À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Geneviève Lessard, Sylvie Lévesque, Chantal Lavergne, Annie Dumont, Pamela Alvarez-Lizotte, Valérie Meunier et Sophie M. Bisson, « How Adolescents, Mothers, and Fathers Qualitatively Describe Their Experiences of Co-Occurrent Problems: Intimate Partner Violence, Mental Health, and Substance Use », publié en 2020, dans Journal of Interpersonal Violence, p. 1-24.

  • Faits saillants

  • Violence conjugale, problèmes de santé mentale et abus de substances : les familles aux prises avec ce trio dangereux sont particulièrement vulnérables.
  • Dans les familles aux prises avec des problématiques de violence conjugale, de santé mentale et de consommation, les pères et les mères n’expliquent pas la situation de la même manière.
  • Lorsque leurs parents vivent des difficultés qui les rendent incapables d’exercer leur rôle parental, les adolescents endossent souvent des responsabilités d’adulte (ex. : prendre soin de la fratrie).

Un père alcoolique et violent, une mère dépressive : ce n’est malheureusement pas le synopsis d’un téléroman, mais bien la situation familiale de Raphaël, 15 ans. Puisque ses parents sont moins disponibles, il prend soin de ses petites sœurs et endosse des responsabilités d’adulte. Son cas est loin d’être isolé : la violence conjugale affecte souvent tous les membres de la famille et peut s’accompagner de problèmes de santé mentale ou d’abus de substances.  

C’est ce qu’observe une équipe de sept chercheuses après avoir mené des entrevues auprès de familles où se mélangent violence, consommation et problèmes de santé mentale. Au total, 15 mères, 16 pères et 12 adolescents participent à l’étude. Les auteures se penchent sur le lien entre ces trois problématiques et sur les défis auxquels font face ces familles.

Une triple source d’adversité 

Violence conjugale, problèmes de santé mentale et abus de substances : ce trio explosif affecte la majorité des familles interrogées. Les mères souffrent plus souvent de problèmes de santé mentale (essentiellement stress, anxiété et dépression), alors que les abus de substances sont plus courants chez les pères (principalement alcool et drogues).

Tableau 1. Difficultés parentales identifiées par les familles participantes

Violence et problèmes concomitants : le paradoxe de l’œuf et de la poule

Quel est le lien entre la violence conjugale, les problèmes de santé mentale et l’abus de substances ? Sur ce point, les mères et les pères ont des perceptions diamétralement opposées. D’un côté, les femmes considèrent que la violence dont elles sont victimes a fragilisé leur santé mentale et engendré leurs problèmes d’abus. De l’autre, les hommes sont d’avis que leur propre consommation exacerbe la fréquence et la sévérité des épisodes violents. Pour eux, leur consommation de substances n’explique pas leur comportement agressif, même s’ils admettent qu’elle a pu l’aggraver.  

« La situation a empiré quand j’ai commencé à boire de la bière et de l’alcool les fins de semaine. […] La boisson fait disparaître les inhibitions, on est moins prudent, on parle sans réfléchir. Ce n’est pas une excuse, […] c’est mon problème […], parce que c’est moi qui ouvre la bouteille de bière. » (Traduction libre des propos d’un père)

Quant aux adolescents, ils sont en mesure de se faire leur propre idée de la situation, même si leur interprétation diffère parfois de celle de leurs parents. Par exemple, une adolescente croit que sa mère a développé des problèmes de consommation en raison de la violence subie, même si sa mère se blâme pour ses abus d’alcool. 

« La violence engendre la violence », mais aussi la détresse et l’abus de substances 

Qu’elle soit de nature psychologique ou physique, la violence commence souvent dès la période périnatale et empire au fil du temps. Anxiété, dépression, épuisement, faible estime de soi, pensées suicidaires : la souffrance des mères prend plusieurs visages. Dans certains cas, les participantes ayant déjà vécu des problèmes de santé mentale par le passé voient leurs symptômes s’aggraver avec les manifestations de violence.

« J’ai commencé à me mutiler quand j’avais 11 ans. C’était après que mes parents se soient séparés. Depuis que j’ai mes enfants, je ne l’avais jamais refait. Puis, lorsque [nom du conjoint violent] est arrivé dans ma vie, tout a recommencé. » (Traduction libre des propos d’une mère)

En réponse à cette violence, certaines mères développent aussi des dépendances (alcool, drogues, médication, etc.). Bien plus qu’une mauvaise habitude, c’est pour elles une stratégie de survie : la consommation de substances atténue leurs souffrances et leur donne le courage nécessaire pour se défendre.   

« Quand j’étais sobre, je ne me défendais pas […]. J’ai commencé à boire de l’alcool pour me défendre, pour être plus brave, pour ne plus ressentir toutes ces choses qu’il disait à propos de moi, […] pour être prête à aller à la guerre. […] Peu importe ce qu’il allait dire, […] je me sentais prête et invincible. » (Traduction libre des propos d’une mère) 

Les enfants prennent le relais

Puisque leur conjoint violent est absent ou s’implique peu dans la sphère familiale, voir les mères assumer toutes les responsabilités parentales n’est pas si rare. Isolées de leurs proches et épuisées, elles sont donc moins patientes ou disponibles pour leurs enfants. 

« J’ai toujours pris soin de ma famille seule […]. Parfois, c’est difficile de croire qu’on est une bonne mère […], il y a des moments où j’ai abandonné. Je ne voulais plus être une mère. Je portais le poids des responsabilités de deux parents sur mes épaules. » (Traduction libre des propos d’une mère) 

Les adolescents, laissés à eux-mêmes, sont donc souvent appelés à jouer un rôle d’adulte. Prendre soin de leurs frères et sœurs ou remplir le rôle de confidents auprès de leurs parents dépassés par leur propre détresse fait partie de leur quotidien.  

« Ça m’inquiète de voir ma mère si stressée, ça m’inquiète vraiment […]. Voir à quel point la situation affecte ma mère, c’est ce que je trouve le plus dur. » (Traduction libre des propos d’une adolescente) 

Intervenir auprès des conjoints violents

Comme le soulignent les auteures, les programmes d’intervention, notamment ceux des services de protection de l’enfance, prennent rarement en compte les conjoints violents. La sécurité et le bien-être des enfants sont souvent l’apanage des mères, encouragées à quitter leur conjoint pour protéger leur famille. Cependant, le combo contrôle/violence peut perdurer bien au-delà de la séparation. Dans ce contexte, intervenir auprès des pères permettrait non seulement de les responsabiliser, mais également de protéger les victimes. Pour y parvenir, davantage de programmes d’intervention pour les conjoints violents gagneraient à être développés.