À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sylvie Lévesque et C. Rousseau, « Young Women’s Acknowledgment of Reproductive Coercion : A Qualitative Analysis », publié en 2019 dans le Journal of Interpersonal Violence, p. 1-24.

  • Faits saillants

  • La reconnaissance de la coercition reproductive dépend du type de violence perpétrée, ainsi que du lien émotionnel que les femmes entretiennent avec le partenaire qui commet l’agression.
  • Au sein d’une relation intime « sans attache » avec un homme, les femmes identifient rapidement et facilement le retrait non consensuel du préservatif comme une forme d’agression.
  • Dans une relation de couple, les femmes reconnaissent plus difficilement les manifestations de violence reproductive, car les sentiments amoureux brouillent leur jugement. Cela dit, l’avortement forcé marque un point de non-retour.
  • Les femmes ne se considèrent plus « responsables » de la violence, s’identifient comme victimes et cessent de minimiser le problème lorsqu’elles acquièrent des connaissances sur la coercition reproductive ou si elles rencontrent un nouveau partenaire qui respecte leurs choix reproductifs.

Depuis 2014, mentir sur le port du préservatif ou le retirer sans avertir son ou sa partenaire est reconnu comme une agression sexuelle par la Cour suprême du Canada. Cette dernière stipule que les deux partenaires doivent consentir de manière éclairée aux types d’activité sexuelle, ainsi qu’aux conditions dans lesquelles elles se déroulent. Malgré ce jugement de la plus haute instance juridique au pays, l’enjeu de la coercition reproductive demeure une problématique méconnue, tant de la population générale que de la recherche scientifique. Tout d’abord, que désigne-t-elle ? Les femmes la reconnaissent-elles ? Tout dépend du type de violence vécu et du lien avec l’agresseur.

Ce sont les questions qui animent Sylvie Lévesque et Catherine Rousseau, respectivement professeure et titulaire d’une maîtrise en sexologie à l’Université du Québec à Montréal. Dans cette étude, la première sur le sujet au Québec, elles s’entretiennent avec femmes québécoises âgées de 18 à 29 ans qui ont vécu cette forme de violence dans une relation intime avec un partenaire masculin.

Retrait du préservatif à l’insu de la partenaire : une forme claire et courante de violence

Concret et visible, le retrait du préservatif non consensuel, loin d’être exceptionnel, est souvent reconnu comme un geste inacceptable.

Tristesse, colère, peur de contracter une infection transmise sexuellement ou d’être enceinte, sentiment de honte, d’insécurité et de confusion : ce comportement affecte réellement le bien-être psychologique et physique des femmes. Vivre ces répercussions s’avère le premier pas vers la reconnaissance, pour les femmes, d’une relation sexuelle non désirée, selon les chercheuses.

«Il y a eu pénétration, sans préservatif. Oh boy ! J’étais en colère. Vraiment. Je l’ai poussé loin de moi et j’ai dit: « Qu’est-ce que tu viens de faire ? » Moi, je dis: « C’était clair en noir et blanc: je t’ai dit qu’il n’en était pas question. » Il dit: « Oh, j’étais tellement excité, j’ai pensé que ce serait OK. » Alors je dis: « Non, nous en avons parlé. C’était très clair. »»

(Traduction libre des propos d’une participante, rapportés par les auteures)

Cela dit, halte aux généralisations hâtives: la reconnaissance n’est pas évidente pour toutes les femmes ! Certaines participantes doutent de leurs droits, surtout lorsque leurs partenaires minimisent leur geste en prétendant qu’elles exagèrent ou que ce n’est pas si grave.

« Cette manipulation a fait douter les femmes du sérieux de l’expérience et de la validité de leurs sentiments à ce sujet. »

(Traduction libre des propos des auteures)

Quelles actions prennent les femmes suite à ce geste ? Tout dépend du type de relation qu’elles entretiennent avec leur partenaire. Le retrait du préservatif à leur insu signifie souvent la fin de la relation, lorsque cette dernière est « sans attache ». Mais la rupture est loin d’être systématique dans les relations de couple plus « sérieuses ». Pourquoi ? Des sentiments amoureux pour le partenaire ainsi que le comportement manipulateur et contrôlant de ce dernier, semblent faire passer la violence au second plan.

Pression de grossesse et la coercition de la grossesse: quand l’amour et l’ignorance camouflent la reconnaissance

La pression de grossesse et la coercition de la grossesse : voilà deux actes de coercition reproductive bien présents dans les couples, mais difficilement identifiables. En effet, huit participantes impliquées dans une relation de couple où la violence était présente ou dans une relation « sans attache » en ont été victimes. Toutefois, c’est le temps qui apporte des réponses : elles ont reconnu la coercition reproductive seulement après la rupture, grâce au recul acquis sur la relation.

« Je n’ai pas vu la violence. Je l’ai vue après, surtout dans ses séquelles, et en les analysant. Et bien, j’y ai bien pensé et en fait […] J’ai été traumatisée par la violence. C’est comme s’il avait fallu ces symptômes et problèmes pour me faire démarrer, réfléchir et réaliser. »

(Traduction libre des propos d’une participante)

Dans les cas d’une coercition de grossesse, vivre un avortement forcé constitue un point de non-retour pour les participantes. Elles prennent alors conscience du comportement violent de leur partenaire, et parviennent à le quitter. De nouveau, le lien émotionnel crée des œillères et empêche souvent les femmes de reconnaitre le caractère abusif de la relation.

« Au début, je pensais que c’était moi qui prenais la décision, mais à la fin, avec le temps, j’ai réalisé que c’était lui qui m’avait poussé à le faire.»

(Traduction libre des propos d’une participante, rapportés par les auteures)

De la culpabilisation à la conscientisation des femmes : l’importance de la sensibilisation

La culpabilisation nuit à la reconnaissance de la coercition reproductive, mais l’acquisition de connaissances sur cette forme de violence la facilite. En outre, certaines participantes admettent avoir assumé, de manière injustifiée, la responsabilité de l’incident, de l’avoir minimisé, ou alors d’avoir eu de la difficulté à s’identifier comme victime.

«Je ne veux pas dire que je suis une victime parce que je sais que si j’avais pris des mesures, par exemple, si j’ai pris la parole […] sur ce que je pense et ce que je ressens […] Cela ne serait pas arrivé. Donc, je ne veux pas me qualifier de victime dans ce cas, parce que […] techniquement, je ne le suis pas, car tout ce que j’avais à faire était de parler.»

(Traduction libre des propos d’une participante)

En revanche, se renseigner sur l’existence de la violence reproductive, entendre son entourage décrire un comportement s’y apparentant et trouver un partenaire qui respecte ses choix en matière de contraception sont des facteurs qui permettent aux femmes de nommer la situation qu’elles ont vécue.

«Donc, à la fin, quand j’ai lu sur le sujet […] Je me suis dit, comme,  »Wow ! C’est vraiment ce qui se passait ces moments-là, et je ne suis pas la seule. »»
(Traduction libre des propos d’une participante)

De la nécessité de mettre en lumière un enjeu resté dans l’ombre

Type de violence perpétrée et lien émotionnel entretenu avec le partenaire sont les deux facteurs qui semblent influencer la reconnaissance de la coercition reproductive par les femmes. Le retrait non consensuel du préservatif est rapidement identifié comme une forme de violence, mais la pression et la coercition de grossesse, qui sont souvent vécues dans des relations avec davantage d’attachement émotionnel, sont plus difficilement reconnaissables.

Au Québec, de nombreux évènements médiatiques, ainsi qu’une discussion collective sur la problématique des violences sexuelles marquent la dernière décennie. Notons le mouvement #AgressionNonDénoncée (2014), #MoiAussi (2017) et la campagne de sensibilisation Sans oui c’est non ! (2016). Dans l’élan de cette première étude québécoise sur la coercition reproductive, une plus grande sensibilisation, tant dans la recherche scientifique que dans la sphère publique, se fait attendre. Qu’est-ce qui est en jeu ? La nécessité de responsabiliser les partenaires masculins de leurs comportements et la mise en place de ressources pour aider et appuyer les victimes.