À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Danyka Therriault, Andrée-Anne Houle, Julie Lane, Jonathan Smith, Patrick Gosselin, Pasquale Roberge et Audrey Dupuis « Portrait des symptômes d’anxiété généralisée chez les élèves du secondaire : l’importance de la prévention, du dépistage et de l’intervention », publié en 2022 dans Santé mentale au Québec, volume 47, no 1, p. 263 à 287.

  • Faits saillants

  • Le trouble d’anxiété généralisé est l’un des troubles les plus présents chez les adolescent·e·s. Il affecte entre 1% et 4% des jeunes âgée·e·s entre 12 et 18 ans. Parce qu’il présente des symptômes intériorisés, il passe souvent inaperçu.
  • Les filles sont 8,1 fois plus à risque que les garçons de présenter des symptômes élevés d’anxiété généralisée.
  • Les élèves de 5e secondaire présentent plus de symptômes élevés d’anxiété généralisée que les élèves de 1re secondaire. Cette différence pourrait s’expliquer par des exigences scolaires plus grandes, la transition vers les études postsecondaires et le fait d’occuper un premier emploi.
  • Les jeunes qui grandissent dans des familles monoparentales ou recomposées présentent plus de symptômes élevés d’anxiété généralisée que les jeunes vivant dans des familles intactes. Le fait de devoir s'adapter à des milieux différents ou être exposé aux conflits des parents, par exemple, peuvent être générateur de stress.
  • Les adolescent·e·s qui disent se sentir fortement soutenu·e·s leurs parents présentent plus de symptômes élevés d’anxiété généralisée. Il est possible que les parents d’enfants anxieux cherchent à les accommoder ou à les surprotéger pour éviter qu’ils vivent une certaine détresse. Mais à long terme, ces pratiques semblent aggraver les symptômes d’anxiété.

Reconnu comme étant l’un des troubles les plus présents chez les adolescent·e·s âgé·e·s de 12 à 18 ans, le trouble d’anxiété généralisée affecterait entre 1% et 4% des jeunes de cette tranche d’âge. S’il passe souvent inaperçu par la nature de ses symptômes, il n’est pas sans conséquences. Les difficultés rencontrées par les jeunes qui en souffrent sont préoccupantes et peuvent affecter leur fonctionnement personnel, familial, scolaire et social. Bien que le trouble d’anxiété généralisée ait été peu étudié, la littérature scientifique disponible énonce le fait qu’il se développerait en la présence de différents facteurs. Le sexe, le niveau scolaire, la configuration familiale et le niveau de soutien perçu des parents semblent jouer un rôle clé. Combien de jeunes Québécois·e·s sont concerné·e·s par cette problématique? Quels groupes présentent des symptômes d’anxiété plus élevés?

Une équipe de recherche de l’Université de Sherbrooke s’est concentrée sur la prévalence du trouble d’anxiété généralisée chez les jeunes Québécois·e·s. Désirant en apprendre davantage sur les caractéristiques associées à un niveau de symptôme élevé et les facteurs de risque associés, elle a interrogé 8 698 élèves de la 1re à la 5e secondaire répartis dans 5 régions administratives (Centre-du-Québec, Estrie, Mauricie, Montérégie et Saguenay–Lac-Saint-Jean). La fréquence des symptômes d’anxiété généralisée a été mesurée chez ces jeunes à l’aide d’un questionnaire. Les réponses colligées ont été regroupées en 3 catégories en fonction du niveau de leurs symptômes : faible, moyen, élevé. Une autre analyse a permis d’identifier si certains facteurs, comme l’âge, le niveau scolaire, le soutien familial, la peur du jugement des autres, le perfectionnisme, l’estime de soi, etc., peuvent prédire le risque d’appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories.

Anxiété et genre : un écart marqué entre les filles et les garçons

Ce qui distingue le trouble d’anxiété généralisée des autres troubles anxieux? « La présence d’inquiétudes excessives et incontrôlables ainsi que d’anxiété concernant plusieurs situations du quotidien. » Si ce trouble vient avec plusieurs autres symptômes, c’est la tendance excessive à s’inquiéter que l’on considère comme sa caractéristique centrale.

L’étude révèle que 35,1% des élèves interrogé·e·s présentaient un faible niveau de symptômes, 40,2 % un niveau de moyen et 24,7%, un niveau élevé. On retrouve un plus grand pourcentage de filles dans la catégorie des symptômes élevés d’anxiété généralisée, soit 35,7% contre 10,3% de garçons. À l’inverse, on retrouve une majorité de garçons (52,3%) dans la catégorie « faible niveau de symptômes » contre 21,8% de filles.

Si les sentiments dépressifs, la peur du jugement des autres et l’attitude négative face aux problèmes augmentent les risques chez les adolescent·e·s de faire partie de la catégorie « symptômes élevés », le fait d’être une fille est le facteur qui l’augmente le plus. En effet, elles sont 8,1 fois plus à risque de se retrouver dans cette catégorie. Pourquoi? Cela semble en partie provenir de différences biologiques et génétiques, mais pas uniquement. Le processus de socialisation distinct pour les filles et les garçons influencerait aussi ce résultat. Les filles mentionneraient être plus exposées et plus sensibles aux stresseurs présents en contexte social. Elles seraient également plus habilitées que les garçons à reconnaître les symptômes d’anxiété.

Le niveau et le régime d’étude, une influence?

Qui sont les jeunes qui présentent le plus de symptômes élevés d’anxiété? Les plus jeunes ou les plus âgé·e·s? De la 1re à la 5e secondaire, on observe une augmentation du nombre de jeunes présentant des symptômes élevés d’anxiété. En 1re secondaire, le pourcentage est de 19,2%, alors qu’il grimpe à 30,2% en 5e secondaire. Le nombre d’élèves aux prises avec de légers symptômes d’anxiété généralisée, quant à lui, diminue, passant de 39,2% en secondaire 1 à 30,2% en secondaire 5. Comment expliquer ces changements? Les exigences scolaires de plus en plus soutenues pourraient expliquer l’augmentation constante de l’anxiété à travers les années scolaires. Plus tard, la transition vers les études postsecondaires, puis le fait d’occuper un premier emploi pourraient également la favoriser.

Et le régime d’étude? Les programmes enrichis sont perçus comme étant plus anxiogènes. On pourrait alors s’attendre à ce que les élèves inscrit·e·s dans ces programmes présentent des symptômes d’anxiété plus élevés que les jeunes en parcours régulier. Mais ce n’est pas ce que montrent les résultats. On observe peu de différences entre les jeunes des programmes réguliers et enrichis. Un autre constat intéressant? La majorité des jeunes qui progressent dans un programme d’adaptation scolaire présentent un faible niveau de symptômes d’anxiété. Le fait que ces programmes soient mieux adaptés aux différents besoins des jeunes – moins d’élèves par groupe, plusieurs matières enseignées par un·e même professeur·e ce qui diminue le nombre d’intervenant·e·s, une pédagogie différente – semble expliquer cette moins grande présence d’anxiété.

Des configurations familiales plus ou moins stressantes

Est-ce que le fait d’évoluer dans une famille intacte, monoparentale ou recomposée peut agir sur le niveau d’anxiété? Il semblerait que oui. Les jeunes qui grandissent dans des familles monoparentales ou recomposées présentent plus de symptômes élevés d’anxiété généralisée. Pourquoi? Le fait de devoir s’adapter à une nouvelle situation sociale et financière et d’être exposé·e·s aux conflits entre leurs parents, dont ils ou elles peuvent penser être la cause, peuvent être générateur de stress. Il est également possible que certain·e·s aient à s’adapter à deux milieux très différents, et à composer avec un manque de cohérence entre les façons de faire de leurs deux parents. Le pourcentage plus faible de symptômes d’anxiété élevés chez les élèves vivant dans des familles intactes pourrait être dû à une cohésion familiale plus forte et une relation de meilleure qualité avec leurs parents.

Trop de soutien familial, c’est possible?

Les adolescent·e·s qui disent se sentir fortement soutenu·e· présentent plus de symptômes élevés d’anxiété. Inattendu comme résultat.

Les parents d’enfants anxieux peuvent développer certains réflexes, comme l’accommodation et la surprotection pour protéger leur(s) enfant(s) de la détresse et de la souffrance. Il est possible que les jeunes perçoivent ces agissements comme du soutien, mais à long terme, ils semblent plutôt aggraver leurs symptômes. En effet, les résultats tendent à montrer que les jeunes qui présentent des symptômes élevés fonctionnent bien dans leur environnement familial. L’adolescence est associée au développement de l’autonomie et de l’indépendance affective. Mais pour ce faire, l’adolescent·e doit se détacher progressivement du noyau familial. La peur du jugement des autres, le perfectionnisme, et l’intolérance à l’incertitude, par exemple, pourraient compliquer le développement de cette forme d’indépendance chez les jeunes aux prises avec des symptômes élevés d’anxiété. Cela expliquerait pourquoi ce sont les situations à l’extérieur du milieu familial qui sont plus problématiques chez ces adolescent·e·s.

Pour des interventions adaptées au niveau de symptômes

Parce qu’ils sont intériorisés, les symptômes d’anxiété passent souvent inaperçus ou sont repérés tardivement, ce qui laisse plusieurs jeunes seul·e·s avec leur souffrance et leur détresse. La présente étude participe à une meilleure connaissance des facteurs liés au trouble d’anxiété généralisée : peur du jugement des autres, perfectionniste élevé, attitude négative face aux problèmes, etc. Sensibiliser les adultes significatifs, comme lesenseignant·e·s et les intervenant·e·s scolaires, à l’importance de ces facteurs pourrait permettre à ces derniers d’être détectés plus rapidement. Davantage d’études sont toutefois nécessaires pour saisir toute la portée de ce trouble. Si les facteurs individuels et familiaux liés à l’anxiété ont été plus analysés, les facteurs environnementaux et sociaux pouvant y être associés ont été peu considérés. Une plus grande compréhension du développement du trouble d’anxiété généralisée pourrait permettre un meilleur dépistage et la mise en place de programmes de prévention et d’intervention ciblés. Cela, afin d’éviter que l’état des adolescent·e·s qui présentent des symptômes d’anxiété ne s’aggrave et s’enracine, pour finalement évoluer vers un diagnostic.