Perdre définitivement la garde d’un enfant placé par la DPJ : une épreuve bouleversante pour les mères biologiques. Face à ce drame, toutes ne réagissent pas de la même façon. Pourquoi certaines mères se retroussent-elles les manches, alors que d’autres déclarent forfait? Se sentir reconnue comme employée, comme amoureuse et comme mère sont autant de petites bouées qui les aident à garder la tête hors de l’eau.
Plutôt que de documenter les problèmes des mères dont l’enfant est placé par la DPJ jusqu’à majorité – problématique largement exploitée – deux professeures en travail social à l’Université de Sherbrooke et l’Université Laval s’intéressent à leur ressenti. À travers le récit de vie de 14 femmes, elles cherchent à comprendre ce qui distingue celles qui luttent pour leur enfant de celles qui semblent jeter l’éponge.
La reconnaissance : carburant à l’action
Qui sont ces femmes qui pourraient soulever des montagnes pour leur enfant même après un placement à la DPJ? Généralement celles qui ont préservé ou rebâti leur confiance en elle malgré cette épreuve.
Vues et reconnues dans différentes sphères de leur vie, elles ont le sentiment « d’être de bonnes mères » et de faire ce qu’il y a de mieux pour leur enfant. Elles chérissent les contacts avec leur progéniture, collaborent avec la DPJ et ne craignent pas de mentionner et de défendre leur point de vue quand quelque chose cloche.
« J’ai réussi à gagner à la cour, parce qu’eux autres ils me donnaient 3 h aux deux semaines là. Puis maintenant, j’ai 24 h aux deux semaines. » – Marjolaine, mère d’un enfant placé par la DPJ
Nombreuses sont les mères ayant vécu des expériences de violence par le passé, mais certaines sont parvenues à briser ce cycle. Avec un réseau social très présent, une reconnaissance professionnelle, et pour certaines, des relations amoureuses sécurisantes, ces mères ont assez confiance en elles pour imposer leurs limites à un proche qui fait preuve de mépris à leur égard. Tous ces échelons durement gravis qui leur permettent de participer activement à la société.
Manque de reconnaissance : la confiance en soi mise à mal
Si la reconnaissance aide à renforcer la confiance en soi, les expériences de mépris peuvent rapidement inverser la tendance. C’est le cas de certaines mères au réseau social plus limité et qui ont déjà vécu des expériences de mépris et de violence, notamment conjugale. S’ensuit un effet domino : leur estime personnelle est brimée, elles éprouvent plus de difficulté à s’affirmer et à définir leurs propres besoins, et, finalement, c’est la relation avec l’enfant qui est touchée.
« Parce que lui il me dénigrait beaucoup. Tu sais à un moment donné quand quelqu’un te dit : » tu n’es rien qu’un trou de cul « , bien tu commences à penser que tu l’es. Tout ça a fait en sorte que je n’ai pas mis mes culottes [lors du placement de mon enfant]. » – Florence, mère d’un enfant placé par la DPJ
Se sentir impuissante et avoir peu de pouvoir, c’est aussi vrai face au système judiciaire. Plutôt que de revendiquer, c’est le laisser-aller qui domine. Ces femmes éprouvent de la difficulté à respecter leurs engagements face à leur enfant, sentant qu’« elles n’ont rien à offrir ».
« C’est sûr que n’importe quel juge va accepter les rapports qu’elle fait. C’est une travailleuse sociale, mandatée pour la DPJ pour suivre tel enfant. Tu sais moi quand j’arrive devant elle. C’est le requin devant le petit méné [poisson], là, devant le juge. » – Marie-Pierre, mère d’un enfant placé par la DPJ
Ces mères s’accrochent néanmoins à la reconnaissance sociale : soit elles se projettent dans l’avenir et souhaitent trouver un bon emploi, soit elles accordent beaucoup d’importance à leur statut d’employée.
Toucher le fond du baril et ne plus trouver la sortie
Au bout du cercle vicieux de l’absence de reconnaissance? Une estime de soi qui vole en éclat. Pour quelques mères, la malhonnêteté, l’isolement et le mépris brisent le peu de confiance en elles qu’elles avaient réussi à entretenir. Leurs relations familiales sont difficiles et elles ont peu de personnes sur qui elles peuvent compter, mis à part des travailleurs communautaires ou des pairs de consommation.
« J’ai commencé́ à sortir. Ma chum de fille a dit : “sors, tu vas rencontrer du monde.” […] Bien je vais au bar, puis j’ai plein d’amis. » – Sylvie, mère d’un enfant placé par la DPJ
Face à la DPJ, la méfiance et l’absence de pouvoir sur la situation de leur enfant règnent. Quelques mamans de ce groupe ont également des problèmes de santé mentale, ce qui provoque encore plus de contrôle de la part de la DPJ.
Si elles critiquent la situation, elles n’entreprennent pas non plus d’actions concrètes pour la changer, ce qui laisse à penser aux chercheuses qu’elles abdiquent plutôt que de lutter pour plus de reconnaissance. La situation n’en est pas moins douloureuse. Conséquence malheureuse? Certaines tentent d’anesthésier cette douleur en consommant de l’alcool ou de la drogue.
Comment casser les cercles vicieux?
La famille, le travail, les relations sociales, l’enfant, la DPJ : pour les chercheuses, toutes ces facettes sont intimement liées à l’estime de soi des mères. Toutefois, la priorité de la DPJ reste le bien-être de l’enfant, aux dépens de celui des mères biologiques. L’institution met elle aussi à mal la reconnaissance de ces femmes, qui nourrissent méfiance et impuissance à son endroit. Pour mieux les soutenir, les autrices évoquent la possibilité d’intervenir sur plusieurs sphères à la fois. La DPJ pourrait-elle aider ces femmes en rétablissant le lien de confiance, mais aussi en les aidant à répondre à leurs besoins de base, à bâtir des relations saines et en les protégeant lorsque leur intégrité physique et psychologique est menacée?