Avoir un enfant ? Pas question ! D’aussi loin qu’elle se souvienne, Audrey, 25 ans, n’a jamais voulu devenir mère. Elle envisage depuis plusieurs années une méthode contraceptive permanente : la stérilisation. Même si sa décision est mûrement réfléchie, son médecin se montre difficile à convaincre. Comme Audrey, de plus en plus de jeunes femmes désirent rester sans enfant, mais se heurtent à des barrières dans l’accès à la stérilisation. Comment expliquent-elles ce non-désir d’enfant ? Pourquoi les professionnels sont-ils si réticents à pratiquer l’opération ? Même si plusieurs raisons motivent le choix de ces femmes, les médecins craignent qu’elles ne regrettent leur décision par la suite.
Que de délicates questions sur lesquelles se sont penchées Marie-Alexia Masella et Emmanuelle Marceau, respectivement doctorante en bioéthique et professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Leur constat : dans bien des cas, l’autonomie des femmes se trouve confrontée à la déontologie des médecins. Les chercheuses effectuent une revue de littérature afin de comprendre les raisons qui mènent les jeunes femmes à ne pas vouloir d’enfant et les arguments qui poussent le personnel soignant à s’opposer à la ligature tubaire, dite « stérilisation volontaire »[1]. Elles émettent également des recommandations afin de mieux guider les pratiques entourant la stérilisation chez les femmes de moins de 30 ans.
Ne pas avoir d’enfant : un choix encore tabou
Accès à la contraception et à l’avortement, prise de distance avec la religion, vision de plus en plus positive vis-à-vis de la limitation des naissances : ces changements, survenus au cours des dernières décennies, ont mené à une augmentation des demandes de stérilisation volontaire chez les femmes de moins de 30 ans.
Dans la littérature, les femmes qui désirent ne pas avoir d’enfant portent un nom : childfree. Qu’est-ce qui motive ce choix ? Pour plusieurs, ce désir peut naître dès l’adolescence et perdurer. Certaines souhaitent se concentrer sur d’autres aspects de leur vie comme leur carrière ou leurs loisirs, ou tout simplement avoir plus de liberté. D’autres ne souhaitent pas assumer les responsabilités et les coûts importants engendrés par la maternité.
Sur le plan relationnel, beaucoup se disent heureuses d’être en couple et souhaitent se concentrer sur leur relation amoureuse, ou encore se réapproprier leur corps et leur sexualité. Elles évoquent également des raisons médicales, comme éviter de transmettre une pathologie génétique au bébé. Enfin, on constate que de plus en plus de femmes souhaitent limiter le nombre de naissances, car l’avenir de la planète les préoccupe. Pour elles, la stérilisation est une solution infaillible qui comporte peu d’effets secondaires, comparativement aux autres méthodes contraceptives.
Quand l’autonomie des unes s’oppose à la déontologie des autres
Accepter ou non une requête de stérilisation ? Tout un dilemme qui tiraille les médecins. « Un soin ne doit être réalisé que s’il est nécessaire » : voilà ce que dit leur Code de déontologie. Pas étonnant, alors, que certains aient l’impression d’aller à l’encontre de leur devoir en acceptant une telle demande, expliquent les chercheuses.
« Il existe dans la demande de stérilisation faite par une jeune femme de moins de 30 ans sans enfant, un réel conflit entre le respect de son autonomie, via l’acceptation de sa demande, et la non-malfaisance souhaitée par le personnel soignant, c’est-à-dire ne pas nuire à la femme en étant à l’origine de regrets ou en portant atteinte à sa capacité reproductive. » (Masella et Marceau, 2020)
Au-delà de leur Code de déontologie, sur quels critères se basent les médecins ? L’âge, le statut conjugal et la situation familiale de la patiente. Plus celle-ci est jeune, plus ils auront tendance à écarter la demande du revers de la main. Celles qui n’ont pas encore d’enfant sont aussi plus à risque d’essuyer un refus. Enfin, les médecins sont moins enclins à accepter la demande de femmes ayant connu des difficultés conjugales ou émotionnelles dans les derniers temps. Leur principale crainte ? Que leurs patientes regrettent leur choix.
Ces critères ne sont pas totalement infondés : celles qui déplorent leur décision finale sont plus souvent jeunes et sans enfants. Toutefois, malgré le risque existant, rares sont les femmes qui regrettent cette procédure. En outre, celles qui vivent des regrets ne les définissent pas comme profonds ou insupportables, mais plutôt comme un sentiment de nostalgie ou un doute passager.
Le Montreal Model : une piste de solution
Comment résoudre un tel dilemme ? Selon les autrices, plutôt que de refuser l’option d’une ligature, le personnel soignant devrait adopter une approche fondée sur l’échange, la discussion et la collaboration. Pour les chercheuses, il est important que les médecins prennent le temps de développer une relation de confiance avec leurs patientes, qu’ils prennent en compte leur histoire de vie et qu’ils évaluent les facteurs qui pourraient indiquer un éventuel regret. Après avoir traversé ces étapes, le choix final devrait revenir à la patiente.
Des modèles se basant sur cette approche voient peu à peu le jour au Québec. C’est le cas du Montreal Model, développé en 2010 à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, et qui préconise un partenariat entre patients et professionnels de la santé. L’objectif ? Mettre l’accent sur le rôle actif et central des patients dans leur prise en charge. Selon ce modèle, la patiente partage son expérience de vie et le médecin apporte son expérience clinique. Plusieurs rencontres sont donc nécessaires afin de discuter des méthodes contraceptives alternatives, des motivations de la patiente, de ses antécédents médicaux et de son état psychologique. Au fil des rencontres, les professionnels de la santé sont alors en mesure d’obtenir le consentement éclairé de la patiente. Une approche qui pourrait amener plus de médecins à accepter la ligature tubaire et éviter aux femmes de traverser une course à obstacles pour que le corps médical prenne leur demande au sérieux.
[1] Intervention qui consiste à bloquer les trompes de Fallope afin d’empêcher l’ovule de se rendre à l’utérus. (Source : Fédération du Québec pour le planning des naissances, 2016.)