Le Québec a fait des bonds de géant en matière de politique familiale. Chaque famille bénéficie de lieux de garde à prix modique, de congés parentaux avantageux et de soutien financier… Chaque famille, vraiment ? S’il faut reconnaître des avancées fulgurantes pour les parents, le vernis d’une politique se voulant universelle est craquelé. Pas besoin de gratter longtemps pour s’apercevoir que le portrait, bien que généreux, est moins rose qu’il n’y parait.
Les chercheures Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay réalisent une revue des documents gouvernementaux et des rapports de recherche sur la politique familiale de 1997 à 2020, en commençant par le livre blanc Les enfants au cœur de nos choix. Leur constat : malgré leurs avantages, les trois mesures phares de la politique familiale québécoise – les CPE, le RQAP et les allocations familiales – renferment des écueils qui font tomber certains parents entre les craques du système.
Tarifs uniques en garderie, pensée magique ?
Les centres de la petite enfance (CPE), universels ? Selon les autrices, la question mérite d’être posée ! Accueillie en grande pompe lors de sa création en 1997, la mesure promet des soins universels aux enfants d’âge préscolaire et un soutien plus efficace envers les mères désirant retourner sur le marché du travail. L’élément clé de cette mesure : le tarif fixe à prix modique. La création d’un moratoire empêche l’ouverture de garderies privées pendant cinq ans et offre la possibilité au réseau de se développer. Toutes les planètes semblent alignées, mais plus de 20 ans plus tard, force est de constater qu’elles ont dévié de leur trajectoire…
Tous les enfants n’ont pas la même « valeur » aux yeux de l’État, déplorent les deux spécialistes. Dans le livre blanc, chaque enfant devrait avoir accès à une éducation préscolaire de qualité. Or, dès leur implantation, des différences de traitement apparaissent entre les familles. Par exemple, aucun soutien n’est prévu pour les parents ou les proches qui gardent les petits à la maison. Sachant que – faute d’accès – les familles à faible revenu visitent moins les CPE, la situation est préoccupante. La fréquentation d’un lieu de garde est essentielle pour recevoir sa part du gâteau. Pour les autres : rien !
Depuis 1997, les améliorations sont loin d’être au rendez-vous. Le problème ? Le réseau est victime de son succès ! Dans le monde merveilleux de la politique familiale, rien n’est prévu pour augmenter la capacité des CPE, rapidement saturés par les demandes de parents friands de places à prix modique. Résultats : les familles laissées à elles-mêmes se tournent vers le privé qui gagne du terrain à la fin du moratoire. Or, si la qualité des soins est élevée en CPE, elle varie grandement en milieux privés, qui chargent bien plus cher de surcroit. De nouveau, l’égalité entre les enfants se discute en fonction du lieu de garde.
La « valeur » des enfants fluctue dans les années 2010, dans le sens où chaque parent ne paie pas le même prix pour ses enfants en garderie. Le gouvernement libéral choisit de moduler le prix des CPE en fonction du revenu familial et du rang de l’enfant dans la famille. Heureusement, disent les chercheures, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec est revenu sur cette décision en réintégrant un tarif unique pour chaque enfant dès 2020.
Congés parentaux revus et (presque) corrigés
Une petite révolution éclot à l’implantation du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). En plus d’être plus généreux et moins contraignant que son prédécesseur du fédéral, c’est aussi le début d’un congé exclusif aux pères, une première en Amérique du Nord. Malgré un accès plus vaste, clamer que le programme est universel en fait sourciller plus d’un !
Malgré les belles avancées, nombreux sont les parents (et les enfants !) qui ne peuvent bénéficier d’un congé parental. Le nerf de la guerre, c’est le travail. Les parents sans emploi admissible ne reçoivent rien. En d’autres mots, le congé parental ne sert pas à compenser les heures passées à prendre soin de son poupon, mais bien les heures perdues sur le marché du travail. Plusieurs se retrouvent ainsi le bec à l’eau, alors que leur nouveau-né leur demande tout autant d’amour et d’attention.
Même les parents admissibles sont loin d’être au bout de leur peine. Familles à faibles revenus, travailleurs autonomes, parents de même sexe, étudiants boursiers, parents au chômage ou sans-emploi : tous se voient mettre des bâtons dans les roues pour accéder au RQAP, ou en sont carrément exclus. Pourtant, les politiques sont capables d’évoluer. Pour preuve : les parents adoptants ont récemment vu leur prestation bonifiée pour égaler le nombre de semaines du congé accordé aux parents biologiques.
Allocations familiales : les bonnes élèves
Chaque famille québécoise qui produit sa déclaration de revenus reçoit une allocation familiale de la province. La mesure est donc réellement universelle, tout en étant plus généreuse envers les familles en difficulté. Un pari réussi pour l’État ? Tout à fait, estiment les chercheures.
Modèle à suivre ou rattrapage à faire ?
Où se situe le Québec en matière de politique familiale ? Tout dépend avec qui l’on se compare ! La province fait bonne figure en regard à ses voisins du Sud et du reste du Canada, où les services de garde publics sont pratiquement inexistants et les congés parentaux bien minces. Mais d’autres pays sont beaucoup plus avancés dans leur soutien aux familles. Par exemple, la Suède offre jusqu’à 16 mois de congés parentaux, dont trois exclusifs à chaque parent, ainsi qu’un système de garderie universelle. Ouest, Sud, Est ? Dans quelle direction la province penchera-t-elle pour ses prochaines mesures : ses voisins libéraux ou ses idéaux universels ?