
  • La succession de plusieurs réformes dans le domaine de la santé, qui impliquent, entre autres, des fusions d’institutions, des coupes budgétaires et des transferts de ressources, nuit à la continuité des services et aux collaborations entre les différents professionnel·le·s, tout en complexifiant le travail des intervenant·e·s qui œuvrent en santé mentale jeunesse.
  • L’implication de l’école est associée à un meilleur engagement des familles migrantes dans les soins en santé mentale jeunesse.

Le système de santé et de services sociaux du Québec enchaîne les réformes depuis plusieurs années : fusions d’institutions, coupes budgétaires, standardisation des équipes, élargissement d’offre de services, nouveaux postes, transferts de ressources, mouvements de personnel, réorganisations des services, bonjour l’instabilité! Les services en santé mentale jeunesse (SMJ) et le travail des équipes de soins sont particulièrement touchés par ces fluctuations. De son côté, le débat sur la Charte des valeurs québécoises, arrivé quelques années après la crise des accommodements raisonnables, fragilise les relations entre les groupes majoritaires et les groupes en situation minoritaire. Ce contexte de changements et de tensions agit sur l’engagement des familles migrantes en SMJ et complexifie leur participation à ces services. Quels sont exactement les facteurs qui influencent cet engagement? Sur cette liste, certains concernent directement les familles, mais plusieurs autres sont liés aux institutions, à la structure et à la culture des organisations. 

En croisant les données de plusieurs études des 10 dernières années, une équipe de chercheuses examine comment les attitudes des familles migrantes du Québec sont influencées par leurs expériences et ce qu’elles imaginent des soins en santé mentale jeunesse. L’équipe s’intéresse aux perceptions des personnes migrantes envers les soins en SMJ, puis aux façons dont ces attitudes ainsi que les contextes politique, social et culturel agissent sur leur engagement dans ces services. Par les réponses de jeunes et de parents de familles migrantes, de clinicien·ne·s et de gestionnaires, les autrices explorent les leviers possibles pour favoriser l’engagement dans les soins en santé mentale jeunesse des jeunes personnes migrantes et de leurs familles. 

L’engagement, pas juste une affaire de famille! 

Qu’entend-on par « s’engager »? Lorsqu’il est question d’engagement dans le processus thérapeutique, celui-ci correspond au degré de participation de la personne qui reçoit des soins dans le traitement qu’on lui offre. Sachant que plus la participation des familles augmente, plus la capacité des équipes d’intervention destinées à les aider augmente aussi, l’engagement des familles apparaît déterminant dans le cheminement de l’enfant qui reçoit des services en santé mentale jeunesse. Malgré toute l’importance de cette participation, les familles migrantes s’engagent moins dans ce type de soins que les familles non migrantes. 

Quels sont donc les éléments qui agissent sur l’engagement de ces parents?  En tête de liste, on retrouve la façon dont les familles migrantes se représentent la santé mentale et les services qui y sont liés. Ces perceptions sont à la fois influencées par le vécu des familles et par des facteurs extérieurs au processus de soins lui-même. Ainsi, leur expérience des soins au Québec et dans leur pays d’origine, leur environnement social, culturel et politique et les discours publics ont des répercussions sur la façon dont elles les imaginent.    

Réformes et tensions ne riment pas avec collaboration 

Quels sont les ingrédients nécessaires au développement d’une relation de confiance entre les familles et les membres de l’équipe traitante? D’abord, la stabilité. Or, les nombreux changements entraînés par les réformes qui s’enchaînent sont loin de lui être favorables. Et dans un tel contexte, l’engagement des familles migrantes s’en trouve affecté.

Il est complexe pour les équipes de collaborer et il est difficile pour les institutions de construire des partenariats dans un contexte de changements constants. Les intervenant·e·s mentionnent le stress vécu lors de la réforme de 2015 amenant la création des Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). Les équipes sont fragilisées par la transformation du système et l’atmosphère est tendue. La pression subie a des retombées négatives sur l’engagement des intervenant·e·s dans la relation thérapeutique, ce qui se répercute ensuite sur l’engagement des familles. 

Du positif? En dépit des tensions et des problématiques mentionnées, certains partenariats déjà établis survivent partiellement. Des collaborations entre les différents corps professionnels parviennent à évoluer grâce à la communication. La création d’espaces pour discuter en équipe des dossiers cliniques est bénéfique. Harmoniser les priorités administratives et d’intervention aide aussi les équipes à mieux collaborer.   

Les familles, elles en pensent quoi? 

Certaines familles qui ont déjà utilisé les services du Centre local de services communautaires (CLSC) avant leur passage au sein des services en santé mentale jeunesse, par exemple en périnatalité ou pour la vaccination, le décrivent comme un lieu bienveillant. Elles entrevoient les services qu’elles recevront en SMJ de façon positive. Pour d’autres, s’y projeter est plus difficile, comme pour ce parent n’ayant jamais fréquenté le CLSC avant son entrée dans les soins en SMJ, qui pense ne pas pouvoir y recevoir de services, ou encore cet autre qui croit que le CLSC est une option « en attendant l’hôpital ».

Les discours présents dans l’espace public influencent également la façon dont les familles se représentent les services. Dans le débat sur la Charte des valeurs, un parent, au Québec depuis peu, est persuadé qu’il doit parler français pour obtenir des soins à son CLSC, alors qu’un jeune partage son sentiment que les gens de l’accueil au CLSC n’aiment pas ceux qui ne sont pas « québécois ». Un autre discute de l’intervention et affirme que ses parents seront absents lors des rencontres puisqu’ils sont convaincus que si la personne qui s’occupe de la prise en charge n’est pas du même pays d’origine, elle ne pourra pas les comprendre. 

Et puis, il y a la question de la santé mentale. Si certains parents migrants sont peu ouverts à recevoir des services en SMJ, une minorité d’entre eux seulement la perçoit de manière négative et l’associe à une forme de folie. Plusieurs en parlent de façon plus modérée ou en utilisant des termes médicaux associés à la santé mentale comme phobie, anxiété, hyperactivité, etc. 

Comment accompagner les familles migrantes vers un changement de perception? Il semblerait que l’école joue un rôle important. Elle est le point de départ d’une référence en CLSC pour plusieurs de ces familles et, lorsque c’est le cas, elle leur présente ce lieu comme une source possible de solutions aux difficultés qu’elles rencontrent. L’implication de l’école est d’ailleurs associée à un meilleur engagement des familles dans les soins.  

De bonnes expériences… et des moins bonnes

Lorsque l’on interroge les familles migrantes sur leur expérience en santé mentale jeunesse, on obtient des réponses variées! Lorsqu’elles sont positives, ces expériences sont associées aux attitudes bienveillantes des intervenant·e·s, que les familles perçoivent comme des personnes compétentes, voire des guides. 

« Là-bas, ils sont des experts. […] Les enfants, ils sont entre bonnes mains. La confiance que j’avais, c’était vraiment comme wow! » – Une personne migrante à propos de son expérience

D’autres familles affirment avoir gagné en confiance à travers le temps, aidées par des éléments facilitants associés à l’intervention comme le fait de pouvoir parler leur langue, par exemple. 

Les expériences peuvent être moins bonnes. Ces vécus plus négatifs sont associés au sentiment de ne pas avoir été entendues ou à une interruption dans les services. Une mère explique son faible engagement par l’impression d’un manque d’investissement de l’intervenante impliquée auprès de sa famille. Pour un autre parent, un changement de thérapeute en cours de suivi a entraîné une perte de confiance de la famille et un manque de progrès par la suite. 

D’autres éléments sont identifiés par les jeunes et leurs familles. La proximité du CLSC est appréciée. Les heures de services sont nommées comme un obstacle à l’engagement lorsqu’elles sont considérées comme insuffisantes. La qualité de l’accueil a une grande importance et est mentionnée à plusieurs reprises par les familles comme étant un élément qui les aide à bien s’engager.

« Pour les réceptionnistes, ils devraient engager des personnes… Quelqu’un de vraiment patient […] de compréhensif. […] Une face positive. […] La réception, c’est important. C’est la première impression. » – Une personne migrante à propos de son expérience

Marcher ensemble dans l’engagement

La qualité des soins en santé mentale jeunesse est influencée par l’engagement des familles dans les services, mais aussi par celui des équipes d’intervention et des institutions. Des composantes extérieures au processus de soins peuvent l’affecter, se tracer un chemin jusque dans la relation entre l’intervenant·e et les familles et teinter la façon dont ces dernières participent aux services qui leur sont proposés. 

La bonne nouvelle? Les résultats de l’étude suggèrent que les représentations qu’ont les familles migrantes de la santé mentale et des services peuvent se modifier à travers le temps et l’expérience. Plusieurs éléments favorables à l’engagement et à la qualité des soins sont identifiés, entre autres, une culture organisationnelle qui encourage un accueil bienveillant, des soins stables et de proximité, une bonne entente et une bonne collaboration entre les membres des équipes de soins, ainsi que le développement de partenariats entre les institutions. Des différences peuvent exister entre les familles et les membres des équipes de soins, notamment sur le plan de la langue et des référents culturels. Il est possible qu’elles créent des incompréhensions et impactent le développement d’une relation entre les familles et le personnel soignant. Les autrices suggèrent d’accorder une attention particulière à la résolution de ces situations problématiques en abordant le sujet avec la famille lorsque le ou la professionnel·le sent que cela se produit. 

Finalement, des messages publics positifs peuvent aider à préparer un terrain propice à l’engagement des familles; des lieux et des services perçus positivement sont quelques pas de faits dans la bonne direction.