Devenir mère à un jeune âge et en contexte de vulnérabilité change profondément la façon de voir l’avenir. Après avoir traversé un parcours de vie fait de ruptures, de traumas ou d’instabilité, ces jeunes femmes investissent leur maternité comme un point d’ancrage, mais aussi comme un moteur de changement. Alors que le désir d’être une bonne mère est au cœur de leurs aspirations, il repose avant tout sur leur souhait de stabilité, de bien-être, de possessions matérielles et de relations saines. Ces ambitions prennent forme dans un contexte où les ressources et le filet social sont limités et où les attentes sociales envers elles sont élevées. Mais alors, quelle place prend la venue d’un enfant? Comment ces jeunes mères redéfinissent-elles leur avenir à travers leur rôle maternel?
Pour répondre à ces questions, des chercheuses de l’Université du Québec à Chicoutimi, de l’Université du Québec en Outaouais et de l’Université de Sherbrooke s’entretiennent avec 20 jeunes mères âgées de 18 à 26 ans, recrutées par l’entremise d’organismes d’aide destinés aux femmes en situation de vulnérabilité. Ces jeunes personnes se confient à propos de leurs souhaits pour l’avenir, contribuant à une meilleure compréhension de leur vécu et à l’amélioration des interventions qui leur sont destinées.
Un passé qui laisse des traces
Comprendre les réalités des mères en situation précaire? Un vaste chantier qui implique d’abord de reconnaître la diversité et la complexité de leur vécu. Être en situation de vulnérabilité, dans ce contexte, signifie avoir besoin de soutien face à une ou plusieurs problématiques liées à la santé, à des difficultés d’adaptation sociale, à des conditions de vie marquées par la précarité socio-économique, ou à des traumas vécus durant l’enfance. Pour de nombreuses jeunes femmes, cette vulnérabilité prend racine dans un passé difficile. Violences physiques ou psychologiques, placements répétés en famille d’accueil, instabilité résidentielle, voire exposition à l’itinérance ou à l’exploitation sexuelle : ces expériences de vie les fragilisent et peuvent engendrer un sentiment d’isolement, une faible estime de soi ou encore des symptômes d’anxiété. Elles se retrouvent alors en position de grande précarité, cumulant les ruptures, les déceptions et l’absence de soutien familial ou institutionnel, dans une société où l’idéal est celui d’une maternité exercée en situation de stabilité.
Des aspirations forgées par l’adversité : « devenir Superwoman »
Si l’adversité a jalonné le chemin de ces jeunes mères, elle n’a pas pour autant sculpté toute leur identité : elles sont bien plus que la somme de leurs épreuves. En leur attribuant un sens, elles y voient parfois une force acquise ou une motivation supplémentaire pour changer le cours de leur vie. Parce qu’elles ont connu la violence, l’abandon, l’instabilité ou l’isolement, elles sont déterminées à empêcher que ces difficultés se reproduisent, aussi bien pour elles que pour leurs enfants. Leurs aspirations s’enracinent ainsi dans leur passé, qu’elles cherchent à transformer en tremplin pour bâtir un avenir meilleur.
Pour concrétiser cet objectif, ces jeunes femmes convoitent une vie plus stable, un logement sécuritaire, un emploi et une autonomie financière. Faire des études ou travailler ne représente pas seulement une ambition personnelle, mais une manière concrète d’éviter la précarité. Posséder des biens matériels, vivre dans un environnement sain et nouer des relations empreintes de respect et de soutien s’ajoutent également à leur vision du bien-être. Derrière ces espoirs, se cachent souvent un idéal de perfection, une volonté d’atteindre un équilibre à la fois émotionnel, familial et financier – bref, l’ambition de « devenir Superwoman » (Pénélope, 23 ans) malgré les embûches et les opportunités restreintes.
La maternité comme moteur de changement
La maternité comme un point de bascule : l’arrivée de leur enfant donne un nouveau sens à la vie de ces jeunes femmes. Leur objectif devient on ne peut plus clair : lui offrir mieux que ce qu’elles ont reçu. Centrale, presque sacrée, cette quête de bien-être pour leur bébé les pousse à viser une stabilité inconnue d’elles-mêmes, marquée par l’indépendance. Pour plusieurs, la maternité éveille un désir de se reconstruire intérieurement, de devenir une « bonne personne ». Parfois, elles prennent pour modèles des personnes de leur entourage présentes dans leur passé, comme référence, non pas pour les imiter, mais pour éviter de reproduire de ce qu’elles ont elles-mêmes vécu.
« […] je veux vraiment avoir un métier pour montrer à mon fils que je suis une bonne maman puis le bon exemple […] je ne veux pas faire ce que mes parents ont fait. » – Magalie, 26 ans
Ces aspirations, souvent absentes ou floues avant la maternité, deviennent claires et urgentes une fois enceintes. Ainsi, c’est à travers le regard qu’elles portent sur leur enfant qu’elles trouvent la motivation de sortir de leur situation de vulnérabilité et de rêver un avenir meilleur.
Entre espoir et manque de soutien, dur d’aspirer à plus
En dépit d’un désir sincère de changement, leur vision de l’avenir se heurte souvent à l’absence de plan concret pour y parvenir. Si plusieurs d’entre elles identifient des objectifs précis, comme retourner à l’école, trouver un emploi stable ou atteindre un mieux-être psychologique, peu parviennent à traduire ces intentions en étapes réalistes ou en stratégies claires.
« De consulter pour m’aider parce que ça ne changera rien si je fais juste rester chez nous. Puis, juste prendre des pilules, ça gèle le problème. Ça ne le soigne pas. » – Julia, 21 ans
Dans ce contexte, l’aide professionnelle, dont celle des psychologues, des travailleurs et travailleuses sociales ou des intervenant·e·s, apparaît comme le seul appui tangible évoqué pour les aider à développer des actions concrètes. Sans accompagnement soutenu, ces jeunes femmes doivent souvent composer seules avec des attentes élevées, peu de ressources, et une impression persistante de devoir s’en sortir seules.
Miser sur les aspirations, une approche à privilégier
Cette recherche met en lumière le rôle transformateur de la maternité pour de nombreuses jeunes femmes en situation de vulnérabilité. Loin d’être perçue comme un frein, elle se mue en un espoir et une possibilité de reconstruction, réorientant leur regard vers l’avenir et donnant un sens à une trajectoire jusqu’ici fragmentée. Le désir d’être une « bonne mère » constitue désormais le moteur de leurs décisions et de leurs aspirations.
L’absence de soutien solide, non pas général, mais ciblé et aligné avec leurs convictions et leurs ambitions, les laisse seules face à des attentes élevées. Les résultats obtenus invitent à repenser l’offre de services destinée à ces jeunes mères. Très souvent centrées sur le rôle maternel ou orientées vers l’acquisition d’habiletés parentales sensibles aux besoins des enfants, les interventions ont une portée limitée considérant l’accompagnement nécessaire. Ces jeunes femmes ne cherchent pas qu’on leur dicte la marche à suivre, mais bien qu’on les accompagne dans la réalisation de leurs objectifs propres. Il est donc essentiel d’orienter cet accompagnement en fonction de leurs aspirations, de reconnaître leur vécu et de solliciter leur pouvoir d’agir. Une telle approche permettrait une voie durable de sortie de la précarité et serait bénéfique tant pour elles que pour leurs enfants.