À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude d’Annabelle Seery, « Famille et travail : constats et propositions des jeunes féministes au Québec », dans Enfances, Familles, Générations,  no 21 (2014), p. 216-236

  • Faits saillants

  • Contrairement aux féministes de la deuxième vague, les jeunes féministes d’aujourd’hui ne considèrent pas l’accession au marché du travail comme une panacée.
  • La conciliation travail-famille est un échec, selon le quart des femmes interrogées.
  • Une injustice : la moindre avancée des hommes en matière de partage des tâches est glorifiée, selon les participantes

L’accession au marché du travail n’est-elle pas la meilleure façon pour les femmes d’acquérir leur indépendance économique? Peut-être, mais les choses se corsent au retour à la maison, alors que débute ce qu’on appelle communément le « 2e shift », i.e. le travail domestique. L’auteure de cette recherche s’est entretenue avec une trentaine de jeunes québécoises âgées de 23 à 36 ans. Ces dernières se disent féministes et sont impliquées dans des organismes féministes au quotidien. Le but : entendre ce qu’elles ont à dire sur ce sujet… et sur les acrobaties qu’elles doivent pratiquer pour concilier travail et famille.

Un féminisme pluriel

Contrairement aux féministes québécoises de la deuxième vague (1960-1970), les jeunes féministes  ne considèrent pas l’accession au marché du travail comme une panacée. Bien que non négligeable, le travail ne prime pas sur la vie familiale et personnelle.

Les  féministes de la deuxième vague considèrent  l’accessibilité au marché de travail comme la pierre angulaire de la libération des femmes : en quittant le foyer pour obtenir un emploi, on accède à l’indépendance économique et on peut s’émanciper. On parle alors de la division sexuelle du travail; les femmes étant confinées à la sphère privée et les hommes à la sphère publique. La  sphère privée – l’institution familiale – étant perçue comme « l’institution-clé » de l’oppression des femmes.

Les jeunes féministes interrogées ne perçoivent pas la famille comme un lieu d’oppression, bien qu’elles déplorent la persistance de nombreuses inégalités dans le partage des tâches. Ces inégalités ont un impact majeur sur la capacité des femmes à concilier travail et famille. L’auteure dégage quatre constats principaux.

Plus ça change, plus c’est pareil

Les jeunes féministes reconnaissent la place maintenant occupée par les femmes sur le marché du travail et l’apport des différents programmes gouvernementaux qui ont facilité cette intégration, comme la création des centres à la petite enfance. Cependant, après le ‘9 à 5’, un deuxième emploi s’amorce dès le retour au foyer, un  emploi non reconnu et non rémunéré. Les jeunes féministes dénoncent le surcroît de travail associé à l’organisation et à la planification des tâches familiales et domestiques. Selon elles, les hommes jouent un rôle de simples exécutants et ne prennent pas l’initiative du partage des tâches. Point positif : les pères changent leur attitude à l’égard des enfants et sont aujourd’hui beaucoup plus présents. L’idéal des femmes rencontrées?  Un couple conçu comme une équipe, se partageant la totalité des tâches familiales, les meilleures comme les pires.

Superwoman et superman

Oui,  la maternité est l’une des plus belles expériences de la vie, mais ce n’est pas de tout repos! Et les attentes à l’égard des femmes sont très élevées, selon les participantes. Outre la double tâche, les jeunes mamans disent subir la pression de devoir conserver un corps correspondant à l’idéal type de la femme. La survalorisation des pères choque également les jeunes féministes.  « Contrairement au travail des mères auprès des enfants, peu valorisé notamment parce que tenu pour acquis, celui des pères est perçu comme génial  », constate l’auteure.

L’échec de la conciliation travail-famille

Dans l’ensemble, les femmes interrogées constatent qu’elles doivent faire les plus grands sacrifices professionnels. Généralement, c’est le membre du couple ayant le plus faible revenu – le plus souvent la femme – qui  mettra de côté sa vie professionnelle pour s’acquitter du travail invisible. Les femmes finissent parfois par se retirer en partie ou totalement du marché du travail, réactivant la dépendance économique à l’égard du conjoint.

Le marché du travail : un modèle fait sur mesure pour les hommes

Les jeunes féministes sont critiques à l’égard du féminisme passé,  qui n’a pas su prendre en compte les responsabilités familiales dans l’intégration au monde du travail. Elles valorisent le travail effectué dans le cadre du foyer et voudraient justement que celui-ci soit reconnu et considéré à sa juste valeur.

La solution? Entre reconnaissance et adaptation

Comment remédier à la situation?  D’abord, par une reconnaissance sociale et politique du travail domestique effectué par les femmes. Différentes pistes sont évoquées : rémunération directe par l’État, mesures fiscales, revenu minimum garanti. Les jeunes féministes souhaitent également l’adoption de mesures permettant de mieux adapter le marché du travail aux réalités familiales. Exemple : un meilleur accès aux horaires réduits, tant pour les hommes que pour les femmes, ce qui pourrait favoriser un partage plus équitable des tâches domestiques.

Les féministes de la troisième vague proposent des solutions souples et pragmatiques. Le monde économique et politique est-il prêt à les entendre? À mettre en place des mesures qui faciliteraient réellement la conciliation travail-famille? Les jeunes féministes n’ont pas fini de faire des vagues pour arriver à leurs fins…