À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le rapport de recherche de Line Chamberland, Julie Beauchamp, Jean Dumas et Olivia Kamgain, « Aîné.e.s LGBT : favoriser le dialogue sur la préparation de leur avenir et de leur fin de vie, et la prise en charge communautaire », publié en 2016, dans Les cahiers de la chaire de recherche sur l’homophobie, p. 1-79.

  • Faits saillants

  • Bien que certaines personnes aînées LGBT aient une bonne relation avec leur famille, dans plusieurs cas, les liens familiaux sont rompus ou affaiblis lorsque les membres de la famille d’origine n’acceptent pas leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.
  • Plusieurs personnes aînées LGBT ont une «famille choisie», composée d’amis ou de partenaires de longue date avec qui elles ont un lien émotionnel très fort. Cette famille choisie est, pour nombre d’entre elles, une source de soutien indispensable (émotionnel, matériel, etc.).
  • Les personnes aînées LGBT craignent d’habiter en résidence en raison du manque d’ouverture qui règne encore au sein de ces milieux, tant de la part du personnel que des résidents.

Épuisée de devoir se cacher depuis des décennies, Evelyne a enfin avoué à sa famille qu’elle est lesbienne. Malheureusement, la majorité de ses proches n’ont pas accepté la situation et ont coupé les ponts avec elle. Aujourd’hui âgée de 68 ans, elle peut heureusement compter sur le soutien de sa femme et de son meilleur ami, deux personnes qu’elle considère comme sa deuxième famille. Cependant, elle anticipe la perte de son autonomie. Elle craint de devenir un fardeau pour sa conjointe, de devoir aller vivre en résidence pour personnes âgées et d’y subir à nouveau de la discrimination. Tout comme Evelyne, ces enjeux interpellent de nombreuses personnes aînées de la communauté LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels ou trans).

Une équipe de quatre chercheures de l’Université du Québec à Montréal et de l’École nationale de l’administration publique veut comprendre de quelle manière les personnes aînées LGBT envisagent leur vieillissement et identifier les obstacles qui nuisent à cette préparation. Plus spécifiquement, elles explorent le réseau de soutien des personnes âgées LGBT et la perception qu’elles ont des résidences pour personnes âgées.

Pour ce faire, elles ont mené quatre entretiens de groupe à Montréal auprès de dix-huit personnes : six hommes gais, cinq femmes lesbiennes, deux femmes trans et cinq intervenants communautaires. Pour participer, les personnes devaient être âgées de soixante ans ou plus, s’identifier LGBT et déclarer avoir au moins une maladie chronique (ex. : diabète). Cette étude a été réalisée en partenariat avec divers organismes défendant les droits personnes âgées LGBT[1].

La peur de se tourner vers les autres

Les personnes aînées interrogées disent avoir de la difficulté à demander de l’aide à leur famille d’origine lorsque le besoin se présente. Certaines ont appris à se débrouiller seules pour ne pas prendre le risque de dévoiler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.

 « Et puis, on n’a jamais demandé : « Hey! J’ai besoin d’aide, moi. » Parce que tu ne pouvais pas le faire. Si tu le faisais, là, on te découvrait… Alors tu retiens ça. Alors, moi, j’ai passé ma vie comme ça. »

– Un homme gai.

Identifier des personnes de confiance vers lesquelles se tourner pour obtenir de l’aide est difficile, puisque le réseau social des personnes aînées change au fur et à mesure qu’elles vieillissent. Par exemple, la perte d’un partenaire amoureux ou d’amis intimes, qui représentent parfois les seuls piliers sur lesquels elles peuvent compter, peut mener à l’isolement.

La famille choisie : une source d’entraide et de solidarité

Bien que quelques personnes aînées disent avoir une relation harmonieuse avec leur famille d’origine, dans plusieurs cas, les liens sont rompus ou affaiblis à la suite du dévoilement de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle.

« Pour ma famille, je suis une extraterrestre. Ils ne m’acceptent pas. Ils me tolèrent comme lesbienne, mais je ne suis pas acceptée. »

– Une femme lesbienne.

Dans ce contexte, elles accordent une importance toute particulière à leur « famille choisie »[2], composée d’amis ou de partenaires de longue date avec qui elles ont un lien émotionnel très fort. Bien souvent, les membres de la famille choisie sont la principale source de soutien sur laquelle elles peuvent compter.

« J’ai toujours dit que j’ai une famille choisie dans mes amis à Montréal. Je suis très proche d’eux et puis je sens beaucoup plus de compréhension de mes amis. Je me sens beaucoup plus proche d’eux que de ma famille. »

– Un homme gai.

La famille choisie peut donc compenser des lacunes dans les relations avec la famille d’origine.

« Ça ne serait pas ma famille qui prendrait soin de moi, c’est mes amies. Comme je prends soin d’elles quand elles ne vont pas bien. On est, je ne sais pas moi, une dizaine qui ne se laisseraient jamais tomber, surtout pas parce qu’on est malade. »

– Une femme lesbienne.

Conscients de cette réalité, les intervenants communautaires cherchent à favoriser le réseautage entre les personnes aînées LGBT, à l’aide, par exemple, de programmes d’entraide ou de groupes de soutien. Cependant, les personnes aînées LGBT sont difficiles à rejoindre, puisqu’elles ne s’identifient pas comme telles et préfèrent s’exclure.

« Les personnes LGBT sont plus difficiles à rejoindre, on dirait. Ils s’excluent. Il y a de l’auto-exclusion aussi. Ils s’excluent parce qu’ils ont passé leur vie à s’exclure, alors ils ont pris une mauvaise habitude. »

– Un intervenant du réseau communautaire.

Les résidences pour personnes aînées : un retour dans le placard?

Les personnes aînées participantes admettent les avantages  à vivre en résidence : la qualité du milieu de vie, des activités en groupe, un accès plus direct aux soins. Cela dit, le milieu de la santé et des services sociaux demeure majoritairement hétéronormatif  et n’est pas nécessairement adapté aux réalités des personnes LGBT. Elles ont peur d’être victimes des préjugés ou de subir de la discrimination de la part des autres résidents ou des intervenants si elles « sortent du placard ».

La clientèle LGBT est peu visible dans les résidences pour personnes âgées. Comment l’expliquer? D’une part, les auteures rappellent que parler de la sexualité des personnes âgées, c’est tabou, et que c’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de minorités sexuelles.

« D’autant plus que la sexualité reste un énorme tabou, la sexualité des aînés… Alors qu’on arrive à parler d’homosexualité, hé hé! On est loin. »

– Un intervenant du réseau communautaire.

D’autre part, les personnes aînées vivant en résidence se sentent souvent forcées de cacher leur orientation sexuelle. Bien sûr, certains établissements se disent ouverts et sensibles aux réalités de cette communauté. Par contre, cette ouverture est parfois conditionnelle à ce que les personnes LGBT se fassent discrètes. Comme le soulignent les auteures :

« Lorsque la question de la visibilité est abordée plus en profondeur, par exemple en référence aux démonstrations d’affection devant les autres résident.e.s, la réponse est claire : cela peut choquer, donc il vaut mieux s’abstenir. »

De plus, les formulaires que doivent remplir les personnes à leur arrivée en résidence présupposent souvent qu’elles sont hétérosexuelles par défaut et que la personne proche aidante est un membre de la famille. Une telle situation peut provoquer un malaise et une réticence à dévoiler son orientation sexuelle ou son identité de genre. Un important travail de sensibilisation est donc nécessaire auprès des gestionnaires et du personnel travaillant dans ces milieux.

Une piste de solution : sensibiliser les intervenants

Les acquis de la communauté LGBT sont encore récents et demeurent fragiles. Les générations plus âgées gardent des traumatismes de leur vie passée et ont appris à cacher leur orientation sexuelle pour éviter de subir de la discrimination ou de la violence. De nombreuses personnes aînées en résidence évitent ainsi de dévoiler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, craignant de ne pas être respectées par les intervenants ou les autres résidents.

Dans certains cas, les personnes aînées LGBT vont même jusqu’à éviter les services qui leur sont offerts. Leurs proches aidants, le plus souvent des membres de leur famille choisie, assument alors eux-mêmes un maximum de services et courent un risque accru de surmenage.

Pour faire face à cet enjeu, le programme Pour que vieillir soit gai, mis en place par la Fondation Émergence, offre des formations aux intervenants qui œuvrent auprès des aînés afin de les sensibiliser à la réalité des personnes LGBT et de les outiller pour mieux répondre aux besoins de cette clientèle.

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[1] Aînés et retraités de la communauté (ARC), Aide aux trans du Québec, Centre des femmes de la Petite-Patrie, Fondation Émergence, Maison Plein Cœur et Projet Changement.

[2] Les auteurs parlent de « famille choisie » pour désigner cet entourage immédiat, composé de personnes avec lesquelles il y a une proximité émotionnelle, en dehors de tout lien biologique. La famille choisie peut comprendre le ou la partenaire (reconnu légalement ou non), des ex-partenaires et des ami.e.s intimes.