« J’ai trouvé que le suivi n’a pas été à la hauteur de mes maux et de la problématique que l’on vivait. Ce manque de connaissance dans la société où on s’installe, c’est quelque chose qui peut nous pénaliser… » raconte une femme immigrante ayant vécu un décès périnatal. Si la perte d’un bébé est une expérience douloureuse pour tous les parents, les défis de la migration amplifient ce deuil déjà particulièrement éprouvant.
C’est le constat d’une étude menée par une équipe de cinq chercheuses de l’Université du Québec en Outaouais. Elles interrogent 18 parents (13 femmes et 5 hommes) ayant vécu un décès périnatal dans les cinq dernières années afin de comprendre leur expérience et leurs besoins. Les personnes participantes sont arrivées en sol québécois depuis moins de dix ans et habitent les régions de Montréal, de l’Outaouais ou de la Capitale-Nationale. Les chercheuses se penchent sur trois thèmes : la méconnaissance du réseau de la santé, l’importance des soins personnalisés et l’isolement teinté par le parcours migratoire.
S’orienter dans le système de santé : plus facile à dire qu’à faire
Ne pas savoir comment fonctionne le système de santé : voilà une situation qui met plusieurs parents migrants à risque. Lorsqu’une situation anormale survient pendant la grossesse, nombreux sont ceux qui ne savent pas où et quand consulter. C’est particulièrement vrai en début de grossesse, puisque le premier rendez-vous de suivi survient souvent après le premier trimestre.
« Je ne savais pas où aller […]. J’ai demandé au personnel de l’urgence : « est-ce que je devais venir ? » et ils m’ont dit : « mais oui, tu aurais dû venir tout de suite. » » (Une mère)
Ne pas parler français désavantage plusieurs parents, mais le contraire est aussi vrai ! Les membres du personnel médical croient que, parce que les parents parlent français, naviguer dans le système de santé québécois est pour eux simple comme bonjour, ce qui n’est pas toujours le cas.
« On parlait français, ils croyaient qu’on venait du Québec. […] Ils pensent que tu es déjà là depuis longtemps, nous on pense qu’ils sont au courant que nous sommes immigrants, mais ils ne sont pas au courant. […] Autant nous, on a besoin de connaître leur société, autant eux aussi, ils doivent apprendre à nous connaître en tant que nouveaux arrivants. » (Une mère)
Plusieurs parents remettent en question les soins reçus et se demandent avec amertume s’ils auraient pu changer le fil de l’histoire. Comme ils ne saisissent pas toujours les informations transmises par les professionnels, la majorité demeure avec de profonds questionnements face aux causes du décès de leur bébé.
« Je me culpabilise parce que je me dis que peut-être que comme je suis de nature à ne pas être trop sensible à la douleur, est-ce qu’il aurait fallu que je hurle ? […] Je ne savais pas si mon bébé allait bien […], mais je savais que quelque chose n’allait pas. […] Ça n’avait aucun sens, c’est comme si j’étais folle de vouloir aller aux urgences […]. On est sortis de l’hôpital la mine déconfite en se disant que c’était comme ça que ça fonctionne ici. » (Une mère)
Face au deuil, rien ne vaut l’écoute et l’attention
Des professionnels et professionnelles disponibles, à l’écoute de leurs besoins et qui respectent leurs valeurs : autant de petites attentions qui atténuent la douleur des parents migrants à la suite d’un décès périnatal. Leur ouverture à l’égard des croyances religieuses et culturelles des parents permet à ces derniers de traverser le deuil d’une façon plus positive.
« Ils sont vraiment sensibles au niveau de la culture. Ils respectent notre culture malgré que leurs valeurs puissent être différentes des nôtres. […] J’avais demandé qu’une personne puisse venir prier avec moi, prier pour le bébé. […] Ils m’ont accompagnée, ce sont vraiment des exceptions qu’ils ont faites… » (Une mère)
Ces gestes font toute la différence pour les parents, qui s’en souviennent des mois, voire des années après la perte de leur bébé.
Quand deuil et solitude se croisent
Si toutes les personnes endeuillées se sentent isolées, ce sentiment est souvent décuplé pour les personnes migrantes. Souvent installées depuis peu au Québec, elles n’ont pas eu le temps de se bâtir un réseau de soutien et se retrouvent seules avec leur chagrin.
« […] quand on arrive dans un nouvel environnement, il faut du temps pour s’y faire, il faut du temps pour faire des liens solides. […] J’étais enfermée à la maison dans mon monde où j’étais à ne pas croire ce qui venait de se passer. […] C’était vraiment un moment trop difficile. » (Une mère)
« Eux là-bas, nous ici » : le fait que la famille soit restée au pays n’aide en rien leur sentiment d’être seules au monde. Comme si leur situation n’était pas déjà assez difficile, plusieurs mères évitent de parler du décès dans le but d’épargner leurs proches.
« Mon père était malade, donc je ne savais pas trop, je parlais à sa femme, pour mieux savoir s’il était en état de prendre la nouvelle ou pas. Il y avait tout cet aspect-là à gérer aussi. » (Une mère)
Connaître pour reconnaître et mieux aider
Entre méconnaissance du système de santé, adaptation au pays d’accueil et isolement, les personnes migrantes qui traversent un deuil périnatal sont particulièrement vulnérables. L’écoute, la bienveillance et l’ouverture du personnel soignant peuvent apaiser la douleur des parents et faciliter le processus de deuil, d’où l’importance de personnaliser les soins aux besoins de chaque famille. Parents Orphelins, par exemple, est un organisme sans but lucratif visant à briser l’isolement en fournissant aux parents qui vivent un deuil périnatal un lieu de rencontre ainsi que du soutien matériel et moral.
Comment mieux répondre aux besoins parents migrants ? Selon les chercheuses, les professionnels et professionnelles de la santé devraient poser des questions pour mieux comprendre leur parcours migratoire, la présence ou l’absence d’un réseau de soutien et leur niveau de connaissance du réseau de santé. Ils doivent également garder en tête que la maîtrise de la langue ne signifie pas que les parents sont bien intégrés au pays d’accueil ni qu’ils savent où et quand chercher de l’aide.