À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Julie Beauchamp, Line Chamberland et Hélène Carbonneau, «Les configurations familiales, intimes et amicales des personnes aînées gaies et lesbiennes : continuités et transitions au cours du vieillissement», publié en 2021 dans la revue Service social, vol. 67, no 1, p. 45-56.

  • Faits saillants

  • La plupart des ainé·e·s gais et lesbiennes interrogé·e·s ont des liens positifs, voire significatifs avec un·e ou des membres de leur famille d’origine.
  • Les aîné·e·s gais et lesbiennes en couple accordent une priorité à leur partenaire, le ou la considérant comme une source essentielle de soutien et d’émotions positives durant le vieillissement.
  • Certain·e·s aîné·e·s gais et lesbiennes préfèrent mettre l’accent sur les relations amicales plutôt que de nouer une relation de couple.
  • Les ami·e·s occupent une place spéciale pour certain·e·s participant·e·s et sont parfois considéré·e·s comme une famille «choisie».
  • La possibilité d’être authentique au sein de leur réseau, notamment en ce qui a trait à leur orientation sexuelle, est une source de satisfaction majeure pour les personnes âgées homosexuelles.

Vieillir tout en continuant de s’épanouir socialement, est-ce un mirage ou une réalité à portée de main? Si face à l’épreuve du temps, le réseau de soutien de chaque personne change, cette expérience s’incarne différemment chez les aîné·e·s gais ou lesbiennes.

Pour saisir les nuances particulières qui façonnent et transforment les relations familiales, intimes et amicales des aîné·e·s gais et lesbiennes au Québec, Julie Beauchamp, chercheuse à l’Université Laval, et ses collaboratrices de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université du Québec à Trois-Rivières, explorent leur univers social. Par l’intermédiaire d’entrevues semi-dirigées, les chercheuses récoltent les témoignages de 22 participant·e·s âgé·e·s de 60 à 76 ans, s’identifiant comme lesbienne ou gai et résidant dans la région métropolitaine de Montréal. La totalité des répondant·e·s sont retraité·e·s ou sans activité professionnelle depuis au moins un an. Finalement, plus du tiers ont des enfants et des petits-enfants.

Tisser sa propre toile : comment les aîné·e·s gais et lesbiennes réinventent la famille

Bien qu’une majorité de participant·e·s conserve des liens forts et positifs avec leur famille d’origine, la recherche montre que pour les personnes gaies et lesbiennes d’un certain âge, la notion de famille va bien au-delà des liens biologiques ou légaux.

À vrai dire, la plupart voient la famille comme quelque chose de plus englobant. Elle inclut aussi leurs ami·e·s proches, des gens sur qui ils et elles peuvent compter, avec qui se noue un lien de confiance durable. Cet éventail de relations couvre de multiples configurations : des réseaux mélangeant ami·e·s, famille avec ou sans enfants et partenaires tandis que d’autres sont davantage centrés sur un cercle restreint d’ami·e·s, devenant souvent une famille choisie. Dans le cadre de l’étude, plus de la moitié des participant·e·s considèrent à la fois les membres de leur famille d’origine et leurs ami·e·s comme leur source principale de soutien. Peu importe la toile sociale que les aîné·e·s gais et lesbiennes tissent, le besoin de reconnaissance et la possibilité de vivre ouvertement leur homosexualité sont des éléments pivots dans leur quête.

Le couple en tant que pilier du bien-être

Pour les chercheuses, ça ne fait aucun doute : la place du partenaire est centrale dans la vie des personnes âgées gaies et lesbiennes. D’ailleurs, plusieurs participant·e·s en couple décrivent leur relation comme le noyau de leur bien-être émotionnel et social. En vieillissant, lorsque le duo passe plus de temps ensemble, cette complicité et le soutien mutuel qu’elle procure semblent effectivement devenir plus significatifs. Si la vie de couple favorise le maintien d’un bon moral chez les aîné·e·s gais et lesbiennes, celle-ci a également un aspect pratique, puisqu’elle permet de partager les responsabilités du quotidien. Parmi les répondant·e·s en couple, certain·e·s mentionnent d’ailleurs que leur situation maritale facilite l’étape du vieillissement.

«Vieillir, vieillir en couple avec [partenaire], pour moi, non, non, c’est le contraire même. Je trouve même ça presque plus facile.»

– Une participante à l’étude

Quant aux célibataires, leurs expériences et leurs attentes en matière de relations amoureuses sont variées, allant du désir de rencontrer quelqu’un à la priorisation des liens d’amitié plutôt qu’intimes.

Être soi-même, toute une vie

Pour les personnes âgées gaies et lesbiennes, le souhait de tisser des liens ne s’éteint pas avec l’âge, au contraire! Le besoin de sentir qu’ils et elles appartiennent à une communauté et le sentiment d’amour inconditionnel généré par le groupe demeurent cruciaux pour leur épanouissement. La proximité émotionnelle avec leurs ami·e·s et leur famille élargie joue également un rôle dans le maintien de leur équilibre affectif et social.

Malgré la volonté de maintenir ou d’agrandir leur réseau social exprimée par plusieurs participant·e·s, cette quête de connexion s’accompagne souvent de défis supplémentaires. Outre les déménagements et les transitions professionnelles qui ponctuent régulièrement l’entrée dans le troisième âge, l’orientation sexuelle d’une personne peut aussi restreindre ses opportunités de rencontre ou bouleverser son réseau établi. En effet, si plusieurs personnes âgées ont la chance de vivre en adéquation avec qui elles sont, un certain nombre choisissent de dissimuler leur orientation sexuelle soit par crainte des questionnements, soit parce qu’elles ont vécu des expériences négatives par le passé.

Bien sûr, le passage du temps peut aussi avoir à lui seul un impact sur la transformation des configurations familiales, intimes et amicales. Ainsi, la maladie, des décès dans l’entourage, la cristallisation des habitudes de vie ou simplement la barrière de l’âge sont tous des motifs évoqués par les participant·e·s pour expliquer l’altération de leur réseau. Le manque d’endroits et d’occasions pour faire de nouvelles rencontres et la complexité d’intégrer un nouveau cercle social rehaussent les difficultés rencontrées.

Cela dit, il est tout à fait possible pour les personnes âgées gaies et lesbiennes de renverser la vapeur en établissant de nouveaux liens ou en intégrant un nouveau groupe. C’est le cas de quelques participant·e·s à l’étude, qui se sont fait des ami·e·s en fréquentant des organismes communautaires.

Tendre la main pour ne pas perdre pied

Quand il s’agit de maintenir ou de chercher de nouvelles relations, les motivations des personnes âgées gaies et lesbiennes sont diverses. Certain·e·s aspirent à partager des moments simples, des intérêts communs ou même des conseils, et ce, dans le respect de l’individualité de chacun. D’autres voient dans leur réseau social une source précieuse d’aide et de soutien, un coussin de sécurité qui les fait sentir moins seul·e·s face aux défis qui s’arriment au vieillissement. Plusieurs répondant·e·s semblent pour leur part se satisfaire du rôle qu’ils et elles jouent aux yeux des membres de leur entourage, rôle qui donne un sens à leur vie.

«Fait que je me réjouis quand je donne, comme faisaient les mères, puis tu ne comptes pas ce que tu donnes puis tu n’attends rien et tu ne reçois rien. Alors ça me donne ça, ça me fait vivre! Sans les amis, sans les relations que j’ai, je ne sais pas ce que je fais sur la terre, ce que je fais ici.»

– Un participant à l’étude

Ce désir d’authenticité et de support démontre que, quelle que soit leur situation, les personnes âgées gaies et lesbiennes cherchent bien plus que de simples interactions : ils et elles aspirent à des relations qui nourrissent l’âme et renforcent leur sentiment d’appartenance à une communauté.

Comprendre et soutenir les aîné·e·s gais et lesbiennes

Malgré les défis singuliers qui parsèment leur route, les aîné·e·s gais et lesbiennes du Québec naviguent dans un univers social riche en nuances. Pour celles et ceux dont la soif d’appartenance demeure intacte, le couple et l’amitié occupent une place centrale au sein de l’entité dynamique qu’est leur famille. Ainsi, pour mieux cerner les enjeux qui ponctuent leur réalité, les autrices invitent les intervenant·e·s qui les accompagnent à considérer l’ensemble de leur réseau social dans leur pratique. Pour poursuivre la réflexion et mieux accueillir les aîné·e·s LGBTQ+ : fondationemergence.org/pourquevieillirsoitgai.