À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Anne-Marie Nolet, Marie-Marthe Cousineau et Carlo Morselli, « Les actions des membres du réseau social des femmes victimes de violence conjugale et leurs impacts sur l’autonomie des femmes », publié en 2020 dans la Revue canadienne de service social, vol. 37, n° 2, p. 9-26.

  • Faits saillants

  • Isolées et sous le contrôle de leur partenaire, de nombreuses victimes de violence conjugale gardent le silence face à leur situation par crainte du jugement de leurs proches ou des représailles de la part du partenaire violent.
  • Malgré leurs bonnes intentions, les proches des victimes de violence conjugale peuvent empirer la situation en prenant complètement en charge le problème, que ce soit en exprimant de la colère, en donnant des ordres ou en surveillant les victimes.
  • Les proches d’une victime de violence conjugale peuvent nuire au problème en s’en désengageant : exprimer des doutes, mettre la responsabilité sur les épaules de la victime, se retirer, etc.
  • La clé pour bien accompagner les victimes de violence conjugale ? Respecter le choix et le rythme des victimes.

Intimidation, blâme, menaces, isolement : en instaurant une dynamique de contrôle, les partenaires violents font rapidement voler en éclats l’autonomie des victimes de violence conjugale. Si les proches peuvent soutenir ces dernières en respectant leurs choix et leur rythme, ils peuvent aussi nuire à la situation en refusant le problème ou en prenant complètement en charge la situation. 

C’est l’un des constats d’une étude menée par Anne-Marie Nolet, Marie-Marthe Cousineau et Carlo Morselli, chercheur et chercheures du département de criminologie de l’Université de Montréal. L’objectif ? Comprendre comment les proches peuvent contribuer ou, au contraire, nuire à l’autonomie des victimes de violence conjugale. Pour ce faire, l’équipe donne la parole à 30 femmes recrutées dans quatre maisons d’hébergement à travers le Québec (15 résidentes, 11 ex-résidentes et 4 en suivi externe). En moyenne, les participantes ont été en couple durant 9 ans avec le conjoint violent. Outre ces entrevues individuelles, l’équipe mène également une entrevue de groupe avec trois intervenantes et deux victimes. 

Une violence aux multiples conséquences

Dans un climat de terreur : voilà comment se sentent les participantes, qui craignent constamment de mettre leur partenaire en colère. Environ le tiers mentionnent que leur conjoint refuse qu’elles fréquentent certains de leurs proches, ce qui contribue à leur isolement et à leur perte d’autonomie. Résultat ? Bien souvent, elles n’ont tout simplement plus personne vers qui se tourner. 

« J’étais très isolée. Je n’avais pas de contact avec personne, sauf lui. Il m’a jusque fait me débarrasser de mon chien parce que je m’occupais trop de lui. » (Pascale, victime de violence conjugale)

Plusieurs femmes rapportent que cette réclusion forcée affecte les sphères les plus simples de leur vie quotidienne, comme leurs loisirs et leurs déplacements. 

« C’est pour te dire à quel point je suis partie de loin. Aller se balancer dans la cour avec ma fille, pour la plupart des personnes, y a rien là, mais pour moi, c’était un défi. » (Faraa, victime de violence conjugale)

Malgré tout, certaines décident de se taire au sujet de la violence, car elles craignent d’être jugées, que leur conjoint apprenne qu’elles se sont confiées, ou encore que leurs proches les prennent trop en charge. 

« Ça aurait fait quoi si elles en avaient parlé? Ils auraient dit : « laisse-le »; « tu peux pas rester là, on va aller te chercher »? Tant que t’en parles pas, c’est parce que t’es pas prête à ce que ce soit fini. » (Monique, directrice d’une maison d’hébergement)

Lorsque la violence atteint un certain niveau, elle peut agir comme élément déclencheur de la rupture et, par le fait même, de la recherche d’aide. C’est alors l’occasion pour les victimes de rebâtir les relations interrompues et d’en créer de nouvelles auprès d’autres victimes, de collègues ou d’un nouveau partenaire. 

Trop, c’est comme pas assez

Vers qui se tournent les victimes lorsqu’elles sont prêtes à chercher de l’aide ? Les proches agissent bien souvent à titre de « premiers répondants ».  Par contre, malgré leurs bonnes intentions, ces derniers peuvent empirer la situation en s’appropriant le problème ou, au contraire, en se désengageant. 

Plus précisément, certains proches, sous le coup de l’émotion, prennent complètement en charge la situation : ils expriment leur colère, donnent des ordres et surveillent les victimes. Ces actions, peut-être empreintes de bonne volonté, peuvent faire en sorte que les femmes se sentent prises dans un étau et qu’elles remettent en question cet appel à leurs proches dans le futur. Un exemple parmi tant d’autres : celui d’une participante qui craint que son frère passe à l’acte pour « brasser son conjoint », parce que c’est bien elle qui en subira les conséquences par la suite. Ce contrôle excessif de la part de la famille n’est en aucun cas la solution à leur problème. La conséquence ? Un retour vers le conjoint violent, qui constitue la meilleure solution aux yeux de certaines victimes.

« Je me disais, si je peux renouer avec l’ancien conjoint, je vais pouvoir sortir, partir de là, on parlera à la DPJ qu’on va faire des thérapies, collaborer, tout ça. » (Laurie, victime de violence conjugale)

Si certains proches agissent en « superhéros » et s’approprient la situation, d’autres refusent carrément le problème et remettent en question la situation : ils expriment des doutes, mettent la responsabilité sur les épaules de la victime ou se retirent de la situation. Une femme raconte qu’elle pouvait passer très peu de temps avec ses amies pendant sa relation, ce qui a donné un avantage à son agresseur à la suite de la rupture. 

« Encore aujourd’hui, j’ai des come-backs au niveau social. Je vois plus mes amis. Ils me traitent d’irrespectueuse. Ça faisait comme 10 à 13 ans que je les connaissais, ils me regardent comme plus. Y me disent que j’ai juste voulu faire un bébé avec lui, que je l’ai envoyé chier puis que je veux pas qu’il vienne voir le bébé. Puis c’est pas vrai. (…) Il est très manipulateur. » (Judith, victime de violence conjugale)

Quand accompagner rime avec respecter

Comment faire pour bien accompagner les victimes, alors ? En prenant une juste part du problème et, surtout, en respectant leurs choix et leur rythme, soutiennent les spécialistes. 

« Avec l’intervenante, on a parlé beaucoup et je me sentais pas jugée. Elle me disait : « je ne te dirai pas de le quitter, ça doit venir de toi. » » (Pascale, victime de violence conjugale)

L’entourage peut aussi exprimer son appui en encourageant les victimes, en leur offrant une oreille attentive, en les référant à des ressources spécialisées en violence conjugale lorsqu’elles sont prêtes ou en leur offrant une aide concrète (hébergement, aide financière, etc.). De cette manière, il offre des pistes de solution, tout en laissant la liberté aux victimes de choisir celles qui leur conviennent en fonction de leurs besoins et de l’étape où elles sont rendues dans leur réflexion. 

Pour mieux soutenir ? Du soutien!

Prendre une juste part du problème, trop s’impliquer, ou pas assez : la ligne est mince pour aider efficacement les victimes de violence conjugale ! L’équipe de recherche souligne l’importance, pour les proches, de respecter le rythme des femmes et de les référer à des ressources appropriées lorsqu’elles sont prêtes à entamer ce cheminement. Pour faciliter ce processus, l’organisme SOS violence conjugale offre des conseils et de l’information ainsi qu’une ligne d’écoute à l’intention de l’entourage des victimes.