À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Annie Pullen Sansfaçon, Morgane A. Gelly, Maxime Faddoul et Edward Ou Jin Lee, « Soutien et non-soutien parental des jeunes trans : vers une compréhension nuancée des formes de soutien et des attentes des jeunes trans », publié en 2020 dans Enfances Familles Générations, vol. 36.

  • Faits saillants

  • Une jeune personne trans ou non binaire sur six bénéficie d’un soutien parental fort, qui s’accompagne de gestes concrets : respect du prénom et des pronoms choisis, accompagnement dans les démarches administratives, etc.
  • Le tiers des jeunes trans ou non binaires reçoit peu ou pas de soutien parental. Certains parents vont jusqu’à rejeter leur enfant ou le forcer à se conformer au genre assigné à la naissance.
  • Certains parents soutiennent leur jeune sur le plan affectif ou financier, sans pour autant accepter son identité de genre. Face à ce soutien mitigé, les jeunes entretiennent des sentiments ambivalents à l’égard de leurs parents.

« Malgré le fait qu’on a eu cette conversation, elle m’appelle encore par le nom que j’utilise pas, puis elle m’appelle « il », son « fils » et tout, comme si absolument de rien n’était. », explique Ambre, 21 ans. Si certains jeunes trans et non binaires bénéficient d’un soutien parental fort, d’autres se heurtent au rejet de leurs parents à la suite de leur coming out. Entre ces deux extrêmes, plusieurs reçoivent un soutien mitigé. 

C’est ce que constate une équipe de quatre chercheurs de l’École de travail social de l’Université de Montréal et de la Coalition des groupes jeunesse LGBTQ+. Ils s’entretiennent avec 54 jeunes trans et non binaires ayant entre 15 et 25 ans afin d’explorer comment le soutien ou l’absence de soutien parental affecte leur bien-être. Les entretiens leur permettent de dégager trois profils de soutien parental : soutien fort, manque de soutien et neutralité négative. Les chercheurs ont aussi demandé aux participants d’évaluer leur bien-être selon une échelle de 0 à 10.

Tableau 1. Bien-être perçu des jeunes personnes trans selon le profil de soutien parental

Soutien parental fort : les paroles s’envolent, les actions restent

Se faire accepter pleinement dans son identité, ça n’a pas de prix ! Les jeunes bénéficiant d’un soutien parental fort expliquent que leurs parents ont bien réagi à leur coming out et qu’ils continuent à leur manifester leur amour, sans remettre en question leur identité. Pas étonnant, alors, que ces jeunes évaluent leur bien-être entre 8/10 et 9/10 ! Si un jeune sur six reçoit un soutien fort de la part de ses parents, il s’agit presque exclusivement de personnes transmasculines[1].

Les actions parlent plus fort que les paroles : les parents font aussi des gestes concrets pour soutenir leurs jeunes, comme s’informer pour mieux les comprendre, utiliser des termes neutres, respecter le prénom et les pronoms choisis, les accompagner dans leurs démarches administratives, etc. 

« Pis maintenant qu’ils comprennent, c’est vraiment le fun. Parce que si j’ai envie d’en parler, ils vont être là pis ils vont me soutenir, mais si j’ai pas envie d’en parler, parce que c’est mes choses, ils comprennent aussi. » (Louis, homme trans, 21 ans).

Outre le soutien affectif, les parents aident aussi leur jeune sur le plan financier, notamment en payant pour les traitements hormonaux ou pour un accompagnement psychologique. 

« Juste pour les « bloqueurs » [traitement médical pour retarder la puberté], au début, à 90 dollars par mois, si j’avais pas eu de job, pis que mes parents me payent pas ça, j’aurais pas pu les avoir. […] La première sexologue que j’ai été voir, c’est quand même cher par semaine. Pis c’est eux qui payaient […]. J’ai la chance d’avoir des parents qui ont de l’argent. » (Olivier, homme trans, 17 ans)

Manque de soutien : se heurter au rejet des parents

« C’est juste une phase », « tu t’es fait influencer » : ces remarques, les jeunes trans et non binaires les ont maintes fois entendues. Ce qu’elles traduisent ? L’absence d’une main sur l’épaule réconfortante. Le tiers des personnes participantes, surtout celles ayant une identité de genre féminine ou non binaire, doivent composer avec le manque de soutien de la part des parents. Dans certains cas, ceux-ci vont même jusqu’à expulser leur enfant de la maison, le forcer à se conformer au genre assigné à la naissance, voire s’adresser à lui comme à un objet. 

« À un moment, elle m’appelait « ça » [it]. Ou elle n’utilisait juste pas de pronom […]. Elle parlait à haute voix dans la maison, et mon beau-père était même un peu confus, parce qu’elle ne s’adressait à personne. Pas de nom, pas de pronom, elle disait juste des choses, et si je l’entendais, je devais en déduire qu’elle me parlait à moi. » (Greer, homme trans, 21 ans)

Face à cette situation insoutenable, plusieurs jeunes développent des pensées suicidaires, des troubles alimentaires ou des problèmes de consommation. Leur bien-être perçu est aussi beaucoup plus bas : il oscille entre 3/10 et 7/10. Pour pallier ce manque de soutien, plusieurs se distancient de leurs parents et se tournent vers d’autres personnes, comme leur famille choisie ou leur fratrie. 

« [Mon frère], c’est la personne que j’aime le plus au monde. […] je dirais pas ce que j’aurais fait sans lui […]. Même que ma mère était, genre : « Prends-le, le capoté », […]. Lui, était là pour me dire que je n’étais pas seule. » (Juliana, femme trans, 25 ans)

Neutralité négative : un soutien mitigé

« S’ils ne sont pas ouvertement opposés à mon identité, s’ils ne me nient pas de manière absolue, il y a pas de support factuel ou même perçu de ma part. […] » (Valérie, femme trans, 19 ans)

Comme l’explique Valérie, certains parents soutiennent leur jeune en surface, sans pour autant accepter son identité. Même si leurs parents disent accepter leur transition, ils n’agissent pas en ce sens ou peuvent devenir distants. Une situation vécue difficilement par les jeunes, qui entretiennent des sentiments ambivalents à l’égard de leurs parents. 

« Ce qui m’a un peu déçue, c’est de réaliser à quel point ils ne comprenaient pas. Ils sont comme : « J’accepte ton identité de genre », mais comme, « Pourquoi il faut que tu t’habilles de cette façon-là ? » Comme ils acceptent mon identité de genre, mais ils ne voient pas pourquoi je dois changer l’usage des pronoms. » (Sophie, femme trans non binaire, 24 ans)

Dans certains cas, les parents refusent de soutenir financièrement la transition ou semblent vouloir freiner le processus.  

« J’étais prête à commencer en été, j’avais les rendez-vous avec le docteur mais là, en ce moment-là, mon père était comme : « Non, non, non. On prend une pause pis on va faire le processus de gelage [sic] de sperme », pis c’était un processus qui était plutôt pénible. » (Sophie, femme trans non binaire, 24 ans)

Pour éviter les conflits, certains jeunes se conforment aux attentes de leurs parents, par exemple en les laissant utiliser les mauvais pronoms, ou encore en évitant de parler de leur identité trans ou de leurs traitements hormonaux débutés. Ces compromis ne sont pas sans effets sur leur bien-être (évalué entre 3/10 et 8/10). 

Accompagner les parents pour mieux soutenir les jeunes

Si certains jeunes bénéficient d’un plus grand soutien parental que d’autres, ce soutien est non linéaire et peut évoluer. L’acceptation parentale est un processus de longue haleine, qui s’améliore généralement au fil du temps. Par ailleurs, un simple discours d’acceptation n’est pas suffisant : il doit s’accompagner de gestes concrets pour soutenir le jeune dans son identité de genre, comme le ou la laisser s’exprimer librement en famille, l’aider à se diriger vers les ressources appropriées, etc. 

Comme le soulignent les chercheurs, « les professionnel(le)s et organismes qui travaillent auprès des jeunes trans et non binaires devraient focaliser leurs interventions sur les parents et, plus globalement, les familles. » En effet, accepter son enfant de manière inconditionnelle, et ce, le plus tôt possible, diminue le risque qu’il vive des expériences plus difficiles (ex. : itinérance, problèmes de santé mentale). Pour faciliter ce processus, l’organisme Jeunes identités créatives offre du soutien et des ressources aux parents d’enfants trans et non binaires depuis 2013. 


[1] Personne dont l’identité de genre est masculine.