À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Doris Chateauneuf, Sylvie Drapeau, Katherine Leblanc, Marie-Christine Saint-Jacques, Julie Noël et Marie-Christine Fortin, « Le retour en milieu familial à la suite d’un placement en protection de l’enfance : regard sur les dynamiques relationnelles entre parents et intervenants sociaux », publié en 2022, dans Recherches familiales, n° 19, p. 69-83.

Ce texte de vulgarisation a été réalisé en collaboration avec l’Université Laval.

  • Faits saillants

  • Plusieurs facteurs jouent un rôle primordial dans un contexte de réunification familiale, notamment l’engagement, la mobilisation, la qualité des échanges et de la communication entre les parents et les intervenant·e·s sociaux.
  • À la suite d’un placement d’enfant, entretenir des relations positives entre les parents et les intervenant·e·s de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) est souvent difficile (rupture de confiance, contexte d’autorité, etc.).
  • Dans un contexte de réunification familiale, les parents ont leur propre interprétation et perception de leur situation qui peuvent parfois entrer en conflit avec celles des intervenant·e·s sociaux et susciter des malentendus, voire nuire à la relation.
  • Les difficultés auxquelles sont confrontés les parents dans une situation de réunification familiale - manque de ressources, manque de soutien social et difficultés émotionnelles en lien avec le placement – ont tendance à rendre leur participation au processus plus complexe.
  • Les intervenant·e·s jouent un rôle déterminant dans le processus de réunification familiale. Leur flexibilité et l’adaptation de leur approche de travail influence et contribue à une collaboration fructueuse avec les parents.

La réunification familiale, un moment tant attendu! Que ce soit à la suite d’un placement de l’enfant par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ou d’une longue période de séparation, elle est au cœur des préoccupations de bon nombre de parents, d’enfants et des intervenant·e·s… Si les intervenant·e·s· sont les seul·e·s à pouvoir donner le feu vert pour entamer ce processus, d’autres éléments, notamment la collaboration et la mobilisation des parents, entrent en ligne de compte. Quels sont les enjeux et les défis d’une réunification? Et comment favoriser le retour de l’enfant dans sa famille à la suite d’un placement? Dans ce processus complexe, ce n’est pas uniquement aux parents de fournir un effort pour répondre aux attentes de la DPJ, mais également aux intervenant·e·s d’adapter leur intervention de sorte à mieux comprendre le vécu des familles. Au bout du compte? L’espoir d’une dynamique qui influence positivement l’implication des deux parties et la possibilité de réunification familiale.

Une étude menée par une équipe de recherche de l’Université Laval et de l’Université de Sherbrooke s’intéresse aux vécus des parents et intervenant·e·s dans un contexte de réunification familiale. Les chercheuses ont mené des entrevues individuelles auprès de 72 parents et intervenant·e·s afin de recueillir leur témoignage, pour mieux comprendre leur réalité quant aux difficultés vécues. Ce qui ressort de leur expérience? Des pistes d’actions permettant d’améliorer l’accompagnement des familles vers la concrétisation du projet de réunification.

Parents, Intervenant·e·s …Humain·e·s avant tout.

L’étiquette de « mauvais parents », une peur réelle chez les familles! À cause de cette épée de Damoclès, elles doivent constamment prouver leurs compétences et habiletés parentales auprès des intervenant·e·s à la suite d’un placement. Mais leur désir de travailler sur elles-mêmes afin de retrouver leur enfant l’emporte souvent sur leur déception, leur crainte et leur colère envers la DPJ. Et qui dit amélioration de soi prouvée, dit étroite collaboration avec les professionnel·le·s assurés! En effet, selon les intervenant·e·s et les parents de l’étude, une relation constructive ne peut être que bénéfique. Toutefois, établir un lien de confiance avec l’intervenant·e qui a placé son enfant peut s’avérer un petit peu compliqué! Dans ce cas, comment favoriser la collaboration? Par la transparence et l’honnêteté de la communication, comme l’ont exposé de nombreux témoignages recueillis par les chercheuses.


« Au début, ce n’était pas ma meilleure amie; […] Mais avec le temps […], je ne la voyais plus comme une ennemie, mais comme quelqu’un qui pouvait m’aider à justement ravoir mes enfants. »

– Parent 9

Le nerf de la guerre? Le besoin des parents d’être inclus dans toutes les démarches, de se sentir entendus et considérés, et d’avoir une rétroaction constructive et sans jugement pour savoir comment s’ajuster et à quoi s’attendre. Ainsi, les intervenant·e·s démontrant une transparence dans leur démarche, qui prennent le parti d’encourager et de se concentrer sur les forces des parents, ont plus de chances de développer des liens significatifs avec ces derniers.

« Le fait qu’il soit là en arrière de moi, qu’il m’encourage, qu’il me dise ‘‘quand on a commencé tu étais là et maintenant tu es rendue là, continue comme ça’’. Juste le fait de se le faire dire, tu t’en rends compte et tu fais comme ‘‘OK, j’ai fait un bon bout de chemin’’. »

– Parent 7

Voir au-delà des faiblesses est un moyen de créer un environnement sécuritaire (safe space) pour les parents, qui perçoivent ainsi les intervenant·e·s – non plus comme des obstacles – mais bien comme des ressources d’aide et de soutien.

Roulement de personnel et collaboration : pas une bonne combinaison

« À peine arrivé·e·s, déjà reparti·e·s » : c’est un peu le ressenti des parents face au roulement fréquent des intervenant·e·s. Et pour eux, c’est épuisant et décourageant! En protection de la jeunesse, le changement de l’intervenant·e qui intervient auprès de la famille est fréquent, souvent hors de contrôle – comme dans le cas lors d’un changement d’intervenant·e au dossier ou d’un arrêt de travail -, et oblige les parents à tisser de nouveaux liens, à partir de zéro. Pour les intervenant·e·s de l’étude, il n’est pas étonnant que les familles soient alors moins disposées à collaborer.


« Mon intervenante, ça faisait deux ans qu’elle était avec moi et elle n’avait jamais pensé à me faire perdre mes enfants. Elle me faisait totalement confiance. C’était pendant son congé que tout ça est arrivé. La madame qui ne me connait pas arrive chez nous, part avec les enfants. Après ça, j’ai arrêté d’être gentille, j’ai arrêté de collaborer. »

– Parent 19

Autrement dit, le roulement de personnel ne fait pas l’affaire de tous et toutes! En effet, pour la nouvelle personne assignée, la familiarisation avec le dossier et la reconstruction d’ un lien significatif avec les parents s’avèrent plus compliquées, surtout dans un temps limité ! Selon les témoignages, non seulement, le changement d’intervenant·e établit une certaine distance avec les familles, mais implique aussi une intervention plus impartiale et objective de la part de l’intervenant·e.


Moins de réceptivité, moins de tolérance !

Dans certains cas, les autrices soulignent que l’intervention devient « davantage axée sur les rôles [parent versus expert·e/intervenant·e] et devoirs [parentaux] que sur la qualité des relations ». Les intervenant·e·s mentionnent qu’ils et elles disposent de très peu de temps pour apprendre à connaitre les parents, et leur priorité reste d’agir en fonction du bien-être de l’enfant pour assurer sa sécurité et son développement. Autrement dit, leur mandat limite leur capacité à résoudre les éventuelles difficultés rencontrées par les parents, étant donné que leur temps est principalement consacré à répondre aux besoins de l’enfant. De telles situations peuvent ainsi accentuer les divergences d’opinions entre les parents et les intervenant·e·s concernant les besoins de l’enfant et la manière d’y répondre.

« Le moral était difficile […] c’était le désastre total, c’est… c’est ça qui a complètement, brisé la démarche. »

– Parent 1

Conséquences de ce manque de réceptivité et de compréhension? Des préjugés possiblement renforcés, une collaboration perturbée et donc une réunification familiale menacée.

Amélioration… lentement mais sûrement

D’entrée de jeu, le placement de l’enfant n’est pas synonyme de relation harmonieuse entre l’intervenant·e et les parents. Moins ces derniers collaborent et se mobilisent, moins les intervenant·e·s se prononcent en faveur de la réunification. Et la présente étude met bien en lumière les défis rencontrés quant au développement d’une relation saine dans un tel contexte, et comment cela peut influencer le retour de l’enfant dans sa famille.

Et concernant les impacts d’une communication problématique parents-intervenant·e·s, sur les enfants, ils peuvent aller de l’instabilité, à la rupture des liens familiaux, en passant par une santé mentale qui s’en trouve perturbée. Sachant que le placement est déjà un processus traumatisant et exigeant pour l’enfant, on comprend mieux la nécessité d’une collaboration entre les deux parties pour arriver à un processus de réunification familiale réussie.

Améliorer la pratique et prioriser le développement d’une relation positive avec de telles difficultés, oui, mais comment? On ne peut nier que la perennité de l’intervenant·e attitré·e à la famille, sa posture et son attitude sont des éléments clés pour favoriser un lien de confiance avec les parents, leur mobilisation, leur adhésion et leur engagement. Mieux comprendre les besoins et les enjeux vécus par les parents et leur vécu, croire en leurs forces et leurs compétences pourrait être des pistes de solutions pour assurer d’additionner et non de diviser les forces, pour un objectif commun : la réussite du retour de l’enfant dans sa famille.