À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Madeleine Huot, « La médiation familiale en présence de violence conjugale : Quels sont les moyens mis en place pour assurer la sécurité des personnes ? » publié en 2019, dans Nouvelles pratiques sociales, vol. 30, n° 2, p. 268-288.

  • Faits saillants

  • Certains professionnels croient que la médiation familiale en contexte de violence conjugale est à proscrire, puisqu’elle mettrait en jeu la sécurité et l’intérêt des femmes et des enfants.
  • Pour d’autres professionnels, l’intervention des médiateurs familiaux permet de dépister les risques de violence conjugale et de mettre en place des stratégies pour protéger les victimes.
  • Comme ils ont peu de contrôle sur ce qui se passe entre les séances, les médiateurs familiaux craignent que les femmes et les enfants soupçonnés de subir de la violence à la maison soient victimes d’agression ou de harcèlement une fois hors de leur bureau.
  • Pour limiter les comportements violents de la part de l’ex-conjoint, les médiateurs familiaux l’encouragent à contacter des ressources d’aide et lui apprennent à éviter les pertes de contrôle.

En cas de rupture, les parents qui souhaitent arriver à une entente sans recourir aux tribunaux peuvent faire appel à la médiation familiale. Cependant, lorsque la violence conjugale fait partie de l’équation, la situation est particulièrement délicate. Dans quelle mesure la médiation est-elle une bonne idée dans ce contexte ? Sachant que le risque de voir la violence se poursuivre ou s’aggraver après la séparation est élevé[1], les médiateurs familiaux doivent faire des pieds et des mains pour assurer la sécurité des familles. 

C’est l’un des constats de l’étude de Madeleine Huot, réalisée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en service social en collaboration avec le Comité des organismes accréditeurs en médiation familiale (COAMF). Elle interroge huit médiateurs familiaux ayant entre 12 et 32 ans d’expérience afin de comprendre comment ils composent avec la violence conjugale dans leur pratique. Portrait d’un enjeu controversé et méconnu. 

Médiation familiale en contexte de violence conjugale : pour ou contre ?

La médiation familiale en contexte de violence conjugale, une bonne idée ? Ça se discute ! « Les femmes et les enfants d’abord ! », affirment certains professionnels, notamment les intervenantes en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Selon elles, la sécurité et l’intérêt des femmes et des enfants sont compromis. Par exemple, les ententes convenues en médiation pourraient mettre les personnes violentées à risque, puisqu’elles doivent maintenir un lien avec leur agresseur dans le cadre d’une garde partagée. 

D’autres estiment que cette avenue est possible, car le médiateur est en mesure de dépister la violence, d’améliorer la communication entre les parents et de mettre en place des stratégies pour assurer la sécurité des personnes violentées. Médiation par téléphone, ajout d’un addenda au contrat de médiation, mise en place de balises claires à l’égard des échanges de garde d’enfants : plusieurs stratégies sont mises en place pour que le processus soit sécuritaire. Mais ces mesures sont-elles efficaces ou même suffisantes ? 

Rien n’est plus dangereux que l’impression de sécurité

Impuissants : voilà comment se sentent certains médiateurs familiaux lorsque vient le temps de protéger les victimes entre les séances de médiation. Agression au domicile ou au milieu de travail, harcèlement, intimidation… les risques sont importants ! Comme ils n’ont aucun contrôle sur ce qui se passe hors de leur bureau, ils se disent très préoccupés une fois la séance terminée. 

« La médiation est le lieu de communication où des choses peuvent sortir et puis ne plaisent pas à l’un ou à l’autre. Et la réaction vient toujours à la sortie. Jamais en rentrant. Avant, on a le contrôle. Après, on s’aperçoit qu’on n’avait pas le contrôle. Donc, c’est toujours après qui est la période la plus critique s’il y a violence présente et active. » 

– Un médiateur familial

Pour faire face à ces dangers, ils mettent en place des protocoles de sécurité avec la personne violentée. Par exemple, ils peuvent lui attribuer la garde des enfants pendant que l’ex-conjoint consulte les ressources appropriées et s’assurer qu’elle trouve refuge dans un centre pour femmes victimes de violence conjugale. Certains médiateurs impliquent aussi la famille et les amis de la victime, notamment en demandant à un proche d’être présent lors des séances ou en désignant un contact d’urgence.

Éviter un drame, une étape à la fois

Et du côté du conjoint violent ? Les médiateurs sont unanimes : leur plus grande crainte est qu’il se suicide ou qu’il passe à l’acte, soit en blessant son ex-partenaire et les enfants, soit en commettant l’irréparable.  

« Dans l’entretien individuel, je pose des questions là-dessus ; jusqu’où la personne va dans ses idées ? « Moi j’ai des idées noires », oui, comment noires ? Un peu comme on fait quand on est en situation de crise. Jusqu’où la personne a un plan d’action pour agir soit sur elle, soit sur ses enfants ? Par exemple, le genre de monsieur qui me dit « en tout cas, moi si je ne peux pas voir mes enfants, je ne sais pas trop ce qui va arriver ». Il va arriver à quoi ? À qui ? Quand ? »

– Un médiateur familial

Pour éviter pareil drame, ils encouragent la personne violente à contacter des ressources d’aide et garantissent un suivi. Ils lui donnent aussi des outils pour qu’elle puisse reconnaître les pertes de contrôle avant qu’elles ne surviennent, et ainsi les éviter. 

Bien entendu, les risques peuvent prendre forme durant la rencontre. Comment les limiter ? À ce sujet, les médiateurs ne manquent pas d’inspiration : prévoir des heures d’arrivée et de départ différentes, prendre des pauses pour calmer les tensions, rencontrer les parents séparément pour vérifier s’ils sont aptes à poursuivre la séance, offrir un service de navette à la personne violentée, etc. 

Une solution au problème ou un problème à la solution ?

Malgré toutes les stratégies adoptées pour limiter le danger, la médiation familiale en contexte de violence conjugale soulève d’importantes préoccupations chez les professionnels. Alors que certains estiment que cette pratique est dangereuse, d’autres croient qu’elle est possible, à condition que des accommodements soient mis en place pour assurer la sécurité de tous. Selon l’autrice, il importe de procéder au cas par cas et d’évaluer si les avantages surpassent les inconvénients pour la famille. 

Bien que d’autres options existent en cas de séparation, la médiation familiale est la seule option financée par le gouvernement. Les autres possibilités, comme le tribunal et la justice participative, sont coûteuses et ne sont donc pas accessibles à tous les ménages. Comment mieux répondre aux besoins d’une clientèle moins fortunée ? Comme le soulignent les médiateurs interrogés, seuls leurs collègues spécialisés en violence conjugale devraient intervenir dans ces dossiers. Et les enfants dans tout ça ? Puisque le choix de les impliquer ou non dans le processus revient au médiateur, explorer les enjeux liés à leur participation en médiation familiale offrirait une perspective complémentaire. 


[1] STATISTIQUE CANADA. (2014). La violence familiale au Canada : un profil statistique. Récupéré au : http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/160121/dq160121b-fra.htm