« Papa, pourquoi maman a un deuxième amoureux? » En Amérique du Nord, près d’une personne sur cinq a déjà été impliquée dans une relation non monogame consensuelle (NMC) au cours de sa vie, et cette tendance gagne en importance chez les jeunes adultes. Face à cette transformation des relations intimes et amoureuses, comment les parents québécois engagés dans de telles relations abordent-ils cet aspect de leur quotidien avec leurs enfants?
Une équipe de recherche analyse les données qualitatives d’une étude conduite en 2018-2019. Cette recherche menée auprès de 34 participant·e·s polyamoureux et polyamoureuses, ou en couple ouvert, majoritairement québécois·e·s, vise à sonder les dynamiques familiales et parentales en contexte de relation non monogame consensuelle. L’échantillon, composé de 18 hommes et 16 femmes vivant généralement seul·e·s avec leurs enfants ou avec un·e partenaire et leurs enfants, inclut 19 personnes s’identifiant comme non hétérosexuelles. L’objectif des chercheuses? Mieux identifier les défis auxquels font face les parents québécois non monogames qui souhaitent faire preuve de transparence envers leur progéniture, et les stratégies qu’ils adoptent pour y parvenir.
Amour à deux ou à plusieurs : les différentes façons d’être ensemble
S’aimer à deux, c’est bien, mais si s’aimer à plusieurs, c’était mieux? Gagnant en popularité, les relations non monogames consensuelles ou « relations plurielles » se posent comme une alternative au duo amoureux traditionnel. Souvent définies comme des accords qui permettent d’avoir des aventures sexuelles hors du couple, les relations ouvertes contrastent avec le polyamour, où l’on vise davantage à développer plusieurs partenariats amoureux simultanément.
Ces approches sont cependant perçues et adoptées différemment d’une personne à l’autre. Au sein des relations plurielles, les partenaires s’accordent la liberté de vivre des expériences amoureuses ou sexuelles en dehors de leur partenariat, et ce, dans la plus grande transparence. Ce style de relations peut prendre diverses formes, les plus connues étant les relations ouvertes et polyamoureuses.
Bien que la majorité des participant·e·s à l’étude s’identifient comme polyamoureux ou polyamoureuses, chacun vit sa relation plurielle à sa manière. Pour certain·e·s, l’amour multiple fait maintenant partie intégrante de leur identité tandis que d’autres l’utilisent surtout pour pimenter leur quotidien.
« La vie de famille, la routine est tellement imposante. […] Elle [la copine de mon conjoint], son rôle, c’est de lui permettre vraiment de s’évader, dans un certain sens, de la lourdeur du quotidien d’avoir une famille. […] »
– Tania, participante
Relations plurielles et parentalité : harmonie ou chaos?
Parmi les adultes rencontrés dans le cadre de l’étude, nombreux sont ceux qui voient d’un bon œil la conciliation amours multiples et famille. Parmi les avantages, ils et elles citent notamment : le partage des ressources financières et matérielles, la possibilité d’offrir des modèles parentaux diversifiés à leurs enfants et le fait de pouvoir compter sur plus d’un coparent pour prendre soin de leur progéniture.
D’autres parents sont toutefois plus prudents en ce qui concerne le dévoilement d’une relation multipartenaire à leurs enfants.
Malgré ces défis, la majorité des parents interrogé·e·s aimeraient pouvoir parler ouvertement de leur mode relationnel avec leurs enfants et intégrer activement leurs partenaires dans leur dynamique familiale, reflétant une vision plus communautaire de la famille.
Le dévoilement aux enfants : une étape complexe mais nécessaire
Les témoignages recueillis auprès des répondant·e·s mettent en lumière les nombreuses zones d’ombres qui accompagnent la divulgation d’une relation libre à ses enfants. On peut en dégager quatre grands facteurs susceptibles de peser dans la balance au moment du choix : les préoccupations relatives à la perception sociale ou légale, la capacité des enfants à saisir les enjeux liés à la sexualité et à la conjugalité, le taux de certitude du parent face à ses décisions relationnelles, et la perspective de l’adulte sur les contraintes et bénéfices d’un noyau familial traditionnel.
Dans un monde où le duo amoureux prévaut, les relations plurielles sont souvent mal comprises ou méconnues, conduisant à des préjugés et une perception sociale inexacte. Par conséquent, les personnes engagées dans de telles relations font preuve de prudence lorsqu’elles révèlent leur mode relationnel. Certaines redoutent aussi que l’information puisse être ébruitée par leurs enfants. Cette crainte est particulièrement présente chez les parents séparés ou divorcés, car la divulgation d’une relation plurielle pourrait remettre en cause les accords de garde existants. Hormis ces défis, nombreux sont ceux et celles qui voient le dévoilement de leur relation comme une occasion de favoriser l’ouverture à la différence chez leurs enfants.
Qu’en est-il de la capacité des enfants à comprendre les enjeux de conjugalité? Si quelques participant·e·s préfèrent attendre que des questions leur soient posées, d’autres choisissent d’être proactifs et proactives et abordent ces sujets dès qu’ils et elles considèrent que leurs enfants sont assez vieux pour bien les assimiler. Cela permet entre autres de contrebalancer les idées reçues sur les relations traditionnelles à deux personnes. D’un autre côté, si le dévoilement est fait maladroitement ou trop tôt, certains parents craignent que l’enfant l’interprète comme un signe avant-coureur de séparation. À cela s’ajoute un malaise plus large ressenti par une partie des répondant·e·s face à l’idée d’aborder la sexualité avec leur progéniture, une situation délicate que l’on retrouve aussi fréquemment chez les couples monogames!
En règle générale, une majorité voit la discussion autour de l’amour libre comme un vecteur de valeurs d’honnêteté, de respect et de transparence. Pour ces parents, cela vient de pair avec la liberté personnelle, le consentement et la capacité à défendre ses droits et ses sentiments.
Famille et pluriamour, un mariage heureux?
Dévoiler sa relation plurielle, c’est aussi inclure de nouvelles personnes dans le cercle familial. Peu importe le type de relation, ce n’est pas toujours une étape facile pour les parents! Certains préfèrent attendre avant d’aborder cet ajout à la famille avec leurs enfants, car encore incertain·e·s de vouloir le maintenir à long terme. D’autres, même s’ils sont convaincus que l’amour libre ou le polyamour est la meilleure option pour eux et elles, trouvent que leur relation amoureuse est trop récente pour la présenter officiellement aux enfants. Souvent, l’envie pour un parent de discuter de cette situation avec ses enfants évolue parallèlement à ladite relation, puisqu’elle devient une partie intégrante de son quotidien.
Parmi les facteurs qui influencent une potentielle divulgation, la manière dont les parents perçoivent les avantages et les inconvénients d’une famille comprenant un seul couple monogame a son importance. Dans l’étude, un certain nombre de participant·e·s considère qu’une famille avec plus de deux parents est un idéal qui permet de dépasser les limites du noyau familial classique. Cependant, quelques parents choisissent de garder secret leur mode de vie amoureux, car ils souhaitent préserver la structure traditionnelle de leur famille.
Bien que la perspective des enfants sur les relations multiples de leurs parents soit encore peu connue, il est néanmoins possible de dégager certains des avantages et inconvénients qu’ils perçoivent quant au fait de grandir dans un contexte pluriparental.
Tracer la voie vers l’acceptation
Naviguer à travers la complexité des relations humaines tout en maintenant à flot sa cellule familiale présente plusieurs défis pour les Québécois·e·s qui choisissent un autre type de relation que la monogamie. Se heurtant notamment à l’absence de reconnaissance légale, ces parents doivent parfois dissimuler leur mode de vie afin de protéger leurs proches. Cela finit par entraver la pleine expression de leur identité. Le manque de ressources d’accompagnement et la faible conscientisation aux enjeux de pluriparentalité dans le milieu psychosocial jouent également contre eux et elles.
En dépit des obstacles, les Québécois·e·s interrogé·e·s dans le cadre de cette recherche voient le futur d’un œil positif. Plusieurs parents engagés dans des relations plurielles vivent des situations qui s’apparentent à celles des familles recomposées et homoparentales, montrant qu’ils sont confrontés à des défis semblables en matière de reconnaissance légale et sociale. Actuellement, même si le Code civil du Québec limite la reconnaissance légale à deux parents, plusieurs regroupements militent en faveur d’un changement de paradigme en la matière. Leur espoir? Que le Québec emboîte le pas aux autres provinces canadiennes qui accordent déjà un statut légal aux familles pluriparentales… sous certaines conditions!