À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Valérie Millette et Valérie Bourgeois-Guérin, « Coming out when a partner dies? Challenges faced by older women who grieve a same-sex partner », publié en 2020, dans Psychology & Sexuality, vol. 11, no 1-2, p. 62-74.

  • Faits saillants

  • À la suite du décès de leur conjointe, plusieurs femmes âgées lesbiennes choisissent de divulguer leur orientation sexuelle à leurs proches pour mieux vivre leur deuil.
  • Continuer de parler de leur deuil et de leur conjointe défunte au fil du temps : voilà comment les aînées lesbiennes rendent hommage à leur relation passée et font reconnaître leur statut de veuve.
  • Le malaise de leurs proches et de la société face à l’homosexualité, le tabou entourant la mort et la peur de déranger les autres complexifient l’accès à du soutien pour les aînées en deuil.

« Il n’était pas question que je vive mon deuil dans le placard », explique Diane, 70 ans. Sa jeunesse ? Elle l’a vécue en se faisant dire que l’homosexualité était une maladie mentale et même un crime. Quoi de plus naturel, alors, qu’elle ait choisi de garder son orientation sexuelle secrète ? Toutefois, le décès de sa conjointe l’a convaincue de lever le voile sur la nature de leur relation, pour mieux vivre son deuil. Tout comme Diane, la plupart des aînées lesbiennes qui perdent leur partenaire font face à des défis particuliers, comme celui de divulguer leur orientation sexuelle, d’être reconnues en tant que veuves et de trouver du soutien. 

C’est le portrait que tracent Valérie Millette et Valérie Bourgeois-Guérin, respectivement doctorante et professeure en psychologie à l’UQAM. Les chercheures veulent comprendre comment les femmes âgées lesbiennes vivent le deuil de leur partenaire, un sujet jusque-là peu exploré. Pour ce faire, elles donnent la parole à dix femmes âgées de plus de 65 ans qui ont perdu leur conjointe avec qui elles étaient en couple depuis 2 à 32 ans.

Vivre son deuil en silence ? Pas question !

Faire leur coming out : c’est le premier défi auquel sont confrontées les femmes âgées lesbiennes au décès de leur conjointe. Pour la plupart, c’est l’occasion ou jamais de dévoiler une part très significative de leur existence. Si dans la majorité des cas, la nouvelle est bien accueillie, s’ouvrir aux autres comporte un certain risque : elles doivent parfois faire une croix sur leurs amitiés ou sur les échanges avec leur entourage, comme autant de deuils supplémentaires et inattendus. 

« J’ai affiché son avis de décès au travail. Je n’allais pas vivre ça « dans le placard », pas question ! Je voulais que ceux qui me présenteraient leurs condoléances sachent la vérité. Certaines personnes m’ont tourné le dos, mais c’était négligeable. L’une d’entre elles était ma patronne […]. Elle ne m’a plus jamais reparlé. » (Traduction libre) 

— Ann, 70 ans, dont la conjointe est décédée en 2000. 

Pour certaines participantes, un flou non négligeable s’ajoute à la tristesse : est-ce que leur conjointe aurait voulu révéler son orientation sexuelle ? Elles sont déchirées entre la volonté d’assumer enfin leur relation et celle de respecter leur partenaire. Fabienne, dont la conjointe était très discrète à ce sujet, a choisi de garder le secret lors des funérailles pour ne pas offenser la famille élargie de la défunte.

« J’ai parlé, mais sans dire que j’étais sa conjointe. Je l’ai regretté par la suite. Mais j’ai fait ça parce que son frère et ses enfants étaient là, et ils ne voulaient pas que j’en parle… » (Traduction libre)

– Fabienne, 71 ans, dont la conjointe est décédée en 2008. 

Conjointe cachée, mais veuve publique

Même si elles ont vécu leur amour en silence, les participantes sont décidées à ne pas vivre leur tristesse de la même façon. Elles souhaitent avant tout être reconnues en tant que veuves afin que leur expérience ne tombe pas dans l’oubli. Continuer de parler de leur deuil est alors une façon de rendre hommage à l’être cher et à leur amour. 

« J’aurais pu décider de ne pas en parler, parce que pendant très longtemps, j’ai caché mon orientation sexuelle. […] Après sa mort, pour la première fois, je me suis dit : « Elle était tellement géniale, nous avions une si belle relation, je vais en parler ! » (Traduction libre) 

— Monique, 68 ans, dont la conjointe est décédée en 2007. 

Comme le temps adoucit les maux, plusieurs ont donc peu à peu cessé d’aborder le sujet. Quelques-unes ne s’identifient tout simplement plus comme veuves, et finalement certaines ont pu refaire leur vie.

Le malaise des uns, le frein au soutien des autres

Obtenir de l’aide pour surmonter un deuil ? Pas si simple pour les femmes aînées lesbiennes. Le malaise de leurs proches ou du personnel médical face à l’homosexualité complexifie l’accès à du soutien émotionnel, selon les participantes. Par exemple, Solange déplore le manque de considération de la part du personnel de la santé, alors que sa conjointe était en fin de vie. 

« Ce que j’ai trouvé difficile, c’est que nous n’étions pas perçues comme un couple. […] Des fois, j’entendais les préposés parler avec des proches de personnes en fin de vie, et je les ai souvent entendus demander : « Depuis combien de temps êtes-vous en couple ? » […] On ne m’a jamais posé cette question. » (Traduction libre) 

— Solange, 70 ans, dont la conjointe est décédée en 2000. 

Dans certains cas, les membres de la famille immédiate font preuve du même inconfort face à l’homosexualité. Ils tolèrent la relation, mais ont parfois de la difficulté à en reconnaître la légitimité, alors de là à aborder le deuil…

« Chaque fois que [mon ancienne conjointe] visitait sa mère, je l’accompagnais… Nous dormions sur le canapé-lit ensemble. Nous voyagions avec sa mère et sa sœur. […] J’étais très acceptée dans sa famille […]. Aucun problème, mais chut… on ne le nommait pas. » (Traduction libre) 

— Johanne, 69 ans, dont la conjointe est décédée en 2007. 

Au-delà du tabou de l’homosexualité, celui de la mort est un autre frein au soutien. Selon certaines, le décès confronte l’entourage à sa propre mortalité, ce qui le rend moins empathique. Comment oser demander de l’aide lorsque l’on craint de s’imposer et de déranger ?

« J’ai trouvé ça difficile, car une semaine ou deux après le décès de ma conjointe, les gens sont retournés au travail, à leurs propres occupations… Même si j’avais quelques amis qui m’appelaient, j’étais trop gênée pour en parler […]. Je ne voulais pas que ça devienne trop lourd. » (Traduction libre)

— Monique, 68 ans, dont la conjointe est décédée en 2007.

Femmes aînées, lesbiennes, mais surtout invisibles

En donnant la parole à une partie de la population trop souvent oubliée, cette étude met en lumière les tabous qui subsistent envers l’homosexualité chez les personnes âgées. Ayant vécu une grande partie de leur relation à une époque où l’on réprimait l’homosexualité, plusieurs ont préféré garder le secret, du moins auprès d’une partie de leur entourage. Le décès est alors l’occasion de rendre leur amour public, de souligner l’importance de leur relation passée et d’obtenir du soutien.

Si les femmes lesbiennes gardent leur relation secrète, c’est aussi parce que la société ne les encourage pas à la dévoiler. Par exemple, devant l’étalage de films de couples hétérosexuels, ceux évoquant l’histoire d’amour de femmes lesbiennes se font beaucoup plus rares, et c’est encore plus vrai dans le cas des aînées. Deux, un film francophone paru au cinéma en 2020, vient combler ce manque en dépeignant le récit de deux aînées amoureuses l’une de l’autre. 

(Nina et Madeleine dans le film Deux, réalisé par Filippo Meneghetti)

Le but du réalisateur ? Rendre hommage à ces « invisibles » et encourager l’acceptation de soi. Cependant, sachant que six ans se sont écoulés avant de trouver des sources de financement pour produire le film, tout porte à croire que le tabou entourant l’homosexualité au troisième âge est encore bien présent.