Thomas s’apprête à devenir papa. Sa conjointe et lui désirent séparer leur congé parental à parts égales. Mais, mauvaise surprise : en annonçant la nouvelle à son employeur, les questions fusent : « Pas certain que tu puisses prendre plus de cinq semaines, c’est pas ta femme qui est supposée s’en occuper? Ce n’est pas vraiment le bon moment de partir, comment pourra-t-on te remplacer? ».
Cette situation n’a rien d’exceptionnel. Même si les pères québécois utilisent de plus en plus leur congé de paternité, ils sont encore peu à profiter du congé parental partageable entre les deux parents. Qu’est-ce qui explique la réticence des pères à passer plus de temps avec bébé? La réponse se cache peut-être dans la cour des employeurs! Une chose est sûre : le modèle « papa travaille, maman s’occupe de la maison » est encore bien présent dans les esprits.
C’est le constat que font Valérie Harvey, doctorante en sociologie de l’Université Laval, et Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à la TELUQ et spécialiste de la conciliation travail-famille. Elles ont interrogé 57 pères sur l’usage qu’ils ont fait de leur congé parental. Un premier groupe de 31 pères est issu d’un milieu très tendance, mais aussi très masculin, soit les technologies de l’information et les jeux vidéo, et les 26 autres pères proviennent de secteurs d’emploi variés.
Des pères pionniers du congé parental
Les pères qui désirent prendre plus que leur congé de paternité (cinq semaines) sont souvent les tout premiers à le demander à leur patron. La réaction des employeurs va alors de la surprise à la méfiance, voire à l’hostilité. Considérés comme des employés avant d’être pères, ces futurs parents doivent parfois prouver qu’ils ont droit à ce long congé, ou encore justifier leur décision.
« Mon supérieur m’a dit : “Cinq semaines de congé, c’est assez, non? Après deux semaines, ta femme sera remise sur pied.” J’ai dû lui expliquer que non, ma femme avait vraiment besoin de moi. »
– Pierre-Louis, 2 enfants, neuf semaines de congé pour le dernier enfant (traduction libre)
Lorsque l’employeur accepte le congé prolongé du père, il s’attend souvent à ce que celui-ci continue de lui donner un coup de main. Nombreux sont ceux qui demandent explicitement à leur employé de rester disponible pendant leur congé, peu importe le nombre de semaines, ce que plus d’un acceptent volontiers. D’autres prennent des arrangements pour travailler à temps partiel ou à distance…même s’ils sont officiellement en congé.
« Ils m’ont donné un téléphone cellulaire et je suis devenu un consultant. Je les ai accommodés. […] Ils se sentaient plus en sécurité de savoir que je pouvais répondre s’ils avaient besoin de moi. »
– Gau, deux enfants, 12 semaines de congé au dernier enfant (traduction libre)
Le « bosspartum » frappe les pères
De retour au travail, les nouveaux papas se retrouvent parfois dans des situations stressantes. C’est d’autant plus vrai dans les secteurs plus masculins, comme l’informatique et les jeux vidéo. Les employeurs sont moins compréhensifs et imaginent le congé parental comme « de longues vacances ».
« Quand j’ai recommencé à travailler, j’avais une surcharge de travail, personne ne m’avait remplacé et aucun collègue ne pouvait m’aider. […] J’ai fait un burnout quelques semaines plus tard. Aux yeux de mon patron, j’étais un traître absolu. Ils ont essayé de me relocaliser. Quand une personne te déteste pour avoir pris un congé de paternité, elle est déterminée à avoir ta peau. »
– Samuel-Leo, deux enfants, cinq semaines de congé pour le dernier enfant (traduction libre)
D’autres ont l’impression d’avoir raté des opportunités, ou de ne pas avoir accumulé assez d’expérience pour passer à une autre étape dans leur carrière. Certains mentionnent avoir été assignés à des projets de plus petite envergure, ou d’avoir été boudés par leurs supérieurs concernant des promotions pourtant méritées.
« Je me suis senti puni. La situation m’a poussé à chercher un nouvel emploi et quitter un travail que j’adorais. »
– Abel, deux enfants, 38 semaines de congé pour les deux (traduction libre)
Changer les mentalités, une étape à la fois
Avec l’arrivée de bébé, plusieurs travailleurs désirent ralentir la cadence pour passer plus de temps en famille. Fini les heures supplémentaires et le travail en fin de semaine… Du moins, c’est ce qu’ils souhaitent. Plusieurs employeurs s’attendent pourtant à ce que les nouveaux pères – contrairement aux mères – travaillent autant qu’avant leur départ.
« La perception de mon supérieur actuel est très différente de mon supérieur précédent. […] Maintenant, je dois mentir. Je dis que j’étais au travail alors que je ne l’étais pas. C’est très problématique. »
– Marcus, deux enfants, 24 et 28 semaines de congé (traduction libre)
Mais tout n’est pas noir pour autant. L’ouverture d’esprit et les aprioris de l’employeur influencent sa position face au congé de paternité. Même si certains pères doivent négocier et faire des compromis avec leur patron, plusieurs montent au front pour exiger le congé auquel ils ont pleinement droit. De plus, ces pères, souvent les premiers à demander un long congé, sont susceptibles de devenir des modèles pour leurs collègues masculins qui désiraient faire de même.
« Un collègue m’a dit : “Tu es un modèle pour moi, j’ai pris trois mois de congé de paternité après avoir entendu dire que tu avais pris plusieurs semaines!” C’était la première fois que je réalisais que les autres parlaient de mon congé de paternité! »
– Marcus, 2 enfants, 24 et 28 semaines de congé (traduction libre)
D’autres se découvrent de nouvelles qualités professionnelles en passant plusieurs semaines avec leur nouveau-né, comme la patience et la gestion des priorités.
« Je suis plus attentif aux autres en général. Surtout au travail, je suis plus enclin à répondre aux questions de mes collègues. Je me vois davantage comme quelqu’un qui prends soin des autres, au travail comme avec mes amis. »
– Léo-Paul, un enfant, 16 semaines de congé (traduction libre)
Quand la paternité entre dans la modernité
L’évolution des mesures entourant la paternité mène à la redéfinition de ce qu’est un « vrai homme ». Bien que le travail soit encore central dans son identité, l’homme 2.0. n’hésite plus à mettre la main à la pâte dans le foyer et à s’amuser avec ses enfants. La conciliation famille-travail devient primordiale pour une large part de la population, pères y compris. Pourtant, certains secteurs pourtant modernes – mais à tendance masculine – comme les TI et les jeux vidéo posent de plus grands défis pour la conciliation famille-travail des pères. D’ailleurs, le Réseau pour un Québec famille vient de lancer son propre Sceau de reconnaissance conciliation famille-travail pour répondre à ce besoin. L’outil offre une certification, mais aussi de la formation aux entreprises qui souhaitent prendre la voie de la conciliation famille-travail, en collaboration avec leurs propres employés.