Note : Un jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 25 avril 2025 stipule qu’un enfant doit légalement pouvoir avoir plus de deux parents. Limiter la filiation d’un enfant à deux parents irait à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 29 mai 2025, le gouvernement provincial a confirmé porter la décision en appel, invoquant l’intérêt et la protection de l’enfant.
Au Québec, un enfant ne peut avoir que deux parents : impossible donc pour une troisième personne d’obtenir ce statut aux yeux de la loi! Cette restriction place les familles québécoises au sein desquelles plusieurs adultes font figure de parents dans une vulnérabilité légale importante. Certaines provinces canadiennes ont cependant choisi de reconnaître ce modèle familial et de mettre en œuvre un cadre juridique. L’Ontario, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique figurent parmi celles-ci. En effet, depuis 2013, cette dernière offre la possibilité à plus de deux personnes d’être légalement reconnues comme parents d’un enfant. Régies par la Loi sur le droit de la famille, les balises du multiple parentage font actuellement l’objet d’une réévaluation. L’objectif? Les modifier afin qu’elles s’accordent mieux aux réalités des familles. Définition, limites et propositions de changements : que peut-on apprendre de l’expérience des Britanno-Colombien·ne·s au sujet de l’encadrement légal de la plurifiliation?
Plurifiliation ou Multiple parentage : la définition selon la loi britanno-colombienne
Le multiple parentage se fonde sur 3 concepts :
- La reproduction assistée : L’enfant doit être conçu autrement que par le biais d’une relation sexuelle (procréation assistée, insémination artisanale, etc.).
- Mère de naissance : La personne qui donne naissance à l’enfant doit être l’un des parents.
- Parents d’intention : Trois personnes sont impliquées dans le projet familial. La loi exige que deux de ces personnes soient dans une relation conjugale. L’entente doit être prise entre les trois parents avant la conception de l’enfant.
Ainsi, la loi prévoit qu’avant la conception de l’enfant, une entente écrite doit être prise entre les parents d’intention et la mère de naissance, ou bien, entre la mère de naissance, une personne avec qui elle est en relation conjugale et une autre personne qui a l’intention d’être l’un des parents. L’expérience démontre que la possibilité de reconnaître plus de deux parents au sein d’une même famille n’a pas eu pour effet de multiplier de façon importante ce modèle familial.

Les limites?
Le nombre maximum de 3 parents, l’exigence d’une relation conjugale entre deux des parents et l’obligation d’une conception par procréation assistée sont perçus comme des limites.

Entre le texte de loi et les réalités familiales, des écarts
Constatant des écarts entre le texte de loi, son interprétation par les tribunaux et la réalité des familles, le ministre de la Justice mandate, en 2021, le British Columbia Law Institute (BCLI), un organisme à but non lucratif de réforme du droit, pour réfléchir à l’opportunité de modifier l’ensemble du régime sur les rapports parents-enfants dans la Loi sur le droit de la famille. L’article concernant le multiple parentage en fait partie. Dans son rapport déposé en février 2024, l’organisme y inscrit 34 propositions de modifications prenant la forme de réflexions. On retrouve parmi celles-ci :
- Permettre à plus de deux parents d’avoir un statut par rapport à un enfant lorsque l’enfant est conçu par relation sexuelle.
- Si la précédente modification est apportée, inclure un article qui précise qu’il doit y avoir une entente avant la naissance plutôt qu’avant la conception.
- Ne pas mettre de limites sur le nombre de parents potentiels.
- Mettre en œuvre un système permettant aux enfants conçus par don de gamète d’avoir accès à de l’information menant à l’identification des tiers de procréation.
- Changer le vocabulaire en se concentrant davantage à décrire le rôle des personnes impliquées. Le terme « mère de naissance » pourrait ainsi être remplacé par « personne qui donne naissance à l’enfant ».

Des recommandations qui nécessitent des réflexions
Certaines recommandations proposées demandent une réflexion plus approfondie. En effet, il importe de se demander quelles conséquences pourrait avoir le fait de permettre la conception par relation sexuelle sur certaines populations, comme les couples lesbiens et les femmes seules. Il est également important de penser aux pressions que des personnes pourraient subir dans des contextes d’intimité. Bien que permettre la conception par relation sexuelle puisse être important et intéressant pour nombre de familles, notamment polyamoureuses, cela peut promouvoir une conception de la sexualité et de l’intimité, et véhiculer certaines idées : qu’il s’agit, par exemple, d’un moyen moins coûteux et plus efficace que la reproduction assistée.
Quant à la proposition liée à l’entente entre les parents, elle fait surgir de nombreuses questions : est-ce réellement un avantage que les ententes puissent se faire plus tardivement dans le processus, soit avant la naissance plutôt qu’avant la conception? Est-ce seulement plus compliqué et plus confondant? Les ententes devraient-elles conserver une forme écrite ou non? Les parties devraient-elles obligatoirement consulter un·e avocat·e?
Un effort de compréhension et d’inclusion
Est-il nécessaire de modifier la loi actuelle? Oui! Bien que les propositions de réformes tentent de réduire l’écart entre le droit et les réalités familiales, certains angles morts demeurent. Quoi qu’il en soit, le ministère de la Justice fait preuve de proactivité et d’ouverture quant à l’inclusion des familles pluriparentales dans la loi en Colombie-Britannique. Il évite également de se cacher derrière certains mythes, notamment que ce modèle familial ne serait pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant ou qu’il pourrait entraîner des litiges complexes. Une posture intéressante dont le Québec pourrait peut-être s’inspirer.