À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Mathieu Roy, Étienne Lavoie-Trudeau, Marie-Andrée Roy, Irma Clapperton, Yves Couturier, Julie Lane, Linda Bibeau, Myrthô Ouellette et Chantal Camden, « Community Outreach with Families of Young Children: Practices and Impacts in Quebec, Canada », publié en 2021 dans le Journal of Social Service Research, vol. 57, no 5.

  • Faits saillants

  • Les enfants qui grandissent dans un contexte de vulnérabilité socioéconomique font face à des défis majeurs incluant l’isolement familial, le manque de ressources et l’absence de prise en charge médicale.
  • À l’intersection du travail social et de l’intervention communautaire, le travail de proximité est une pratique qui vise à améliorer la santé et le bien-être de groupes de personnes vivant des difficultés sur les plans économique et social.
  • Les travailleurs et travailleuses de proximité agissent comme des intermédiaires pour les familles québécoises vulnérables, faisant le lien entre elles, leur communauté et les services publics.
  • Pour intervenir auprès des familles québécoises en situation de vulnérabilité ayant de jeunes enfants, les intervenant·e·s de proximité utilisent une approche axée sur l’écoute, le respect du rythme de chaque famille et la construction d’une relation de confiance durable.

Au Québec, le quotidien des familles en situation de vulnérabilité est parsemé d’embûches. Contraintes à jongler entre précarité économique, isolement et manque de ressources, elles peinent à s’extirper de leur condition. Or, lorsque le contexte de vie au sein du foyer compromet le bien-être et le développement de jeunes enfants, trouver et orienter les familles vers les services appropriés devient plus qu’urgent. Mais comment rejoindre ces ménages qui ne savent pas vers qui se tourner ou qui se méfient d’un système public de soins de santé jugé trop complexe et impersonnel? Une partie de la solution réside peut-être dans les efforts que déploient les travailleurs et travailleuses de proximité.

Si les principes de base du travail de proximité sont bien connus au Québec, on en sait beaucoup moins sur les pratiques des personnes qui vont à la rencontre des familles les plus vulnérables, particulièrement celles qui ont des enfants de 0 à 5 ans.

Afin de déterminer les tâches que les intervenant·e·s de milieux québécois·e·s accomplissent, et la manière dont les familles ayant de jeunes enfants perçoivent les effets de leurs interventions, une équipe de recherche de l’Université de Sherbrooke, du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie et de l’organisme Avenir d’enfants mène une enquête qualitative exploratoire. Centrée sur le territoire des Cantons-de-l’Est, où le travail de proximité est bien ancré, l’étude porte sur trois sources de données : une revue de la littérature, des entrevues individuelles et des groupes de discussion. Quatre groupes de participant·e·s font partie de l’échantillon : des travailleurs et travailleuses de proximité, des parents bénéficiant de leurs services, des employé·e·s du système de santé et des partenaires issus de secteurs connexes au réseau de la santé (organismes communautaires, centres de la petite enfance et départements municipaux liés aux services de proximité). Les conclusions de cette recherche renforcent l’idée que les pratiques du travail de proximité devraient être à la fois encouragées et soutenues.

Les enfants en première ligne : une course contre la montre

Manque de nourriture, de vêtements adéquats, d’hygiène, de structure, voire de stimulation : voici la dure réalité des enfants qui grandissent dans un contexte de vulnérabilité. À défaut d’intégrer le système de santé, nombreux sont celles et ceux qui vivent aussi avec un trouble physique, psychologique ou développemental non traité (trouble du spectre de l’autisme, trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité et anxiété – pour ne citer qu’eux). Si l’isolement est l’une des barrières les plus hautes qui se dressent sur la route des familles aux prises avec ces difficultés, les répercussions les plus insidieuses touchent particulièrement les enfants. Mis·e·s à l’écart au sein même de leur famille, ces petit·e·s humain·e·s ont peu d’interactions avec leurs parents tandis que certain·e·s se voient même contraint·e·s d’endosser le rôle de l’adulte.

La précarité face à la machine administrative québécoise

Pour couronner le tout? Certains parents de bouts de chou nés en contexte de précarité nourrissent un sentiment de méfiance ou d’incompréhension à l’égard des services sociaux et de santé. Que ce soit par peur de perdre la garde à la suite d’un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse ou par manque de connaissance des ressources disponibles, ces adultes ont du mal à solliciter l’aide dont leur famille a besoin. Cette peur peut même conduire à des situations dans lesquelles les enfants ne sont pas inscrits à la maternelle, ce qui alimente le cercle vicieux de l’isolement familial. Il arrive aussi que, malgré la volonté de faire appel au système public, ces familles soient rebutées par les listes d’attentes interminables ou les processus administratifs rigides, surtout si leur capacité de lecture ou d’écriture en français est limitée.

« Je veux y aller, mais je ne sais pas comment faire. Je ne veux pas y aller seul. […] Le système de soins de santé fait peur. C’est l’hôpital, pas la maison. Le système de soins de santé n’a pas de sens […], c’est trop gros. »

– Propos d’un parent rapportés par un·e intervenant·e de proximité (traduction libre)

De toute évidence, les questions auxquelles les travailleurs et travailleuses de proximité doivent trouver des réponses sont majeures : comment aider les familles vulnérables à sortir de l’ombre pour surmonter leurs appréhensions du système public québécois? Comment outiller adéquatement les parents afin de construire un environnement dans lequel leurs enfants pourront s’épanouir?


Le travail de proximité, l’importance de se faire voir

Interprètes, confident·e·s, guides… nombreux sont les chapeaux que doivent porter les intervenant·e·s de proximité auprès des familles québécoises en situation de vulnérabilité! À vrai dire, le personnel de première ligne s’appuie généralement sur une approche moins conventionnelle de l’intervention : l’approche globale. Au lieu de reposer sur l’éducation formelle ou la transmission d’informations, cette pratique mise sur l’importance d’être présent·e, d’écouter et de respecter le rythme de chaque famille.

Pilier du travail de proximité, l’approche globale prend racine dans le vécu des familles. Elle se caractérise par une grande flexibilité, la valorisation des compétences de l’intervenant·e et surtout, la mise en place d’une relation de confiance durable avec les familles. Et dans les faits? C’est une méthode qui semble faire la différence puisqu’elle permet aux bénéficiaires de célébrer leurs réussites et de participer activement au développement de leur capacité d’agir, d’exercer un contrôle sur leur vie.

Dans le cadre de leurs fonctions, les travailleurs et travailleuses de proximité sont entre autres appelé·e·s à faire le pont entre les familles et les organismes publics. Ils et elles décodent le langage administratif, orientent les parents à travers les méandres du système en les aidant à comprendre leur situation tout en assurant une présence familière.

Afin de pouvoir appliquer cette approche auprès d’une clientèle qui tend à s’isoler, les intervenant·e·s de milieu doivent cependant être aptes à sortir des sentiers battus. Que ce soit en placardant des affiches à des endroits stratégiques, en maintenant une présence sur les médias sociaux ou en offrant un transport, l’important, c’est d’être là!

« Tous les prétextes sont bons. L’idée est de créer un premier contact. […] Plus vous êtes vu, plus vous faites partie du tableau. La personne viendra vous parler comme si vous vous connaissiez, même si ce n’est pas vraiment le cas. »

– Intervenant·e de proximité (traduction libre)

Quand la stratégie porte ses fruits

Soutenir activement les familles vulnérables et agir comme un remède à l’isolement : voici les principaux mandats des intervenant·e·s de proximité. Leur implication semble aussi améliorer les liens que les membres d’une même famille entretiennent les un·e·s avec les autres. En organisant diverses activités de nature sociale, ces personnes permettent aux enfants et à leurs parents de socialiser avec autrui, favorisant le partage, la communication et la convivialité. Lorsque ces échanges dans la communauté aboutissent à de nouvelles rencontres, jeunes et moins jeunes s’ouvrent à de nouvelles perspectives, ce qui, en retour, contribue à étendre leur réseau de soutien.

Outre l’augmentation du capital social des familles, l’apport des services de proximité se fait aussi sentir sur le degré d’autonomie dont elles jouissent. Les parents gagnent en assurance, leur estime de soi se renforce et leurs compétences parentales se développent. Outillés et accompagnés par leurs intervenant·e·s communautaires, ils répondent mieux aux besoins de leurs enfants, adoptent des comportements plus sains et sortent de leur coquille. Au bout du compte, cela favorise aussi le développement et le bien-être global de leurs enfants, les encourageant à consolider leur autonomie et à communiquer davantage leurs émotions.

Humaniser l’accès aux services : le Québec vers un soutien plus inclusif

Dernier champ d’action du travail de proximité, et non le moindre: l’accès des familles vulnérables aux ressources du secteur de la santé et des services sociaux. La proximité avec les intervenant·e·s crée un climat de confiance qui encourage les familles à se tourner vers le secteur public en cas de besoin. Cette relation les aide à mettre un visage familier sur les services, à humaniser leur fonctionnement et à comprendre leur utilité. Outre l’accès au système, la recherche indique que l’accompagnement de proximité améliore la continuité des soins pour les familles et veille à ce que les enfants reçoivent l’aide dont ils ont besoin.

Par son approche humaine et adaptative, le travail de proximité apparaît comme une composante clé de l’accompagnement des familles québécoises en situation de vulnérabilité. En réduisant l’isolement des familles ainsi que les obstacles qu’elles rencontrent en matière d’accessibilité aux soins, les intervenant·e·s de milieu jouent un rôle crucial dans l’amélioration de leur qualité de vie et celle de leurs enfants.

Le gouvernement du Québec reconnaît la valeur de ce travail de terrain qui se fait en amont. Le ministère de la Famille mise d’ailleurs sur le financement de deux initiatives : un projet pilote qui permettra de mieux documenter les impacts du travail de proximité sur les familles isolées1 et un programme de soutien financier visant à améliorer l’accès aux services de proximité pour les familles autochtones en milieu urbain2.

Face à l’expansion du travail de proximité, l’équipe de recherche insiste toutefois sur la nécessité de mener d’autres études en situation réelle pour mieux cerner les besoins des familles vulnérables.


1 Gouvernement du Québec. (2023). « Projet pilote : retombées du travail de proximité avec les familles isolées ». Repéré le 16 octobre 2023 à https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-financiere-services-familles/organismes-communautaires-associations-nationales-employeurs-municipalites/projet-pilote-retombees-travail-proximite-familles-isolees

2 Gouvernement du Québec. (2023). « Programme de soutien financier pour du travail de proximité culturellement adapté aux familles autochtones en milieu urbain ». Repéré le 16 octobre 2023 à : www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-financiere-services-familles/organismes-communautaires-associations-nationales-employeurs-municipalites/travail-proximite-culturellement-adapte-familles-autochtones