À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Diane-Gabrielle Tremblay et Nadia Lazzari Dodeler,« Fathers on Leave Alone in Quebec (Canada) : The Case of Innovative, Subversive and Activist Fathers ! », publié en 2017, dans M. O’Brien et K. Wall (éditeurs), Comparative Perspectives on Work-Life Balance and Gender Equality.

  • Faits saillants

  • Les pères interrogés considèrent que le congé pris avec la mère les empêche de développer leur autonomie, puisqu’ils ont l’impression de n’avoir aucun contrôle sur l’éducation de l’enfant.
  • Ils ont la sensation de développer leurs capacités émotionnelles, grâce à l’autonomie et la responsabilisation qu’ils acquièrent pendant le congé de paternité ou le congé parental.
  • Bien que les pères s’impliquent de plus en plus, les mères assument encore majoritairement les obligations parentales et domestiques, délaissant plus souvent que les hommes leur travail pour s’occuper des enfants.

Évolution des mœurs ou avènement du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP)? Une chose est sûre, le Régime a fait reculer les stéréotypes sur le partage des rôles à la naissance : 80% des pères s’octroient aujourd’hui un congé de paternité de plusieurs semaines, alors qu’à peine 20% prenaient quelques jours de congé parental jusqu’en 2006. Or, au-delà de ces chiffres encourageants, peu d’études abordent l’expérience des pères qui décident de prendre le congé seul avec leur enfant, lorsque les mères retournent au travail. Que représente, pour eux, ce tête-à-tête avec leur enfant?

Voilà la question que posent Diane-Gabrielle Tremblay et Nadia Lazzari Dodeler, respectivement professeures spécialisées en gestion des ressources humaines à la TÉLUQ et à l’Université du Québec à Rimouski. Leur but : comprendre ce que les pères vivent et ressentent lorsqu’ils sont seuls avec leur enfant durant ce congé, mais, surtout, comprendre comment cette expérience influence leur vie personnelle, leur carrière et la division du travail domestique. Pour cette recherche, des entrevues ont été réalisées avec 26 pères québécois âgés entre 25 et 41 ans. Les participants avaient pris au moins quatre semaines de congé de paternité et/ou parental. La plupart des pères ont d’abord pris un congé de paternité avec la mère après la naissance, puis sont retournés au travail, pour finalement continuer avec un congé parental seul, lorsque leur enfant était un peu plus âgé. Pourquoi, selon eux, est-ce si important de prendre un congé seul, plutôt qu’avec maman?

Un papa indépendant, pas un assistant de maman

Les bénéfices perçus du congé seul sont sans équivoque : il permet aux pères d’avoir l’espace nécessaire pour développer leur autonomie. En d’autres mots : les pères considèrent cette période comme une preuve qu’ils peuvent assumer seuls leurs obligations parentales.

« Lorsque le père est seul avec l’enfant, il devient plus autonome et responsable, un peu comme un capitaine du navire, ce qui lui permet d’établir sa propre routine. » (traduction libre)

Les pères expliquent que, lorsque les parents sont ensemble, ils ont l’impression que la mère contrôle tout ce qui concerne l’enfant. À leurs yeux, l’allaitement en est le parfait exemple, car, bien qu’ils soient conscients de ses bienfaits, plusieurs pères craignent qu’il ne les prive de leur relation avec leur enfant. Devant l’impuissance – et parfois l’incompétence – qu’ils peuvent ressentir, les pères estiment souvent n’avoir qu’un rôle d’assistant dans la routine établie par la mère.

Un papa investi émotionnellement

Se responsabiliser, c’est (aussi) s’investir émotionnellement et gagner en maturité. S’investir leur permettrait d’acquérir un lot de nouvelles habiletés : capacité d’adaptation, patience, gestion du stress ou lâcher-prise. Les pères qui prennent un congé seuls se considèrent plus mûrs émotionnellement après cette expérience. En effet, d’autres études le confirment : les pères qui donnent des soins quotidiens à leurs enfants développent leur empathie au fil de leurs multiples interactions. Afin de continuer à remplir leurs responsabilités parentales, plusieurs soulignent également avoir modifié leurs priorités professionnelles, que ce soit par un changement de carrière, d’emploi ou un retour aux études.

Surprise : les bénéfices ne sont pas seulement individuels! La plupart des pères rapportent que cette responsabilisation a renforcé leur relation de couple en développant une confiance mutuelle plus forte. De plus, ils estiment être davantage conscientisés à la réalité des mères qui travaillent, et donc reconnaissants et admiratifs de leur travail.

Les effets de cette maturité émotionnelle dépassent le cadre de la famille, remarquent les auteures. Les pères affirment aussi avoir développé des compétences et des qualités d’aidant (« caregiver ») qui enrichissent leurs rapports professionnels en les rendant plus attentifs à leurs collègues.

Un papa subversif et activiste, mais avec ses limites

Les chercheuses qualifient les pères interrogés d’indépendants et innovants, car ils développent leur sens des responsabilités envers leur enfant. Elles les qualifient également de subversifs et d’activistes, parce qu’ils revendiquent une implication plus importante que ne l’ont fait, jusqu’à présent, les pères dans la parentalité.

En dépit des bénéfices retirés, l’expérience des pères les confronte à de nombreux stéréotypes de la parentalité, remarquent les deux chercheures.

« La dynamique du père par rapport à la mère est totalement différente : la société a en effet l’habitude de véhiculer l’image de la mère au foyer […] ce qui peut sembler normal, dans la mesure où on observe encore peu de pères au foyer. » (traduction libre)

– Brad, 40 ans, administrateur.

Par exemple, ce sont majoritairement des mères qui fréquentent les espaces publics tels que les parcs, les piscines, les centres commerciaux, les garderies ou les centres communautaires avec leur bébé. Certains pères se sentent donc parfois embarrassés ou inconfortables lorsqu’ils participent à des activités parent-enfant, constatant qu’ils y sont en minorité. Plusieurs participants critiquent également les représentations médiatiques stéréotypées de la paternité et de la maternité : les femmes y seraient présentées comme étant naturellement meilleures avec les enfants que les hommes. Selon eux, les médias doivent participer à déconstruire ces préjugés en offrant une image positive de la place du père à la maison.

Néanmoins, malgré cette posture plus militante, les chercheuses constatent que la plupart des pères interrogés n’ont pas cessé complètement leur travail rémunéré durant leur congé. Leur identité serait donc encore définie davantage par leurs activités professionnelles que parentales. De plus, malgré la popularité croissante du congé de paternité, ce sont encore les femmes qui prennent toujours la plus grande part du congé parental. Le travail rémunéré est davantage associé aux hommes, alors que le travail invisible, soit l’entretien gratuit de la maison et le soin des enfants, demeure souvent entre les mains des femmes.

Une apologie nuancée de cette « nouvelle » paternité

Le RQAP est une avancée certaine : les pères québécois qui prennent un congé sont largement majoritaires et témoignent peut-être de l’émergence d’une nouvelle paternité. Les pères considèrent s’investir davantage durant leur congé, autant sur le plan émotionnel que pour les tâches domestiques. Par contre, il existe un écart entre leur discours sur l’implication parentale et leur implication concrète. Les avis de leurs conjointes pourraient enrichir la réflexion sur cette nouvelle paternité. De plus, qu’en est-il du partage du travail invisible lorsque les pères sont de retour au travail, après leur congé? Il reste à savoir si les acquis et leur implication perdurent réellement à plus long terme, puisque d’autres recherches montrent que les femmes, bien qu’elles aient intégré massivement le marché de l’emploi, s’acquittent toujours de la plus grande part du travail domestique.