Quitter un conjoint violent ne met pas automatiquement fin à la violence conjugale. Celle-ci peut se poursuivre bien au-delà de la séparation, voire s’aggraver. Sachant que les risques de violence postséparation sont plus élevés en présence d’enfant(s), identifier les formes que peuvent prendre cette violence est primordial. Alors que les études aident à mieux comprendre comment elle se poursuit en contexte de rupture, l’expérience des professionnelles qui œuvrent directement auprès des femmes victimes permet de mieux saisir son évolution. Les intervenantes qui travaillent en maison d’hébergement de 2e étape observent un changement dans les stratégies de contrôle et de domination utilisées par les ex-conjoints pour maintenir leur emprise. Ces stratégies concernent les enfants, l’entourage ainsi que les différentes phases de cette violence, ce qui soulève toute l’importance d’évaluer régulièrement la dynamique qui continue d’opérer.
Dans le cadre d’une étude de terrain visant à développer une formation sur l’intervention en violence conjugale postséparation, Chloé Deraiche et Nancy Gough, directrice de la Maison Flora Tristan (Montréal) et directrice de la maison L’Émergence (Gaspésie) cherchent à valider cette hypothèse : il y aurait une transformation de la dynamique de violence après la rupture et un changement dans les stratégies de contrôle utilisées par l’ex-partenaire. Afin d’y arriver, les deux professionnelles d’expérience – la première formée en sexologie, en droit et en gestion, et la seconde, en travail social et en gestion – invitent 14 femmes ayant subie de la violence en contexte postséparation à compléter une grille d’observation. Elles en font également la demandent à l’intervenante responsable du dossier de chaque femme en maison d’hébergement de 2e étape. Toutes participent ensuite à des groupes de discussion afin d’approfondir la question. L’objectif? Que les travailleuses en maison d’hébergement de 2e étape et leurs partenaires concernés par la problématique arrivent à une compréhension commune de ce type de violence.

Qu’est-ce que la violence conjugale postséparation ? À partir des confidences de femmes qui en sont victimes et de l’expérience des intervenantes, les maisons d’hébergement de 2e étape ont développé leur propre définition.

Quand la violence persiste, mais se transforme
Quels changements s’opèrent? Après la rupture, c’est tout le « cycle de la violence » qui change. Si ce concept est parfois utilisé pour parler de la récurrence de certains comportements en situation de violence, les maisons d’hébergement de 2e étape utilisent plutôt celui des « murs de la violence », concept proposé par L’Alliance gaspésienne des maisons d’aide et d’hébergement. Pourquoi? Cette façon de représenter la situation met davantage l’accent sur la possibilité, pour les femmes, de se sortir de la violence dans laquelle elles se sentent prises. La notion de cycle sous-entend plutôt, de son côté, qu’elle est impossible à quitter et qu’elle continuera de se répéter[1]. Les deux modèles renvoient toutefois à une idée similaire, celle d’agissements qui se répètent en suivant le même schéma.

Les différentes étapes suivent habituellement un certain ordre : tension, agression, invalidation, rémission. Or, les participantes confient percevoir des changements en contexte postséparation. Ces étapes ne se présentent plus de la même façon ni dans le même ordre, et leur durée est aussi touchée.
« Les phases sont toujours là, mais maintenant, c’est plus court. Avant le cycle pouvait s’étendre sur une année, maintenant, c’est une question de jours. La lune de miel et les menaces se retrouvent dans le même courriel. Impression d’être en tension depuis des mois. » – Une femme participant à l’étude
Les femmes disent aussi observer des changements dans la façon dont certaines stratégies sont utilisées par l’ex-partenaire. En contexte de rupture, la justification et la rémission sont plus souvent employées avec l’entourage ou les institutions qui gravitent autour de la famille plutôt qu’avec la femme elle-même, par exemple.
« Il menace mon réseau. Il dit des propos dénigrants sur moi aux gens qui me connaissent. Il utilise les systèmes genre la DPJ, la justice, l’école contre moi. » – Une femme participant à l’étude
Puis il y a l’instrumentalisation des enfants, un moyen fréquemment utilisé par les ex-conjoints pour maintenir leur emprise. Si les enfants sont parfois attaqués directement, d’autres stratégies adoptées peuvent les affecter indirectement. C’est le cas notamment lorsqu’un ex-partenaire refuse de payer la pension alimentaire, ou de remettre les biens leur appartenant.
« […] Il a gardé mes effets personnels et ceux de notre enfant. Ça m’a mise dans une situation financière difficile. » – Une femme participant à l’étude
De nombreux impacts sur les femmes et les enfants
Détresse psychologique, anxiété, épuisement, perte d’estime, insomnie, troubles de l’alimentation et isolement : la situation de violence qui persiste au-delà de la rupture a de nombreuses conséquences négatives sur les femmes qui la subissent.
« Il a brisé mes relations avec ma famille et mes amis. Ma famille dit que je suis méchante de le repousser, que je suis folle, car il est à l’aise financièrement et que je n’aurai jamais mieux que lui. » – Une femme participant à l’étude
Certaines femmes vont jusqu’à changer leurs habitudes de vie, déménager même, changer de région parce qu’elles se sentent en danger.
« J’évite certains chemins, je vais faire les courses à l’ouverture de l’épicerie pour être certaine de ne pas croiser mon ex. » – Une femme participant à l’étude
D’autres témoignent d’un appauvrissement et disent devoir composer avec des difficultés financières, causées par des blessures physiques, des arrêts de travail, une perte d’emploi, etc.
Et les enfants? Les impacts sur eux sont surtout émotionnels et psychologiques. Certains vivent de la peur ou de l’ennui, ou encore refusent même de voir leur père. Pour quelques-uns, le contexte de violence entraîne également un retard de développement.
« Ils vivent un conflit de loyauté. Le plus jeune ne parle pas encore. Le plus vieux a des comportements agressifs. » – Une femme participant à l’étude
Le plan de sécurité, une nécessité
La dynamique de violence dans laquelle se retrouve les femmes après avoir quitté leur conjoint violent est variable et le niveau de dangerosité imprévisible. Le changement dans les méthodes utilisées par l’ex-conjoint pour maintenir son emprise ainsi que l’intensification des stratégies de contrôle qu’il emploie sont des menaces constantes à leur sécurité et celle de leur(s) enfant(s). Il est donc impératif que chaque femme puisse avoir un plan de sécurité ajusté à sa situation et qui puisse être adapté en fonction de ces changements. L’objectif du plan? Voir à la sécurité physique et psychologique de la femme et des enfants à l’aide de différentes mesures de protection (système d’alarme, balcon non atteignable, sécurité accrue, etc.). Trois éléments sont alors considérés lors de sa création : les lieux, les finances et le réseau de la femme. Ce plan doit être simple, réaliste et facile à utiliser, puisque la femme aura à le mettre en application dans un contexte élevé de stress. Et puisque la dynamique est mouvante, revoir le niveau de danger et le risque d’homicide de façon régulière et moduler le plan en conséquence est primordial.
Évaluer, adapter, réévaluer et recommencer
Par leurs témoignages, les femmes de l’étude semblent avoir confirmé l’hypothèse de départ : lorsqu’elles mettent fin à la relation, leur ex-conjoint a recours à de nouvelles stratégies pour maintenir son contrôle. La dynamique de violence postséparation évolue constamment. Évaluer et réévaluer en continu la situation de chaque femme, en tenant compte de la spécificité de son contexte apparait alors plus que nécessaire. L’analyse et la prise de mesure constante de la dynamique peuvent ainsi permettre « de mettre en place des stratégies de protection adaptées aux changements des stratégies de contrôle et de manipulation utilisées par l’ex-conjoint ».
Une plateforme d’échange d’informations au sujet de la violence conjugale postséparation est accessible aux personnes qui travaillent auprès des victimes et celles qui désirent en connaître davantage sur cette question. Gérée par L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape, la plateforme rend plusieurs outils (documents, vidéos, ressources) disponibles afin de soutenir le développement d’interventions adaptées.
[1] Les informations complémentaires proviennent du texte « Prises entre 4 murs … », rédigé par l’Alliance gaspésienne des maisons d’aide et d’hébergement, disponible dans la section galerie de presse de leur site web.





