Les familles des personnes souffrant de psychose ont longtemps été perçues comme des éléments négatifs contribuant et causant la maladie. Dans le passé, les interactions et les modes de communication familiale considérés « pathologiques » étaient pointés du doigt et les familles très peu impliquées, voire tenues à l’écart du processus de soins. Il faudra attendre les années 80 pour que des interventions regroupées sous le terme « d’approches familiales » contribuent à changer ces croyances. Aujourd’hui, la nécessité et les bienfaits de l’implication des familles lors d’un premier épisode psychotique ne sont plus à prouver. Quelle place leur fait-on dans le processus de soins? De quelles façons leur implication améliore-t-elle les interventions? Surtout, quels sont leurs besoins?
Une équipe de recherche s’intéresse au développement des approches en intervention familiale en santé mentale et aux pratiques actuelles dans les programmes d’intervention pour premiers épisodes psychotiques (PEP). Par une revue narrative des écrits, elle retrace l’historique de ces approches à partir de travaux signifiants dans le domaine. Les connaissances sur les façons de faire actuelles sont également obtenues par les résultats d’études récentes menées au Québec et ailleurs. Parmi les nombreux objectifs, figure le désir des auteur·e·s de répertorier les impacts et les besoins des familles lors d’un premier épisode psychotique puis d’identifier les défis associés à leur implication en intervention précoce.
Premier épisode psychotique, « l’effet d’un tsunami »
Identifier les premiers signes de l’apparition d’un trouble psychotique : pas simple pour les familles! Les manifestations sont sournoises et peuvent s’exprimer longtemps avant que le trouble n’atteigne sa phase aiguë. Sans compter qu’elles émergent souvent lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte et que certaines peuvent être confondues avec d’autres caractéristiques typiques de cette période de transition.
Un premier épisode psychotique suscite un grand sentiment de détresse psychologique chez les familles qui se retrouvent alors sans repères, d’autant que son évolution imprévisible les soumet également à un grand stress. Leur manque de connaissances sur l’organisation du système de santé, la peur du jugement, la culpabilité, la colère, la tristesse, la difficulté à reconnaître leurs propres besoins d’aide et de soutien, l’isolement ainsi que la crainte que le lien avec leur jeune soit complètement brisé font en sorte qu’il est difficile pour elles de demander de l’aide. Quelles en sont les conséquences? Les impacts négatifs d’une absence d’accompagnement sont sérieux : divorce, perte d’emploi, épuisement, dépression.
Trois approches, un objectif
Les impacts provoqués par un premier épisode psychotique semblent confirmer d’eux-mêmes la pertinence d’intervenir auprès des familles. De nombreux avantages sont observés lorsque ces dernières sont accompagnées. Le premier, et non le moindre : une qualité de vie améliorée. Mais les familles ne sont pas seules à retirer des bénéfices du support qu’elles reçoivent : la personne atteinte en tire également profit. L’implication des proches permet de prévenir une évolution du trouble, de diminuer les risques de rechutes et d’hospitalisation pour la personne concernée, de favoriser une meilleure acceptation du traitement médicamenteux par celle-ci et de réduire le désengagement des services. Tout le monde y gagne finalement!
Existe-t-il de meilleures façons de faire? Certainement! Des interventions réunies sous l’étiquette « d’approches familiales » font leurs preuves depuis plusieurs années déjà. Au nombre de trois, elles ont pour objectif d’aider les familles à mieux soutenir la personne qui vit avec un trouble en santé mentale.
Laquelle favoriser? L’efficacité éprouvée de l’approche psychoéducative en fait une option à privilégier pour intervenir en santé mentale auprès des familles. Les informer sur le trouble et ses traitements diminue leur charge émotive et réduit en retour, le stress vécu par la personne atteinte. L’approche comportementale peut être utilisée en continuité afin d’accompagner les familles dans le développement de certaines capacités reliées notamment, au rôle parental, à la communication et à l’organisation familiale. Plus pertinente lorsque la famille partage le quotidien de la personne atteinte, cette approche plus « pratique » se concentre davantage sur le « comment faire ».
De façon complémentaire, l’approche éducative permet, quant à elle, d’offrir aux familles la possibilité de rencontrer des gens qui partagent la même réalité, de normaliser leur vécu, de diminuer leur isolement et d’apprendre de l’expérience des autres.
Sans confiance, moins de résultats
Un élément essentiel s’ajoute aujourd’hui aux interventions lors d’un premier épisode psychotique : l’établissement d’un lien de confiance. L’approche « case management » (CM) est maintenant indissociable des programmes d’intervention pour ces troubles. Elle favorise un meilleur engagement dans l’intervention par le biais de la création d’une relation de confiance entre les professionnel·le·s, la personne atteinte et ses proches. Le fait d’assurer un suivi plus régulier avec les proches permet d’anticiper les crises et de mieux les gérer.
Plus facile à dire qu’à faire
En constatant les effets positifs des interventions familiales, il est tentant de croire que leur utilisation est largement répandue. Mais les chiffres montrent une réalité plus contrastée. Sur le terrain, ces interventions plus structurées ne sont proposées que par la moitié des programmes d’intervention pour premiers épisodes psychotiques et lorsqu’on leur en offre, très peu de familles décident d’y participer.
Pour les auteur·e·s, ce faible taux de participation des familles aux interventions familiales porte à croire qu’elles sont mal adaptées à leurs besoins. De nombreux facteurs influencent leur niveau d’engagement comme les contraintes d’horaire, les difficultés au niveau du transport, les barrières linguistiques et les différences culturelles, de valeurs et de croyances. Considérer ces éléments pourrait permettre de leur proposer des services mieux adaptés à leurs réalités.
De leur côté, les professionnel·le·s font parfois preuve de retenue face à ces approches et peuvent choisir de ne pas les intégrer à leur pratique. Le fait que les services en santé mentale soient orientés vers l’individu plutôt que sur l’ensemble de la famille agit aussi comme une barrière, de même que la persistance d’anciennes croyances. Un exemple? Celle affirmant que l’implication de l’entourage nuirait à l’autonomie de la personne atteinte.
Sans compter un obstacle supplémentaire, à savoir les professionnel·le·s qui appliquent parfois les lois et les politiques sur le respect de la confidentialité de façon trop stricte ou même incorrecte. De peur que le lien de confiance créé avec la personne concernée se brise ou par crainte d’une poursuite, ne divulguer aucune information à l’entourage, en s’appuyant sur leur obligation au secret professionnel peut devenir un choix privilégié. Cela a malheureusement pour effet de nuire aux collaborations avec les familles. Alors qu’elles-mêmes fournissent des informations essentielles aux équipes traitantes, la réciprocité n’est pas toujours présente. L’information en lien avec le diagnostic et l’évolution de l’état de santé de la personne atteinte, ainsi que des conseils, leur manque pour améliorer leurs interactions avec elle.
Adapter, accompagner, connecter
Bien que les façons de faire aient évoluées, du travail est encore nécessaire pour engager les familles davantage. Il importe de trouver des moyens pour que les approches familiales soient implantées dans les programmes pour premiers épisodes psychotiques de façon plus répandue. Les auteur·e·s suggèrent d’ailleurs d’explorer l’idée d’un « plan d’implication des familles ».
Dans un esprit de continuité et de complémentarité, établir des liens avec les organismes communautaires qui ont pour mandat de soutenir les familles semble essentiel. Malgré le peu de recherches existantes sur l’efficacité des approches éducatives, le soutien apporté par une personne ayant partagé le même vécu est de plus en plus reconnu. Ce type de support offert par « pairs aidants famille » (PAF) aide à diminuer le sentiment d’impuissance et l’anxiété ressentis par les familles. Pour l’équipe de recherche, le recours aux PAF représente un moyen concret de favoriser le développement des pratiques familiales.
Heureusement, plusieurs ressources extérieures aux programmes d’intervention pour premiers épisodes psychotiques sont offertes aux familles. Le Réseau Avant de Craquer en est un bon exemple. En plus de proposer des capsules vidéo, des pages d’informations et une ligne d’écoute, le site donne accès au répertoire des organismes, par région, qui ont pour mission de soutenir les familles dont l’un des proches souffre d’un trouble en santé mentale.