À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie Brien-Bérard et Catherine des Rivières-Pigeon, « Comprendre les défis conjugaux des parents d’enfants ayant un TSA : proposition d’un modèle écosystémique » publié en 2020 dans la Revue québécoise de psychologie, vol. 41, n 3, p. 131-156.

  • Faits saillants

  • Les parents d’enfants avec un TSA vivent plusieurs défis : décalage des perceptions, sentiment d’iniquité dans le partage des tâches, moments d’intimité rares et difficultés psychologiques.
  • Plusieurs mères d’enfants TSA ont l’impression que leur conjoint ne s’implique pas suffisamment dans les tâches parentales, alors que du côté des pères, le partage semble égalitaire.
  • Les exigences de la routine familiale, la difficulté à trouver une solution de garde et le stress financier font en sorte qu’il est difficile pour les parents d’enfants TSA de passer du temps en amoureux.

Être disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tout au long de l’année : ceci n’est pas une offre d’emploi particulièrement exigeante, mais la réalité des parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Entre la recherche de services, les rendez-vous avec des spécialistes et la difficulté à trouver une solution de garde, la vie conjugale en prend un coup ! Comment le fait d’avoir un enfant vivant avec un TSA affecte-t-il le couple ? Il semble que la routine familiale mouvementée et le partage inégal des tâches bouleversent grandement l’équilibre de plusieurs couples. 

C’est ce que remarquent Marie Brien-Bérard et Catherine des Rivières-Pigeon de l’Université du Québec à Montréal après avoir interrogé 42 parents (29 mères et 13 pères) d’enfants ayant un TSA. Leur objectif ? Mieux comprendre les difficultés vécues par ces couples et les impacts sur leur relation. Quatre défis ressortent : un décalage des perceptions entre les pères et les mères concernant l’autisme, un sentiment d’inégalité dans les contributions de chacun à la vie familiale, des moments d’intimité rares, et des difficultés émotives et psychologiques (ex. : stress, épuisement, etc.). 

Mères au front, pères en contestation

S’adapter au diagnostic de TSA : un défi qui se vit différemment pour les mères et les pères ! Les mères se montrent plus inquiètes que leur conjoint face aux difficultés de l’enfant et cherchent à obtenir rapidement des services. De leur côté, les pères vont parfois jusqu’à s’opposer au diagnostic, car ils ne perçoivent pas de problématique. 

« Moi, je l’ai vu plus vite que mon chum que mon fils avait peut-être une particularité […]. Et là, j’ai commencé à m’en faire, mais mon chum, évidemment, il ne le voyait pas ! Alors là, il y avait une espèce de discordance, comme si on n’était plus à la même place. Avec ce stress-là, les questionnements et les discussions qui tournaient un peu en queue de poisson, tout ça s’est mis à être plus dur pour notre couple. » (Mère de Jules, 8 ans)

Une fois le diagnostic posé, les pères ont plutôt tendance à diminuer les difficultés vécues par l’enfant, voire à s’éloigner du cocon familial en se concentrant sur leur emploi. L’intégration scolaire et la recherche de services retombent alors sur les épaules des mères, qui ont l’impression de ne pas pouvoir faire équipe avec leur partenaire. Autant de frustrations qui, dans certains cas, mènent à la rupture.

« Ça a été aussi une source de notre séparation, c’est que l’on n’a pas réagi du tout de la même façon fasse à l’autisme. Elle avait envie d’en parler 24 heures sur 24 et d’être là-dedans à fond tout le temps et moi je n’étais pas capable, c’était trop… » (Père de Pierre-Luc, 17 ans)

Le partage des tâches porte mal son nom 

Face aux besoins grandissants de l’enfant, réorganiser le rôle parental va souvent de soi… du moins pour les mères ! Même lorsque les deux parents sont en emploi, les mères sont les gagnantes d’une loterie peu avantageuse pour elles : responsabilités familiales, tâches domestiques, soins, etc. Pas étonnant que plusieurs déplorent un partage inégal des tâches ! De leur côté, les pères rencontrés ont plutôt l’impression d’offrir leur soutien. 

« Quand j’arrive du travail, je pourrais m’asseoir et elle ferait le souper, mais je l’aide quand même ou bien, je le fais parce que j’étais quand même cuisinier avant. » (Père de Lili, 11 ans)

Ce sentiment d’inégalité n’est pas seulement lié au temps, mais également à l’argent. Certaines mères estiment que l’apport financier de leur conjoint, qui occupe un emploi à temps plein, est insuffisant.

« Mais parfois, il n’est même pas au courant de tout ce que je dépense. […] Il n’arrive pas à comprendre que lui, il fait deux fois mon salaire. Et il voudrait qu’on paie moitié-moitié…. Je ne suis pas capable. » (Mère de Julia, 10 ans)

Services à l’enfant : 1 – Temps en amoureux : 0

Aller au restaurant, au cinéma, faire une marche en amoureux : ces activités pourtant simples sont un luxe pour plusieurs parents d’enfants qui vivent avec un TSA. Les exigences de la routine familiale, les difficultés pour faire garder l’enfant et le stress financier font en sorte que les moments partagés sont plus rares ou se complexifient. Pour certains parents, les services à l’enfant passent avant les loisirs dans le budget familial. 

« Pour moi, un souper au restaurant c’est une heure d’orthophonie. Les dépenses superflues, on les mesure en termes d’heures de service, alors c’est sûr que les loisirs, ça passe en deuxième. » (Mère de Gabriel, 15 ans)

Si les familles d’enfants qui ne présentent pas de problématiques particulières peuvent s’attendre à disposer de plus de temps en amoureux à mesure que l’enfant vieillit et gagne en autonomie, ce n’est pas le cas pour la majorité des parents d’adolescents ayant un TSA. 

Parents surchargés, vie de couple malmenée

Le stress, les inquiétudes, la colère et le découragement : plusieurs des parents rencontrés sont loin d’avoir une vie de couple épanouie ! Les parents rencontrés vivent de hauts niveaux de détresse qui se répercutent sur la qualité de leur relation. Les difficultés vécues peuvent être ponctuelles (ex. : s’adapter au diagnostic) ou continues (ex. : coûts élevés des services, démarches diagnostiques complexes). Résultat : ils sont trop préoccupés pour être disponibles pour leur partenaire.

« Il a commencé à lâcher prise, à ne plus être capable de se tenir et pour moi c’était une période où au travail ça n’allait pas super bien, et où c’était encore très demandant avec les enfants, alors je n’étais pas nécessairement disponible non plus. » (Mère de Carl, 12 ans)

Les parents d’adolescents ou jeunes adultes TSA vivent souvent un stress supplémentaire associé à la diminution des services offerts, à l’avenir de l’enfant, ou encore à son rapport à la sexualité et aux relations amoureuses. 

Et les parents d’adultes dans tout ça ? 

Avoir un enfant autiste est loin d’être de tout repos, et les difficultés du quotidien ont vite fait de rattraper les couples. Néanmoins, comme plusieurs études rapportent que de nombreux parents s’adaptent positivement à l’autisme de leur enfant, il serait intéressant de documenter leurs stratégies afin de mieux traverser ces défis.

De leur côté, les parents d’adultes atteints de TSA ne sont pas plus sereins une fois la majorité atteinte. Le manque de services disponibles est toujours une problématique de taille. Des initiatives à leur intention voient le jour, mais sont encore rares et peu accessibles. Par exemple, le projet Une maison pour la vie vise à construire des milieux de vie pouvant accueillir des adultes autistes de 21 ans et plus ayant besoin de soutien au quotidien. Une première maison a vu le jour en 2021 en Montérégie, et d’autres maisons devraient être mises sur pied au cours des prochaines années.