À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de la conférence de Milaine Alarie, « “Ça prend un village pour élever un enfant” : Perspectives de parents polyamoureux et de leurs enfants quant à l’intégration des partenaires amoureux·ses à la vie familiale », présentée dans le cadre du colloque Dans l’ombre du droit de la famille : les pluriparentalités et la recherche des origines, organisé par le partenariat de recherche Familles en mouvance, en collaboration avec l’Observatoire des réalités familiales du Québec, le 31 mai 2024.

Un carnet de colloque illustré a été réalisé à la suite de cet événement. Le présent texte y est présenté aux pages 17 à 22 (format PDF).

  • Faits saillants

  • Bien que la biparentalité soit la représentation familiale la plus répandue, des conceptions différentes de la famille existent, notamment chez les parents polyamoureux. Ces derniers vivent en couple non exclusif, c’est-à-dire qu’ils consentent à vivre des relations sexuelles et/ou amoureuses avec d’autres personnes, ensemble ou séparément.
  • Certains parents polyamoureux – qui entretiennent plusieurs relations amoureuses simultanément – partagent l’idée qu’il est bénéfique pour l’enfant que plus de deux adultes soient impliqué·e·s auprès de lui. Cela lui permet de recevoir plus d’amour, d’attention et de soutien.
  • Des parents polyamoureux font le choix de ne pas intégrer leur(s) partenaire(s) dans leur vie familiale. Pour certains, le polyamour est une façon de s’évader du quotidien parental, d’évacuer le stress, de prendre du temps pour soi et de se ressourcer.
  • De façon générale, les enfants qui vivent au sein de familles polyamoureuses apprécient le, la ou les partenaires de leur(s) parent(s). Leur âge et la fréquence des contacts sont deux facteurs qui influencent le lien qui se tisse entre les enfants et les partenaires.
  • Les enfants perçoivent le ou la partenaire de leur(s) parent(s) comme un·e adulte avec qui avoir du plaisir, qui contribue à répondre à leurs besoins matériels, qui prend soin d’eux, qui contribue à élargir leur cercle d’ami·e·s et qui participe au bien-être de leur(s) parent(s).

Même s’il est vrai qu’une diversification des modèles familiaux s’est imposée dans les dernières années, la représentation dominante de la famille demeure la biparentalité. Cette norme établie influence les façons de penser les relations intimes, le couple et la famille. Ainsi, l’idée qu’un enfant ne peut avoir que deux seuls vrais parents persiste, posant celle-ci comme un état de fait moralement supérieur et fondamentalement meilleur. Bien que cette vision de la famille soit la plus répandue, des visions différentes semblent se tailler une place dans la société québécoise. Certaines personnes pratiquant la non-monogamie consensuelle se retrouvent parmi celles qui portent un autre discours, notamment les parents polyamoureux. Pour plusieurs de ces parents qui entretiennent une ou des relations amoureuses avec plus d’une personne, la famille est un concept plus malléable. Ces derniers voient des bénéfices à impliquer différents adultes significatifs dans la vie familiale et auprès de leur(s) enfant(s).

Deux études complémentaires donnent accès à la perspective de parents polyamoureux et à celle d’enfants qui grandissent dans ce contexte. Alors que la première cherche, à partir du point de vue des parents, à mieux comprendre les structures familiales et les expériences de parentalité, la deuxième interroge les enfants qui évoluent dans ces structures. Quelles représentations se font-ils de la famille? Quels types de relations entretiennent-ils avec les différentes personnes qui gravitent dans leur univers familial?

Plus d’amour, de soutien et d’attention

Présenter ou non son, sa ou ses partenaires aux enfants? Oui, pour une majorité! La plupart des parents polyamoureux interrogés affirment que leur(s) partenaire(s) passent du temps avec leur(s) enfant(s). Combien de temps? La fréquence des contacts varie d’une famille à l’autre. Point positif pour les parents : le fait de les intégrer dans la vie familiale leur permet de compter sur du soutien émotionnel et une aide supplémentaires pour la garde des enfants ou les tâches domestiques. Les parents indiquent que chaque partenaire vient avec des compétences, des qualités et des connaissances différentes qui lui sont propres, et qui viennent compléter les leurs.

Pour plusieurs, inviter leur(s) partenaire(s) à s’impliquer signifie aussi que le ou les enfants reçoivent plus d’amour, d’attention et de soutien. Ils considèrent que cela est bénéfique sur le plan de leur développement émotionnel, cognitif et social.

« Je pense que notre fille reçoit en fait beaucoup plus d’attention parentale. Et cela se voit de plusieurs manières : je pense que son vocabulaire est très bien développé pour une enfant de son âge, parce que nous avons passé beaucoup de temps avec elle, à lui parler, etc. » – Phil, 55 ans

Pour plusieurs parents, l’intégration de leur(s) partenaire(s) dans la vie familiale représente une occasion d’enseigner à leur(s) enfant(s) l’ouverture d’esprit.

« Nous l’exposons à des styles de vie alternatifs, à des idées alternatives. […] Mon souhait est qu’elle grandisse entourée de toutes ces personnes fabuleuses [nos partenaires], de toutes ces idées fabuleuses, et que pour elle, ça soit simplement normal. […] » – Anna, 31 ans

Certains encore sont d’avis qu’en étant exposés au polyamour, les enfants assimilent des valeurs importantes pour le développement de relations intimes saines, comme le respect de soi et des autres, l’honnêteté et le consentement.

Le polyamour en parallèle

À l’inverse, d’autres parents préfèrent vivre leur polyamour en parallèle de la vie familiale. Cette situation concerne un peu plus du tiers des parents interrogés, qui confient ne pas avoir informé leur(s) enfant(s) de leur mode relationnel. Pourquoi? Le choix de ne pas intégrer leur(s) partenaire(s) à la vie familiale est influencé par plusieurs éléments, à commencer par les défis de reconnaissance légale et d’acceptation sociale. La perception que les enfants ne sont pas capables de comprendre les enjeux liés à la sexualité et à la conjugalité en est un autre. L’incertitude par rapport à leurs choix conjugaux y figure également alors que certains parents ne savent pas s’ils veulent vivre le polyamour à long terme. Plusieurs parlent également du polyamour comme une façon de s’évader du quotidien parental. Un moyen pour évacuer le stress, prendre du temps pour soi et se ressourcer. En ce sens, l’intégration de(s) partenaire(s) dans la vie familiale leur apparaît contreproductive. Enfin, certaines personnes polyamoureuses considèrent que le mode parental idéal est le mode biparental et qu’il est préférable pour les enfants d’avoir uniquement deux parents qui résident sous le même toit.

Je l’aime, je l’aime bien, je l’aime un peu

Que pensent les enfants du ou des partenaires de leur(s) parent(s)? Les cartes circulaires révèlent qu’ils les apprécient de façon générale. Les deux tiers des enfants ont placé l’un des partenaires dans la section « j’aime beaucoup » et la moitié a situé un·e partenaire dans le cercle « je l’aime bien ». Deux facteurs semblent influencer les liens qui se tissent entre les enfants et le(s) partenaire(s) de leur(s) parent(s) : l’âge de l’enfant et la fréquence des contacts. Les enfants âgés de 5 à 11 ans sont plus susceptibles de dire qu’ils aiment beaucoup le ou la partenaire de leur(s) parent(s). De leur côté, les adolescent·e·s tendent davantage à le ou la classer dans la section « j’aime un peu » ou à l’exclure de leur carte. Les enfants qui disent côtoyer plus souvent le ou la partenaire sont plus susceptibles de se sentir fortement attachés à cette personne et de la considérer comme importante dans leur vie.

Le ou la partenaire de mon parent, un·e adulte qui…

Maman aime papa, mais elle a aussi un autre amoureux. Quelle place ce dernier occupe-t-il dans ma vie? Lorsqu’on demande aux enfants ce que représente cet·te adulte pour eux, cinq principales représentations émergent de leurs réponses.

  • Un·e adulte avec qui avoir du plaisir. Des enfants disent avoir créé un lien avec le ou la partenaire par le biais du jeu. Cette personne leur apprend de nouvelles choses intéressantes ou partage un passe-temps avec eux.

« Je le vois un peu comme une personne cool qui vit avec nous et que j’aime. […] On joue souvent ensemble à un jeu vidéo, à la télé, qui est comme juste là [pointe vers la télévision]. J’aime m’asseoir sur le sofa à côté de lui et le regarder jouer. » Diego, 9 ans

  • Un·e adulte qui contribue matériellement à leur bien-être.
  • Un·e adulte qui prend soin d’eux. Des enfants nomment qu’ils apprécient que le ou la partenaire soit là pour eux, en apportant soin et soutien. Ils décrivent cet·te adulte comme un·e confident·e ou une personne de confiance, sur qui ils peuvent compter en cas de besoin.
  • Un·e adulte qui contribue à élargir le cercle d’ami·e·s. Plusieurs enfants (13) ont été en contact avec les enfants des partenaires de leur(s) parent(s). Beaucoup déclarent aimer jouer avec eux et elles ou les considèrent comme faisant partie intégrante de leur vie.
  • Un·e adulte qui contribue de façon positive à la vie de leur(s) parent(s). Cette conception est principalement partagée par les adolescent·e·s et les préadolescent·e·s.

« Vu qu’il habite dans une autre ville, on le voit presque jamais. Alors moi, ça fait qu’il est dans ma vie, mais pas beaucoup. Et en même temps, c’est l’amoureux à ma mère, alors il fait partie de ma vie. […] Il est gentil avec moi et il est gentil avec ma maman. Alors ça fait que j’aime beaucoup ça.» – Samia, 10 ans

Des relations significatives avec plusieurs adultes? Pourquoi pas!

Si la plupart des parents polyamoureux ont une vision de la famille qui s’éloigne du modèle biparental, tous n’ont pas le désir de repenser la famille au-delà du modèle dominant. Cela étant dit, pour la majorité, ce mode relationnel permet d’actualiser une vision plus communautaire de la famille, en accord avec le proverbe « ça prend un village pour élever un enfant ».

Les parents qui choisissent d’intégrer leur(s) partenaire(s) dans la vie familiale rapportent de nombreux bénéfices tant pour eux que pour leur(s) enfant(s). Certains avantages sont également soutenus par la recherche. En effet, des études montrent que l’accès à du soutien social de la famille élargie et de l’entourage a une incidence positive sur la relation parent-enfant. Cela permet également au parent de s’adapter plus rapidement aux événements stressants de la vie parentale. Finalement, bénéficier d’un large réseau de soutien constitue un facteur de protection contre la négligence et la maltraitance des enfants.

Cela dit, les recherches montrent également que des conflits peuvent émerger si l’enfant perçoit que le parent passe plus de temps avec son, sa ou ses partenaires qu’avec lui, ou si sa situation familiale change contre sa volonté. Elles montrent aussi que certains enfants peuvent avoir de la difficulté à s’adapter à de nouvelles personnes dans leur vie. En ce sens, comme le soulignent des enfants interrogés, les parents polyamoureux devraient prendre le temps de discuter avec eux et leur laisser le temps de s’adapter lorsqu’ils souhaitent leur présenter un nouveau ou une nouvelle partenaire ou qu’ils envisagent la cohabitation. À ce jour, très peu d’études sont réalisées sur les familles, dont l’un ou les parents choisissent le polyamour. Considérant le contexte sociétal où les idées préconçues négatives sur les familles polyamoureuses sont courantes, donner la parole aux enfants qui grandissent dans de tels univers et à leur(s) parent(s) polyamoureux s’avère particulièrement pertinent.