À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de la conférence de Geneviève Pagé, « “C’est comme si j’avais deux vies, en fait, dans ma tête” : la place des origines pour des jeunes personnes de 14 à 25 ans adoptées en protection de la jeunesse (programme banque mixte) », présentée dans le cadre du colloque Dans l’ombre du droit de la famille : les pluriparentalités et la recherche des origines organisé par le partenariat de recherche Familles en mouvance, en collaboration avec l’Observatoire des réalités familiales du Québec, le 31 mai 2024

  • Faits saillants

  • La majorité des personnes adoptées souhaite obtenir de l’information sur leur passé, mais cette curiosité se manifeste à divers degrés. Certaines vont jusqu’à rencontrer leurs parents biologiques, alors que d’autres se satisfont de l’information obtenue au moment de leurs recherches.
  • La construction identitaire des personnes adoptées dans le cadre du programme banque mixte est complexe. En effet, elles doivent parvenir à composer avec leurs origines provenant de leur famille biologique ainsi que les circonstances ayant conduit à leur adoption. Elles doivent également concilier les différentes parties de leur histoire familiale avec leur vécu en famille d’adoption.
  • Les personnes adoptées qui cherchent à reprendre contact avec leur famille d’origine ne désirent pas remplacer leur famille adoptive par celle-ci. Lorsque la reprise de contact est réussie, elles perçoivent plutôt ces nouvelles relations comme des ajouts, ces liens s’additionnant à ceux déjà tissés avec leur famille adoptive.

Une majorité de personnes adoptées désirent en connaître davantage sur leurs origines. Alors que cette question est omniprésente pour certaines, d’autres se questionnent de façon épisodique, notamment au cours de l’adolescence. Le développement identitaire occupe une place importante pendant cette période. C’est souvent au cours de celle-ci que les jeunes entament des démarches afin d’obtenir de l’information au sujet de leur passé. Cette quête se révèle complexe et exigeante pour les personnes adoptées. En plus de jongler avec le fait d’avoir des origines différentes qui proviennent de leur famille biologique, elles ont à composer avec les circonstances particulières qui ont mené à leur adoption. Elles doivent également parvenir à concilier le passé avec le présent : ce qu’elles vivent ou ont vécu avec leur famille biologique et ce qu’elles connaissent au sein de leur famille d’adoption. Afin d’arriver à se construire une identité saine et cohérente, il semble nécessaire qu’elles puissent donner un sens à ces deux facettes de leur histoire. Lorsqu’elles sont interrogées au sujet de ces deux pans de leur vie, les personnes adoptées parlent d’une double connexion.

Une étude récente vise à mieux comprendre la construction de l’identité adoptive des jeunes personnes adoptées par le biais du programme québécois banque mixte. L’équipe de recherche de l’Université du Québec en Outaouais donne, pour la première fois, la parole à des jeunes âgé·e·s de 14 à 25 ans et qui ont été adopté·e·s dans leur enfance en protection de la jeunesse dans le cadre de ce programme. Elle cherche à en savoir davantage sur la place qu’occupent les origines dans la construction identitaire, puis comment les jeunes intègrent les circonstances de leur adoption dans leur histoire de vie. Enfin, elle s’intéresse à la quête de leurs origines et aux retrouvailles – s’il y en a – avec les membres de la famille d’origine.

L’histoire de mon adoption, c’est mon histoire!

Les jeunes interrogé·e·s sont unanimes : leur histoire d’adoption leur appartient. Ils et elles clament haut et fort que la décision d’agir sur celle-ci leur revient. Pour ceux et celles qui ont retrouvé leur(s) parent(s) biologique(s), qui y réfléchissent ou qui sont en processus, cette quête n’est pas une réponse à des difficultés vécues dans leur famille d’adoption. Ces jeunes ne cherchent pas une famille de « remplacement » et ne désirent pas laisser tomber leurs parents adoptifs si les parents biologiques sont retrouvés. La reprise de contact, lorsque réussie, est plutôt perçue comme un plus, un ajout dans leur vie, ces liens s’additionnant à ceux déjà tissés avec leur famille adoptive. Julien, exprime, en parlant de ses parents adoptifs :

« Je dirais que ç’a tout le temps été facile. Ils comprennent que. C’est juste comme … Ça va jamais les remplacer là. […] Je vais jamais [re]mettre en question notre relation ou leur place. C’est juste d’avoir plus d’informations à propos de où je viens puis ma famille plus étendue. C’est, c’est juste un ajout dans le fond. » – Julien, 20 ans, contacts indirects avec sa fratrie et famille élargie d’origine depuis quelques mois

L’importance de maintenir deux mondes séparés

Bien que les jeunes manifestent le désir de retrouver de l’information sur leurs origines, mélanger leurs deux mondes n’est pas un souhait. Ceux et celles qui ont fait des retrouvailles veulent garder le contrôle sur ces deux univers de leur vie et les maintenir séparés. Korinne, par exemple, a insisté pour aller seule à la première rencontre avec ses parents d’origine.

« Je sais pas, j’avais comme besoin de pouvoir dire des choses à eux, mais seulement à eux. Comme, pas qu’il y ait quelqu’un d’autre de ma vie. C’est comme si j’avais deux vies, en fait, dans ma tête. Ma famille biologique, ma famille adoptive […]. Je veux pas mélanger mes deux mondes, je ne sais pas pourquoi. Je veux juste séparer ces deux mondes-là. » – Korinne, 18 ans, retrouvailles avec ses parents d’origine à 17 ans

Si la situation se présente, les jeunes veulent pouvoir décider du moment où leurs deux familles se rencontreront et où leurs deux mondes se croiseront. Christine parle de ses parents adoptifs qui souhaitent rencontrer son père biologique.

« Mes parents veulent vraiment le rencontrer. […] j’étais là “Ok, tout le monde se calme, là c’est mes affaires, là c’est rendu mon histoire, vous, vous avez eu votre moment, mais moi j’vais décider quand j’vais être assez à l’aise avec mon père biologique pour l’amener ici”. » – Christine, 24 ans, retrouvailles avec son père d’origine à 22 ans.

La famille adoptive au centre, les parents biologiques en périphérie

Quelle place pour quelle famille? La famille d’origine est importante, mais les jeunes souhaitent conserver une juste distance. Ceux et celles qui ont vécu des retrouvailles affirment que leur famille adoptive demeure au centre de leur vie. Leur famille d’origine, elle, existe en périphérie.

Des jeunes expriment le besoin de poser certaines limites devant l’enthousiasme de leurs parents d’origine qui, très emballés, n’hésitent pas à utiliser les mots « fils » ou « fille » lorsqu’ils réfèrent à eux ou à elles. Les jeunes vivent cette reprise de contact différemment. Ils et elles ne se sentent pas forcément fils ou filles de leurs parents biologiques.

« [C]’est comme, c’est pas mes parents […] c’est des parents bio, mais c’est pas mes parents […] quand je dis maman, papa c’est pas d’eux que je parle, mais quand je suis avec eux, il y a comme un autre lien qui se crée. […] C’était plus de ce lien-là que j’avais besoin, pas tant de parents, plus du lien, de la relation avec eux. » – Korinne, 18 ans, retrouvailles avec ses parents d’origine à 17 ans

Les jeunes sont conscient·e·s que leur quête peut faire réagir leurs parents adoptifs et sont préoccupé·e·s par ce que cela peut leur faire vivre. Certain·e·s craignent que leurs parents se sentent laissés de côté ou moins considérés.

« J’ai comme l’impression que des fois ma mère, ça la rend émotive. Je pense que ma mère a peur que je la vois pas comme ma maman. » – Archie, 17 ans, retrouvailles avec sa fratrie d’origine à 13 ans.

Quoi dire et quand?

Dévoiler ou non à l’enfant qu’il a été adopté? À quel âge le faire? Lui permettre l’accès au nom de famille que ses parents biologiques lui ont donné? Les jeunes répondent « oui » à toutes ces questions. Oui et le plus tôt possible. Certain·e·s évoquent même le traumatisme lié au fait d’apprendre tard dans leur histoire qu’on leur a menti au sujet de leurs origines. Lorsqu’on demande aux jeunes s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose que le contact soit maintenu avec la famille biologique après l’adoption, les postures sont plus mitigées. Certain·e·s sont d’avis que les contacts devraient être évités au début, qu’il est préférable d’attendre un âge plus avancé, moment où ils et elles détiendront plus d’informations sur les circonstances de leur adoption. Cela permettrait alors de se faire sa propre idée et d’avoir la maturité nécessaire au moment des retrouvailles. D’autres croient qu’un contact devrait être maintenu dès l’adoption. Plusieurs disent ne pas savoir ou ne pas être en mesure de se positionner. Dans tous les cas, parvenir à réunir ces « deux vies » afin d’en faire un récit unifié et cohérent demeure une tâche complexe pour les personnes adoptées.