À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Chantale Simard, « L’accompagnement d’un enfant atteint de cancer : une expérience aux multiples contextes pour les familles habitant loin des centres spécialisés », publié en 2023 dans la revue Enfances Familles Générations, no 42, p. 166-192.

  • Faits saillants

  • Pour les familles qui doivent soutenir leur enfant malade, mais qui vivent loin du centre hospitalier apte à le prendre en charge, l’éloignement ne se mesure pas uniquement en kilomètres, mais aussi en difficulté d’accès à des soins médicaux spécialisés.
  • Appelées à fréquenter plusieurs établissements de soins simultanément, les familles qui vivent loin des grands centres urbains et qui accompagnent un enfant atteint de cancer peinent à établir des relations de confiance durable avec le personnel soignant.
  • Pour les familles en région éloignée dont l’enfant souffre d’un cancer, la routine et les rôles de chacun ne sont jamais fixes, et doivent constamment être réajustés en réponse aux besoins médicaux.
  • Le diagnostic de cancer pédiatrique et les défis propres au contexte d’éloignement affectent profondément les relations familiales et amicales, engendrant des répercussions émotionnelles durables , en particulier chez la fratrie (sentiment d’abandon, changements de comportement, etc.).
  • La communication, cruciale dans le processus de résilience des familles dont un enfant est atteint d’un cancer, est souvent entravée par l’éloignement géographique, soit par des obstacles techniques, soit par la difficulté d’exprimer des émotions à distance.

Qu’est-ce que ça signifie de vivre en région éloignée? Certain·e·s vous diront que ça permet d’oublier le tumulte de la grande ville, de se rapprocher de la nature ou encore d’apprécier le charme d’une communauté tissée serrée. Pourtant, si l’on interroge des familles résidant hors des grands centres urbains et confrontées au diagnostic de cancer de leur enfant, la perception de la distance est radicalement différente. Pour elles, l’éloignement se traduit davantage par une routine constamment bouleversée, des trajets interminables et des au revoir déchirants.

Guidée par la volonté de comprendre la réalité des familles accompagnant un enfant atteint de cancer en contexte d’éloignement (FAECCÉ), Chantale Simard, professeure-chercheuse à l’Université du Québec à Chicoutimi, s’intéresse aux facteurs susceptibles d’entraver leur processus de résilience. À partir d’entrevues semi-dirigées, menées individuellement ou en groupe, elle plonge dans le quotidien de ces familles courageuses ainsi que dans celui des infirmières qui se tiennent à leurs côtés. À partir des témoignages recueillis dans quatre centres hospitaliers affiliés au CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, la chercheuse fait ressortir les dessous de cette expérience peu ordinaire et met en évidence la nécessité de considérer son contexte géographique spécifique.

Quand la distance devient une épreuve de résilience

Afin de capturer fidèlement l’expérience vécue par les familles participant à cette étude, il est essentiel de définir ce qu’est un « contexte d’éloignement ». Si cette notion renvoie souvent à la ruralité et aux milieux peu habités, la présente recherche met davantage l’accent sur l’importante distance géographique qui sépare les familles des services pédiatriques hautement spécialisés. Dans la lutte contre le cancer pédiatrique, cette réalité comporte de nombreuses embûches qui exacerbent la vulnérabilité de l’entourage et sollicitent sa résilience.

Dès l’instant où la maladie s’invite dans leur vie, les familles entrent dans une course contre la montre. Coordonner le départ précipité vers l’établissement de soins spécialisés, et maintenir le quotidien des membres qui restent à la maison : voici désormais l’équilibre à atteindre. À ce branle-bas de combat s’ajoutent l’appréhension d’un milieu peu familier et le poids de l’émotion, qui se vivent en accéléré, souvent sur la route, loin des repères habituels.

Une fois le premier séjour à l’extérieur terminé, le retour vers le nid familial s’avère rarement synonyme de répit. D’une part, l’éloignement géographique entrave l’accès direct à l’équipe médicale spécialisée en oncologie pédiatrique qui a su instaurer un climat de confiance et de sécurité. D’autre part, si le fait d’être loin marque un bris dans la continuité des soins spécialisés, les besoins médicaux de l’enfant demeurent bien réels. Considérant que les canaux de communication utilisés pour contacter les spécialistes manquent parfois de fiabilité, il est facile de comprendre comment le sentiment d’insécurité peut s’installer. Conséquemment, les membres de la famille se voient dans l’obligation de bâtir une nouvelle relation avec les soignant·e·s locaux moins spécialisés.

« Là-bas [hôpital spécialisé en oncologie pédiatrique], j’avais une certaine sécurité, parce que j’avais tous les soins, j’avais des infirmières à qui je pouvais parler. Mais quand je revenais ici [localité], je pleurais tout le long [trajet routier], parce que là, on aurait dit que je n’allais plus être capable d’avoir le même support que là-bas. »

– Une mère

Solidarité et solitude : les deux visages du cancer pédiatrique

Parmi les personnes interrogées, plusieurs indiquent qu’au centre hospitalier spécialisé, la présence des membres de l’entourage des autres enfants malades constitue une source de support. En plus de procurer du soutien, cette situation offre également un semblant de normalité aux enfants et à leurs familles éprouvées. Toutefois, les cas de cancer pédiatrique étant moins présents dans les hôpitaux régionaux, cet environnement s’avère difficile à recréer une fois rentré au bercail. En conséquence? Un isolement accentué pour les parents. Les résultats de la recherche suggèrent également que fréquenter deux institutions de santé à la fois peut nuire au entraver le développement d’un sentiment d’appartenance, autant envers le corps médical que vis-à-vis des autres familles.

« Là-bas [hôpital spécialisé], tu es toujours avec des gens qui ont le cancer, donc ça devient quasiment une normalité. Tu ne te sens pas toute seule. Tandis que quand tu arrives [localité], je me suis sentie toute seule. […] Je me suis dit : “Je suis toute seule à [hôpital de la localité] à avoir un enfant malade?” On dirait que ça ramène, le drame. »

– Une mère

Les communautés locales quant à elles, ont tendance à se mobiliser pour soutenir les familles qui composent avec le cancer d’un enfant. Or, bien que les familles interrogées soient reconnaissant·e·s et acceptent les dons avec humilité, de telles démonstrations d’empathie peuvent aussi empiéter sur leur intimité. Rien pour favoriser la résilience du noyau familial!

L’adaptation perpétuelle face à la maladie

Qu’elle soit mise en place sur le lieu de vie ou lors des périodes passées à l’extérieur, la routine familiale doit constamment être adaptée aux exigences imposées par la maladie de l’enfant. En effet, les familles doivent reconfigurer leurs activités quotidiennes et domestiques en fonction des différents soins, traitements et examens de suivi. Ces ajustements sont d’autant plus marqués quand des visites en établissement spécialisé doivent être reportées subitement, souvent à cause de l’état de santé de l’enfant ou de conditions météorologiques hasardeuses.

À leur arrivée au centre hospitalier spécialisé, les familles font face à des lieux et des circonstances qui perturbent leurs habitudes. Alimentation, sommeil, hygiène ou transport : les infrastructures peu adaptées rendent indispensable l’adoption d’une nouvelle routine.

En plus des défis pratiques engendrés par les nombreuses allées et venues, la nécessité d’une présence constante au chevet de l’enfant malade vient bouleverser les rôles et responsabilités de chacun·e. Devant accompagner leur enfant tout en gérant leur propre angoisse, les parents sont soumis à une pression énorme qui s’accentue à chaque nouveau rôle qu’ils doivent endosser. Certain·e·s peuvent par exemple être appelé·e·s à s’improviser soignant·e·s tandis que d’autres, tentent aussi bien que mal de pallier le manque de ressources spécialisées dans leur localité.. Souvent, cette multiplication des responsabilités à assumer se fait au détriment de leur bien-être personnel et professionnel.

« [À] l’ouvrage, quand je me suis fait engager, j’étais supposé être chef de chantier. Je me suis contenté d’être homme à travailler, point! »

– Un père

Ensemble, mais séparés : et si on parlait de la dynamique familiale?

Comme l’indique la recherche, un diagnostic de cancer pédiatrique a des effets profonds et durables sur le fonctionnement d’une famille, particulièrement si cette dernière vit en région éloignée. Face à une telle situation, les repères habituels ne tiennent plus, et les liens familiaux et amicaux sont mis à l’épreuve. La distance qui sépare le centre de soins spécialisés du milieu de vie habituel crée un fossé non seulement physique, mais émotionnel. Lorsque certains membres du foyer doivent s’éloigner pour accompagner l’enfant malade dans ses traitements, les conséquences se font ressentir sur toute la cellule familiale – et même au-delà. La fratrie est particulièrement vulnérable à ces répercussions. « Est-ce qu’il va bien? A-t-elle reçu les résultats de ses tests? » En plus de devoir composer avec une multitude de questions qui restent sans réponse, les frères et sœurs d’un enfant malade sont parfois victimes d’un sentiment d’abandon, de problèmes de concentration ou, encore, vivent des changements de comportement.

La communication, qui joue un rôle crucial dans la résilience familiale, est une autre source de difficulté propre au contexte d’éloignement identifiée par la chercheuse. Tandis que plusieurs familles rencontrent des obstacles d’ordre technique, tels que des applications de visioconférence défaillantes à l’hôpital, d’autres peinent surtout à exprimer leurs émotions à distance.

Loin, mais de moins en moins seuls

Traverser le tumulte provoqué par un diagnostic de cancer pédiatrique tout en affrontant les défis de l’éloignement relève de l’exploit : les familles, confrontées à des circonstances changeantes et un stress intense, sont à la merci de plusieurs facteurs susceptibles d’affecter leur processus de résilience. Afin de diminuer l’impact de ces paramètres tout en améliorant leur capacité à miser sur leurs forces, prendre en considération l’aspect contextuel de leur réalité semble impératif. C’est dans cette optique que la chercheuse propose un programme d’intervention clinique en sciences infirmières (PICSI). Son implantation pourrait notamment permettre d’offrir une prise en charge plus adaptée à la trajectoire de soins des familles étudiées.