À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Melissa Ziani et Martin Goyette, «Les tensions identitaires au cœur du parcours postsecondaire de jeunes placés», publié en 2022, dans Revue canadienne d’enseignement supérieur, vol.52, n°1, p.18-29.  

  • Faits saillants

  • Les préjugés entretenus au sujet des jeunes de la DPJ influencent négativement leurs chances de réussite.
  • La transition abrupte à la vie adulte, sans soutien familial, rend plus complexe la poursuite des études pour les jeunes ayant vécu un placement.
  • L’instabilité des placements des jeunes de la DPJ crée des interruptions scolaires qui nuisent à leur réussite.
  • Il est difficile pour les jeunes qui participent à un programme de soutien de faire cohabiter leur désir d’être autonomes et le fait de dépendre du programme qui les aide.
  • La poursuite des études permet à certains jeunes ayant vécu un placement de reprendre une forme de contrôle sur leur histoire.

Dix-huit ans. Pour les jeunes de la DPJ, c’est un chiffre préoccupant. C’est la fin de la prise en charge. C’est le moment de quitter le centre d’hébergement, le foyer de groupe ou la famille d’accueil, et de se débrouiller. Logement, épicerie, emploi, petit budget, peu d’aide : le stress prend beaucoup de place. Où et comment faire de la place aux études dans tout ça ? Ce ne sont malheureusement pas tous les jeunes qui ont vécu un placement dans le cadre de la protection de la jeunesse qui parviennent à poursuivre leurs études après l’école secondaire. Mais pour certains et certaines qui y arrivent, l’objectif dépasse souvent l’obtention d’un diplôme. C’est aussi l’espoir de briser le cycle familial et de se construire une identité plus valorisante à leurs yeux.  

Comment ces jeunes vivent leur intégration dans le milieu postsecondaire alors, qu’au même moment, ils et elles doivent apprendre à subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens ? Melissa Ziani et Martin Goyette de l’École nationale d’administration publique s’intéressent à l’expérience scolaire de 13 jeunes de 18 à 22 ans, que la protection de la jeunesse a retirés de leur famille d’origine et hébergés dans différents milieux. À la fin de leur placement, ces jeunes, qui détiennent un diplôme d’études secondaires ou l’équivalent, participent à un programme qui les soutient financièrement et qui leur offre l’aide d’un·e mentor·e pour les accompagner tout au long de leur parcours postsecondaire. Ce qui ressort de leur expérience ? Être aux études postsecondaires et participer à un programme de soutien les aide à avancer, mais leur fait aussi vivre une certaine dose de souffrance et d’inconfort.  

L’école, plus qu’un lieu d’apprentissage 

 « Jeune placé·e » : c’est l’étiquette avec laquelle vivent les enfants ayant connu un passage au sein des services de la protection de la jeunesse. Les préjugés qui viennent avec leur situation sont difficiles à supporter et nuisent à leurs chances de se libérer du modèle parental. Conscients et conscientes de ne pas être responsables de leur placement, les jeunes de l’étude confient avoir tout de même vécu cette expérience comme un échec. Comment composer avec cette image de soi négative ? Les témoignages ont amené l’équipe de recherche à constater que l’école représentait une partie de la solution.  
 

En effet, les jeunes révèlent que l’école a été plus qu’un établissement d’enseignement. Tout au long de leur parcours, elle leur a permis non seulement d’apprendre, mais aussi de prendre une pause des problèmes familiaux et de développer des liens significatifs avec des membres du personnel enseignant et de soutien; des adultes qui ont su leur offrir écoute, support et reconnaissance.   

« C’était là où je pouvais m’épanouir. Dans les moments difficiles de ma vie, c’est là où j’ai trouvé refuge. Des gens qui pouvaient m’aider. C’était des profs que je connaissais bien qui ont fait le signalement à la protection de la jeunesse. Ç’a toujours été un milieu sécuritaire pour moi. » (Jeune E)  

En leur offrant l’opportunité de vivre des réussites et d’éprouver de la fierté, l’école devient un moyen de se libérer de leur milieu familial, une façon de « faire différemment » de leurs parents et de se sortir d’une vie qui leur a été imposée.  

« L’école, c’est vraiment important pour moi, vraiment, vraiment, vraiment […] pis moi, ma famille était alcoolique, toxicomane, pis moi ça me poussait, je ne voulais pas être dans cette situation-là […] je veux pas représenter les jeunes de la protection de la jeunesse, je veux aller à l’université pis être fière de moi. » (Jeune B) 

Entre autonomie et dépendance, comment ne pas s’y perdre ?  

Lorsque les services de la protection de la jeunesse prennent fin, c’est le quotidien d’adulte qui prend le relais. Pour les jeunes du programme, cette transition est particulièrement stressante puisqu’elle arrive au même moment que le début de leurs études postsecondaires. S’adapter à cette nouvelle vie et apprendre à gérer autant de responsabilités est un stress qui s’ajoute aux exigences de leur nouveau milieu scolaire. Plusieurs auraient aimé recevoir plus d’aide pour certaines activités du quotidien comme faire l’épicerie ou un budget; des connaissances et compétences généralement transmises par les parents. Sans soutien parental à la sortie, ces tâches d’apparences banales sont plus complexes à assumer puisqu’elles n’ont pas été apprises. 

Bien que le soutien financier et social que ces jeunes reçoivent dans le cadre du programme les aide à réduire leur stress, ce dernier leur rappelle aussi constamment leur statut de « jeune placé·e ». L’absence de leurs parents accentue les différences entre eux et leurs collègues de classe. Ces jeunes peuvent poursuivre leurs études grâce au soutien de personnes inconnues, ce qui n’est pas le cas de leurs pairs, qui bénéficient souvent du soutien de leurs parents.  

« […] Je suis un peu victime de mes parents là-dedans, pis tu ne comprends pas pourquoi c’est toi qui dois… c’est juste difficile de… moi, mes parents ne payeront pas pour mes affaires, faut que j’aille demander de l’argent à des inconnus pour payer mes études. » (Jeune H) 

Entre leur désir d’être autonome et le sentiment de dépendre du programme, il est parfois difficile de s’y retrouver.  

Programme de soutien : facteur facilitant, mais…  

Lorsqu’on leur demande leur avis sur le programme de soutien, tous les jeunes s’entendent : c’est un élément très positif dans leur vie. 

« Pour moi, [c]e projet, c’est extraordinaire, c’est gros à dire, mais je pense que ça a sauvé ma vie. » (Jeune A)  

Les jeunes se sont sentis mis en valeur par le fait qu’un ou une adulte ait cru en leur projet et ait décidé de les encourager à poursuivre leurs études en les inscrivant au programme, puis par le fait qu’une autre personne, choisie par la fondation, continue de reconnaître leur potentiel et de les aider au quotidien. Plus de la moitié soulignent que le mentorat est une source de motivation et de réconfort. Le soutien financier, quant à lui, est perçu comme l’aspect le plus aidant. Il leur donne les moyens de réaliser leurs ambitions. Toutefois, cette opportunité entraîne aussi un sentiment de culpabilité. Les jeunes reconnaissent l’importance de tout ce qui leur est donné et se sentent redevables.  

« C’est sûr que je veux réussir parce que je me sens coupable qu’on m’ait donné autant d’argent juste comme ça. » (Jeune E) 

Cette impression, couplée au fait que des adultes croient en leurs capacités, les amène à vivre une certaine pression de performance et de réussite. 

L’importance d’y croire 

La pertinence des programmes de soutien post-placement n’est plus à prouver. L’étude permet cependant de mettre en lumière l’inconfort et la pression que peut entraîner le recours à cette forme d’aide. L’équipe de recherche suggère d’étudier les effets qu’ont ces programmes, afin de s’assurer du bien-être psychologique des jeunes qui reçoivent ce type de support.  

L’enthousiasme pour les études débute tôt dans la vie d’un enfant. Cet intérêt joue un rôle important dans la poursuite des études après l’école secondaire, et est influencé par le support et le soutien quotidien offert par les personnes responsables de son éducation. Ce rôle est habituellement assumé par les parents. La réalité des enfants qui ne vivent plus avec leur famille et qui sont sous la responsabilité de la DPJ est différente. Dans ce contexte, quelles sont les personnes qui pourraient encourager leur soif d’apprendre ? Plusieurs adultes ont un impact significatif sur le parcours scolaire des jeunes et peuvent faire une différence. Si l’étude fait état de plusieurs faits, l’un d’eux est lié à l’influence de la perception des adultes à l’égard de ces jeunes. Croire en leur capacité et valider leurs projets personnels sont des moyens d’augmenter leurs chances de réussite académique. Et la réussite académique leur permet de reprendre une certaine forme de contrôle sur leur histoire.