À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Dana Wray, « Paternity Leave and Fathers’ Responsibility: Evidence From a Natural Experiment in Canada », publié en 2020 dans le Journal of Marriage and Family, volume 82.

  • Faits saillants

  • Les pères québécois passent plus de temps à s’occuper seul de leur enfant depuis qu’ils ont accès au congé de paternité, alors que cette tendance est à la baisse dans le reste du Canada.
  • Le temps seul avec l’enfant pendant le congé paternité améliore à la fois le lien père-enfant, la relation de couple, et l’égalité entre homme et femme, aux bénéfices de toute la famille
  • Même les pères qui n’ont pas pris de congé de paternité prennent de plus en plus part aux soins de l’enfant, signe que la politique du gouvernement québécois a un effet indirect sur les habitudes des pères

Le congé de paternité, une avancée aux bienfaits mille fois cités : meilleur partage des tâches, relation plus égalitaire avec la partenaire, implication plus importante auprès des enfants… Mais plus précisément? S’agit-il de changer les couches sous le regard attentif de l’autre parent? De surveiller le poupon tout en préparant le repas? En fait, c’est le temps en solo entre papa et bébé qui est bonifié!

La doctorante en sociologie Dana Wray, de l’Université de Toronto, examine les différences d’engagement des pères canadiens et québécois auprès de leur enfant. Comparativement à leurs voisins, les pères de la Belle province ont accès, depuis 2006, à un congé de paternité de cinq semaines « à prendre ou à laisser ». Grâce à deux séries de données de 2005 et 2010 de l’Enquête sociale générale, la chercheuse procède donc à un examen détaillé de l’horaire quotidien des pères québécois et canadiens avant et après l’implantation du congé de paternité québécois. Les moments seuls entre le père et son petit sont les grandes réussites du congé réservé aux pères.

Les congés parentaux québécois et canadiens en 2018

Papa sans maman… mais pas exclusivement

Comparativement à leurs homologues canadiens, les pères québécois se retrouvent plus souvent responsables de leur petit. Ils passent en moyenne 2,2 heures par semaine de plus seuls avec leur enfant, pour s’occuper de lui ou simplement pour le surveiller. Selon l’autrice, le congé de paternité exclusif a donc eu les résultats escomptés, puisque les pères du Québec s’impliquent plus concrètement auprès de leurs enfants.

Un bémol subsiste toutefois : le temps total en présence de l’enfant n’a pas changé, que ce soit pour donner des soins ou être simplement disponible en cas de besoin. Pourquoi? L’autrice remarque que les pères ont toujours sur leurs épaules la pression de devoir travailler pour répondre aux besoins de leur famille. Cette épée de Damoclès les empêche d’augmenter significativement le temps total passé avec leur enfant.

Qui gagne au change?

Ce temps des pères seuls avec bébé bénéficie à toute la famille, à commencer par l’enfant! Ces moments privilégiés ont un impact positif sur la relation parent-enfant, qui s’en voit renforcée. Comment? Le père s’engage à prendre davantage de responsabilités envers son petit, et à anticiper ses besoins, ce qui, pour l’autrice, représente sans aucun doute un avantage pour le développement de ses aptitudes parentales.

C’est aussi une bonne façon d’améliorer les liens du couple. Les pères plus ouverts à s’occuper eux-mêmes de leur enfant vivent bien souvent des relations de couple stables. Mais ça ne s’arrête pas là. Les clichés sur les rôles des parents, comme « papa travaille » et « maman s’occupe de la maison », pourraient changer avec l’augmentation des moments père-enfant.

Encore aujourd’hui, les mères se retrouvent plus souvent qu’autrement à veiller seule sur bébé. Beaucoup souffrent également de la fameuse « charge mentale », qui traduit l’ampleur des tâches qui leur incombent dans l’organisation du foyer, comme prévoir les soupers et remplacer les vêtements usés. Dans les moments père-enfant, c’est à papa d’assumer ces responsabilités, et de constater de lui-même ce que représente cette fameuse charge. Finalement, si maman peut passer le relais, elle aura l’occasion de travailler davantage, ce qui renforcera l’égalité économique entre les conjoints.

Pères impliqués avant tout

Les bénéfices du congé parental vont au-delà de la simple perception familiale : aux dires de la chercheuse, la politique novatrice du congé de paternité aurait eu un effet sur l’image et les attentes véhiculées dans la société envers les pères. Ces derniers, plus souvent responsables de leur petit, ont vu leur conception de la paternité évoluer grandement, et cette prise de conscience a eu une influence certaine sur leurs confrères québécois. L’autrice observe que de plus en plus de pères d’enfants de 5 à 8 ans qui n’ont pas eu accès au congé de paternité passent désormais plus de temps avec eux, soit près d’une heure de plus par semaine. Une exclusivité québécoise puisque cette tendance est plutôt à la baisse dans le reste du Canada, avec ou sans congé accordé. Selon la chercheuse, c’est un signe fort: on s’attend désormais à ce que les pères soient avec leur progéniture sans maman dans les parages!

La fin du père pourvoyeur?

Même si la chercheuse fait des constats encourageants sur les congés de paternité, il n’en reste pas moins que les mères sont toujours celles qui passent le plus de temps avec les enfants. Pourquoi? Malgré les congés accordés aux pères, l’image de soutien économique leur colle à la peau: ils doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Comment changer la donne? Le gouvernement québécois envisage bien de bonifier le congé parental partageable si les deux parents prennent au moins 10 semaines chacun, mais la décision reste toujours au bon vouloir du couple. La solution se trouve peut-être davantage du côté de la conciliation travail-famille, où les employeurs gagneraient à être sensibilisés sur le rôle des pères auprès de leur enfant. Le Regroupement pour la Valorisation de la Paternité offre d’ailleurs quelques ateliers pour mieux comprendre la réalité paternelle dans certains secteurs d’activité, ce qui pourrait être formateur et guider les employeurs dans la voie de l’engagement paternel.