À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Catherine des Rivières-Pigeon et Isabelle Courcy, « »Il faut toujours être là. » Analyse du travail parental en contexte d’autisme», publié en 2017, dans Enfances Familles Générations, n° 28, p. 1-20.

  • Faits saillants

  • Les parents d’enfants ayant un TSA doivent faire des pieds et des mains pour s’occuper de leur enfant, au point d’agir parfois eux-mêmes comme le feraient les intervenants.
  • Plusieurs parents doivent surveiller en tout temps leur enfant autiste pour s’assurer qu’il est en sécurité et prévenir les comportements dangereux.
  • Les mères d’enfants autistes sont les principales responsables de l’organisation de la vie familiale (ex. : planifier les rendez-vous, prévoir les sorties, préparer les repas). Elles sont aussi plus nombreuses à quitter leur emploi pour répondre à leurs besoins.

Participer aux programmes d’intervention, rechercher des services adaptés, se rendre à de multiples rendez-vous, maintenir les acquis au quotidien… Les parents d’enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) s’impliquent à tous les niveaux pour soutenir leur enfant, agissant eux-mêmes comme des professionnels. Mais au-delà de ce travail de «co-thérapeute», comment vivent-ils leur rôle de parent au quotidien ? Pour eux, des activités aussi simples que le ménage, les repas ou les sorties en famille peuvent rapidement devenir un véritable casse-tête ! Ils souhaitent pourtant que leur famille soit comme les autres, en dépit des difficultés de leur enfant.

C’est ce que constatent Catherine des Rivières-Pigeon et Isabelle Courcy, professeures au département de sociologie de l’UQAM. Leur objectif : comprendre l’ampleur du travail réalisé au quotidien par ces parents, un aspect à ce jour peu documenté. Pour ce faire, elles interrogent 15 familles québécoises aux profils diversifiés (ex.: familles biparentales, monoparentales, issues de l’immigration, etc.), dont 13 femmes et 9 hommes. Leurs enfants sont âgés de 2 à 12 ans et ont reçu un diagnostic de TSA ou de trouble envahissant du développement (TED).

Le rôle d’« intervenante pivot »

Médecin, psychologue, orthophoniste, physiothérapeute, ergothérapeute… alouette ! Pris dans un tourbillon de rendez-vous et de suivis, les parents d’enfants autistes ont peu de temps pour souffler. Si ces rencontres sont bénéfiques pour l’enfant, elles nécessitent cependant un investissement en temps et d’énergie.

J’avais au moins quatre rendez-vous par semaine: j’en avais deux en ergothérapie, deux en physiothérapie et l’orthophonie en plus. (…) Parfois, j’avais deux rendez-vous dans la même journée et des rendez-vous avec le médecin deux ou trois fois par semaine.»
— Mère d’Enzo, 10 ans.

Les parents, le plus souvent les mères, assurent aussi le suivi et la communication entre les professionnels. Ni plus ni moins qu’un deuxième travail à temps plein, elles se définissent comme des « intervenantes pivots ». Non seulement cette tâche est stressante, mais elle les place dans une position délicate où il est difficile de s’absenter, ne serait-ce qu’un instant.

Être à la fois parent et intervenant

Les parents d’enfants autistes prennent en charge des apprentissages, au même titre que les professionnels de la santé et de l’éducation. Puisque le TSA affecte le langage et la communication, plusieurs doivent par exemple apprendre à leur enfant à s’exprimer verbalement, ou encore à décoder les émotions.

«On a travaillé le mensonge. Pour lui, quand une personne se trompe, il pense qu’elle est en train de mentir. Mais si on lui explique, il va comprendre. Mon travail le plus lourd, c’est ça, c’est d’expliquer les choses. […] Ça demande beaucoup de tact, de l’énergie et de la patience.»
— Mère de Cédric, 8 ans.

Ce travail hautement spécialisé n’est pas réservé à des périodes précises de la journée : l’occasion de consolider les apprentissages est omniprésente.

«Il ne travaille pas toujours avec ses deux mains, on travaille beaucoup ça en ergothérapie. Donc ce jeu l’oblige à tenir le jouet d’une main et à tourner la manivelle de l’autre. […] Pour mon fils, ce n’est pas un jouet, c’est un outil de travail.»
— Père d’Alexis, 4 ans.

Travail « usuel » et « spécialisé » : même combat ?

Un autre constat : le travail parental « usuel » se transforme rapidement en travail « spécialisé », en raison des particularités de l’enfant. L’heure du bain, l’apprentissage de la propreté, la prise de repas ou de médicaments : toutes les tâches parentales nécessitent une dose importante de préparation pour éviter les crises ou la désorganisation.

«Le lavage de cheveux, c’est terrible. Il a un petit pictogramme. Il se prépare psychologiquement. J’amène la débarbouillette pour lui cacher les yeux. […] Dès que je sais que ça va être la crise, je sors le petit pictogramme.»
— Mère de Félix, 4 ans.

Le simple fait de nettoyer la maison peut devenir mission impossible ! Dans certaines familles, la maison doit rester parfaitement en ordre et les objets doivent demeurer au même endroit pour éviter que l’enfant ne fasse une crise d’anxiété ou de colère.

Garder son calme : plus facile à dire qu’à faire!

En général, les enfants autistes acquièrent les habiletés motrices ou langagières à un rythme plus lent. Répéter les consignes à plusieurs reprises, ne pas faire les choses à sa place, éviter de perdre son calme lorsque l’enfant ne comprend pas ce qui est attendu de lui : les parents doivent déployer des trésors de patience et de résilience pour favoriser ces acquisitions sans se laisser emporter.

Les professionnels recommandent aux parents de demeurer en contrôle de leurs émotions en tout temps, et ce, même si les crises de colère de l’enfant sont si violentes qu’il pourrait se blesser ou blesser quelqu’un d’autre. Calmer l’enfant en crise et trouver l’élément déclencheur peut devenir un véritable défi, surtout lorsque celui-ci a de la difficulté à communiquer.

«Quand il fait une crise, il faut lui demander ce qu’il a. Il arrive à dire des mots et il essaie de se faire comprendre, mais c’est difficile. On cherche pour savoir ce qu’il veut dire. Par exemple, il va dire : Pousse bouton pour ouvrir la lumière. Souvent on ne comprend pas, on ne sait pas de quoi il parle.»
— Mère d’Alexis, 4 ans.

Le danger : encore un apprentissage

Fuguer, s’élancer dans la rue, mettre dans sa bouche des objets non comestibles… certains enfants autistes ne perçoivent pas le danger. Une autre responsabilité s’ajoute donc à la longue liste de tâches réalisées par les parents : surveiller leur enfant pour s’assurer qu’il est en sécurité et qu’il ne cause pas d’accident.

«Il fait des fugues dès que tu ne l’as pas à l’œil. Il n’a pas conscience du danger. […] Il s’est sauvé ce matin. J’étais stressée, il y avait des autos qui passaient dans la rue. J’ai essayé de le rattraper. […] Les fugues dans la rue, c’est un danger qui nous guette tout le temps. […] Il faut toujours être là.»
— Mère d’Alexis, 4 ans.

La solution ? Certaines familles limitent, voire évitent les sorties dans les lieux publics, où le danger est exacerbé. Plusieurs choisissent plutôt de recevoir à la maison. Plus de travail, mais aussi plus de tranquillité d’esprit : un compromis somme toute raisonnable pour elles.

Les mères « chefs d’orchestre »

Planifier les rendez-vous de l’enfant, établir un budget, prévoir les sorties en famille : la vie familiale se complique lorsqu’on a un enfant ayant des besoins particuliers ! Une lourde tâche qui retombe principalement sur les épaules des mères.

«Dans le quotidien, mon rôle dans la famille, c’est le chef d’orchestre. […] La planification du congélateur, […] tout ce qu’il faut pour la diète de mon garçon, les médicaments, la mélatonine, etc. […] Tout ça, c’est dans ma tête et je passe mes journées à gérer ça. […] Tous les services, les rendez-vous, que ce soit pour ses orthèses, ses médicaments et leurs renouvellements, même le permis de conduire de mon conjoint.»
— Mère de Charles, 7 ans.

La gestion des finances n’est pas non plus de tout repos. Entre les services offerts par le privé, les médicaments ou le gardiennage spécialisé, les frais associés à la prise en charge de l’enfant grimpent rapidement. À ces coûts importants s’ajoute souvent une perte de revenus, puisque rares sont les familles dans lesquelles les deux parents continuent de travailler à temps plein. Plusieurs mères ont dû quitter leur emploi pour prendre soin de leur enfant, s’appauvrissant davantage que leur conjoint. Résultat : les familles jonglent avec d’importantes contraintes financières et doivent réorganiser leur budget familial.

Un « travail » qui n’arrête jamais

Cette étude met en lumière les aspects souvent invisibles des tâches réalisées par les parents pour assurer la sécurité et le bon développement de leur enfant ayant un TSA. Prévenir les comportements dangereux, anticiper les crises et s’assurer que chaque activité favorise les apprentissages : un travail exigeant de tous les instants ! Comment simplifier la vie de ces parents ? Notamment en mettant en place des services accessibles, moins coûteux et plus flexibles afin que les tâches d’éducation et de soins ne reposent plus uniquement sur leurs épaules, d’après les auteures.

En plus d’investir énormément de temps et d’énergie au bien-être de leur enfant, les parents d’enfants autistes limitent leurs sorties et peuvent se sentir particulièrement isolés. Dans ce contexte, il serait intéressant de connaître les stratégies qu’ils emploient pour maintenir ou restaurer les liens avec leurs proches, soumis à rude épreuve par cette situation familiale particulière.