Dans une petite ville rurale du Québec, Béatrice, 7 ans, vit avec sa mère qui travaille dur pour subvenir à leurs besoins. Mais les ressources d’aide formelles sont limitées et l’accès aux services sociaux est rare. Un jour, l’école signale des signes de négligence à la Direction de la protection de la jeunesse : la petite arrive souvent à l’école sans déjeuner et porte des vêtements inadéquats pour la saison. À des centaines de kilomètres, dans un quartier densément peuplé de Montréal, Louis, 7 ans également, vit avec ses parents dans un appartement modeste. Quand l’école de Louis signale des signes de négligence similaires à ceux de Béatrice, ses parents reçoivent rapidement une aide alimentaire et des vêtements appropriés. Grâce à leur localisation régionale, la famille a accès à une grande variété de services sociaux et communautaires pour l’aider. Les deux enfants vivent dans des situations économiques précaires comparables, mais leurs réalités face aux services de soutien et de la protection de la jeunesse diffèrent grandement. Comment ces disparités géographiques et socioéconomiques influencent-elles les interventions de la protection de la jeunesse au Québec? Comment adapter les services aux conditions de localisation des familles pour assurer un suivi plus ajusté à leurs réalités?
Une équipe de recherche de l’Université de Montréal et de l’Université McGill a utilisé des données recueillies auprès de 166 CLSC de la province sur une période de 2000 à 2016. Ses objectifs? Notamment, d’identifier les trajectoires des enfants dans le système de protection de la jeunesse selon leurs emplacements géographiques. Ces informations combinent trois éléments clés : les facteurs socioéconomiques, la densité de la population infantile et le risque d’intervention des services de protection de la jeunesse. L’objectif de cette étude est de voir si la vulnérabilité socioéconomique, associée à une certaine densité régionale, augmente les risques pour les familles de recevoir des services de la protection de la jeunesse. La pauvreté est loin d’être le critère exclusif favorisant l’implication rapide de la protection de la jeunesse. L’endroit où vivent les familles a également une portée surprenante sur les interventions reçues.
DPJ : une action à réalité urbaine?
Qui n’a jamais entendu parler de la DPJ? Cet acronyme est couramment utilisé au Québec, mais qu’implique-t-il exactement? La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) n’est pas un filet de sécurité universel. Il s’agit plutôt d’une intervention d’urgence dans des cas où la sécurité et le développement de l’enfant sont compromis, comme dans des situations de négligence ou de maltraitance. Or, cette approche, qui vise à minimiser les préjudices plutôt qu’à promouvoir le bien-être, ne répond pas aux défis de soutien réels de nombreuses familles. Le fossé entre les besoins manifestes des gens et ce qu’ils reçoivent (ou non) est encore plus grand dans les régions éloignées. Pour les personnes vivant loin des grands centres urbains, les services d’aide sont peu nombreux. Et la réponse aux signalements peut souffrir d’un plus grand délai, notamment causé par un manque de personnel. Cette situation met les familles ainsi localisées dans une situation délicate : plutôt que d’obtenir le soutien préventif dont elles bénéficieraient grandement, elles subissent davantage d’interventions répressives des services sociaux. Conséquence? Un risque accru de mesures sévères qui auraient pu être contrecarrées avec l’aide d’un soutien local ou de services adaptés à leurs besoins.
« Malgré la disponibilité de nombreuses prestations universelles financières et de services de soutien pour les familles, quel soutien manque-t-il à ces dernières? À qui s’adressent les programmes de services sociaux? À qui sont-ils accessibles? » – L’équipe de recherche
Où commencer? Les premiers pas vers un système de protection de l’enfance équitable
Comprendre les familles au Québec, c’est aller au-delà des grandes villes. Dans les zones reculées, le manque de mécanismes de soutien et de suivis adéquats met en lumière une réalité troublante : le système de protection de l’enfance ne peut pas remplacer un système préventif efficace. Sans lui, les interventions deviennent réactives plutôt que proactives, ce qui ne répond pas aux besoins des familles et peut même aggraver leur situation. Alors, quelle est la solution? En comprenant mieux les familles et leurs besoins, leur offrir un soutien adapté, que ce soit via un organisme communautaire ou un programme spécifique qui peut prévenir les situations critiques devient possible. Mais, par où commencer?
Isolement, pauvreté et délai : un premier trio qui n’emmène pas vers la victoire
Un trio d’éléments jouent un rôle crucial dans le parcours d’une famille : la vulnérabilité socioéconomique, la densité de la population régionale et le risque de délai des interventions par les services de protection de l’enfance. Prenons l’exemple d’une famille vivant dans une petite ville éloignée. Leurs finances sont limitées et les services de soutien locaux se font rares, ce qui est monnaie courante lorsque l’on habite loin des grands centres urbains. Mais pourquoi cette situation les rend-elles plus susceptibles de se retrouver dans le radar des services de protection de l’enfance? La réponse tient en un mot : l’isolement. Ces familles rencontrent des barrières significatives d’accès aux aides qui leur seraient nécessaires. Les services spécialisés, tel qu’un rendez-vous avec un médecin souvent localisé à plusieurs kilomètres de route, ou un soutien familial relevant d’un service psychosocial, représentent des exemples de manques de services préventifs. Moins il y a de services accessibles, plus les familles luttent seules. Les risques de situations où l’intervention des services de protection de l’enfance devient inévitable s’en trouvent augmentés. Avec logique, car à ce stade, elle constitue la seule voie accessible à de quelconques services sociaux.
L’union fait la force!
Quelles stratégies complémentaires aux services traditionnels peuvent être instaurées pour aider les familles vulnérables à éviter des interventions répétées de la protection de l’enfance? La grande densité de la population a démontré son efficacité pour atténuer le lien entre les situations de pauvreté et l’intervention du système de protection de l’enfance. En effet, les familles des grandes villes bénéficient souvent de réseaux de soutien significatifs qui peuvent diminuer le risque d’une intervention exceptionnelle de la protection de l’enfance. Mais comment peut-on transposer ces avantages aux communautés plus éloignées? Plusieurs stratégies sont proposées, toutes tissées par un fil commun : la force du lien social. Renforcer la proximité communautaire est primordial. Un réseau social solide peut servir de tampon contre le stress et les comportements parentaux problématiques, tout en augmentant les capacités d’adaptation des parents. Pour les familles n’ayant pas la proximité idéale pour bâtir un réseau de soutien informel robuste… un pas à la fois. En commençant par tisser des liens avec des amis, des voisin·e·s de confiance et des soutiens communautaires lorsque disponibles, elles peuvent progressivement renforcer leurs connexions sociales. L’objectif : briser l’isolement, un lien à la fois. De plus, stimuler les liens sociaux par la promotion d’activités récréatives et la création de points de rencontre dans les régions éloignées peut également apporter de grands bénéfices aux familles. Ces initiatives offrent bien plus que de simples opportunités de connexion et de soutien; elles constituent un rempart contre l’isolement des familles confrontées à leurs propres défis. En particulier face aux problématiques de pauvreté et par conséquent, aux interventions de la protection de l’enfance.
Votre adresse, votre avenir?
Deux familles, deux réalités… Toutes deux, vivant dans la précarité, sont confrontées à des défis distincts, influencées largement par leur zone géographique. Est-il équitable que la localisation d’une famille, parfois enracinée depuis des générations, détermine sa capacité à recevoir du soutien préventif avant qu’une intervention des services de protection de l’enfance ne devienne nécessaire? Adapter les services pour répondre aux particularités de chaque région est crucial pour offrir des chances égales de réussite et d’épanouissement à tous les enfants. Veiller à ce que toutes les communautés – même les plus isolées – reçoivent un soutien adapté, peut améliorer considérablement les conditions de vie des familles. Chaque famille mérite un soutien face à ses défis, quel que soit son code postal!