Difficile d’y croire mais, il n’y a pas si longtemps, la violence conjugale était perçue comme un phénomène relevant de la sphère privée. Les choses ont changé au cours des années 1970, grâce aux revendications des groupes féministes. La violence conjugale est depuis considérée comme un enjeu de santé publique. Malgré cette avancée, il reste encore beaucoup à faire, comme en témoigne le mouvement #AgressionNonDénoncée qui a secoué les réseaux sociaux québécois en 2015. Encore aujourd’hui, une proportion importante d’actes de violence conjugale n’est pas rapportée aux autorités, ce qu’on appelle le « chiffre noir ».
C’est dans cette optique que Frédéric Ouellet et Marie-Marthe Cousineau, deux professeurs au département de criminologie de l’Université de Montréal, se sont intéressés aux caractéristiques et comportements présents chez la femme et l’homme dans un contexte de violence conjugale. En identifiant ces facteurs, les praticiens du domaine de la santé seront mieux outillés pour repérer les femmes à risque, ce qui pourrait éventuellement avoir un impact sur ce fameux « chiffre noir ».
Échantillon et méthode
Les données utilisées proviennent du volet « victimisation » (cycle 23) de l’Enquête Sociale Générale (ESG) de 2009, produite par Statistiques Canada. Le sondage, réalisé par téléphone sur une base volontaire, a été effectué auprès de 1028 femmes résidentes du Québec et vivant en couple. Les femmes devaient répondre par « oui » ou « non » à une série d’énoncés référant à un comportement associé à la violence conjugale, par exemple : « Il essaie de limiter les contacts que vous entretenez avec votre famille ou vos amis » ou « Il vous rabaisse et vous dit des mots blessants ».
Selon les résultats de l’ESG, un peu plus d’une femme sur dix vit de la violence conjugale au Québec. Un chiffre sans doute sous-estimé ; les conditions de l’ESG (par téléphone, sur une base volontaire) ne permettent pas d’identifier toutes les victimes potentielles. Malgré ses limites, l’enquête de Statistique Canada permet de dresser un portrait des caractéristiques présentes chez plusieurs femmes victimes de violence conjugale.
Des indices… mais pas de lien de cause à effet
Cette étude permet de dégager certains indicateurs de la violence conjugale, mais elle n’établit pas de lien de cause à effet entre ces caractéristiques et le risque de violence. On ne peut pas avancer, par exemple, que la prise de médicaments entraîne la violence ou qu’à l’inverse, la violence entraîne la prise de médicaments. On sait simplement que ces deux éléments sont associés.
Par ailleurs, l’ESG n’a pas été conçu spécifiquement dans le but d’identifier les facteurs associés à la violence conjugale. Son efficacité demeure donc limitée. Par exemple, ce sondage n’aborde pas la question des ex-conjoints, alors que des recherches antérieures démontrent que le comportement violent d’un ex-conjoint peut être un indicateur de victimisation future.
Mieux connaitre les agresseurs : une piste de solution ?
La violence conjugale est un enjeu complexe qui doit être abordé de façon multidimensionnelle. Cette recherche exploratoire identifie quelques caractéristiques présentes chez les femmes victimes de violence conjugale, de même que chez leur agresseur. En développant de tels indicateurs, il sera plus facile d’identifier et d’aider ces femmes de l’ombre. Mais qu’en est-il des hommes violents ? Si l’enquête de Statistique Canada met au jour certaines caractéristiques présentes chez les agresseurs, il serait intéressant d’en savoir plus à ce sujet. Un portrait plus exhaustif des agresseurs pourrait peut-être permettre de prévenir certaines situations de violence conjugale.