À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Simon Lapierre et d’Isabelle Côté, « Abused women and the threat of parental alienation : Shelter worker’s perspective », publié en 2016, dans Childen and Youth Services Review, vol. 65, p. 120-126.

  • Faits saillants

  • Suite à une séparation, certains ex-conjoints violents utilisent l’argument de l’aliénation parentale pour discréditer la mère de leurs enfants.
  • Le nombre de femmes accusées d’aliénation parentale ou menacées de l’être serait en augmentation, d’après les intervenantes œuvrant en maisons d’hébergement.
  • Les menaces et accusations d’aliénation parentale ont d’importantes répercussions sur la sécurité et le bien-être des femmes et de leurs enfants.

Se séparer d’un conjoint violent peut être très difficile, particulièrement lorsque des enfants entrent en ligne de compte. Même après la séparation, ces femmes ne sont souvent pas au bout de leurs peines. La violence se poursuit, et peut notamment se manifester par une autre forme de contrôle. Par exemple, certains hommes violents tentent de discréditer leur ex-conjointe en l’accusant d’aliénation parentale. Mais qu’est-ce, au juste, que l’aliénation parentale?

« Le terme « aliénation parentale » est employé pour désigner les situations où on soupçonne un parent de s’allier avec son enfant dans le but d’exclure volontairement l’autre parent, particulièrement dans les cas de séparation ou de divorce hautement conflictuels[1]. (Traduction libre) »

Ainsi, une femme violentée qui limite l’accès du père aux enfants risque d’être accusée d’aliénation parentale. Pourtant, cette mère exprime une inquiétude légitime par rapport au bien-être physique et psychologique de ses enfants. Le concept d’aliénation parentale est donc particulièrement problématique dans un contexte de violence conjugale.

Dans le but d’évaluer l’ampleur du phénomène, Simon Lapierre et Isabelle Côté, tous deux professeurs en service social, ont recueilli les témoignages de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale par le biais d’un questionnaire électronique.

Trente maisons d’hébergement de partout au Québec y ont répondu, de façon anonyme. Les participantes devaient, notamment, évaluer combien de femmes hébergées avaient été accusées d’aliénation parentale (ou menacées de l’être) au cours des cinq dernières années. Elles devaient également décrire les impacts de ces accusations sur la sécurité des femmes et de leurs enfants.

De plus en plus d’accusations

La plupart des maisons d’hébergement ne conservent pas de rapports détaillés des situations vécues par les femmes; c’est pourquoi il est difficile d’évaluer avec précision le nombre de femmes violentées qui auraient été accusées d’aliénation parentale. Cependant, en se fondant sur leur expérience d’intervenantes, les participantes à cette étude se sont montrées formelles : de plus en plus de femmes victimes de violence conjugale sont accusées d’aliénation parentale, ou menacées de l’être. Le terme semble d’ailleurs être de plus en plus connu par les femmes en maisons d’hébergement.

« Five years ago, the term « parental alienation » wasn’t really known by the women we met. In recent years, they speak more about it. They understand the weight of those terms when they are accused […] of parental alienation, which is increasingly common. » (Maison 5)

Contrôle et discrédit

Pourquoi un conjoint violent accuse-t-il son ex-partenaire d’aliénation parentale? Dans quel but? Selon les auteurs, il cherche ainsi à contrôler et à discréditer la mère. En l’accusant, elle, il évite de se faire accuser, lui. Ce faisant, l’« inadéquation » de la mère sera blâmée plutôt que le comportement agressif du père.

Certains ex-conjoints violents utiliseront aussi l’aliénation parentale comme un instrument de négociation pour la garde des enfants et faire pression sur la mère.

« The ex-partner will use this to control the mother in order for her to get back with him. He knows that children are important to her. » (Maison 8)

Par crainte de susciter ce genre d’accusation, certains avocats iront jusqu’à recommander à leurs clientes de ne pas parler de la violence dont elles ont été victimes à leurs enfants.

 « Even in situations where mothers don’t face parental alienation threats, they are aware that it is a possibility. Their lawyer will often tell them not to talk about certain things to avoid parental alienation charges. » (Maison 26)

La perception des professionnels

Comment les professionnels (protection de la jeunesse, système judiciaire) traitent-ils ces accusations? D’après les intervenantes, ils peuvent parfois confondre le désir de la mère de protéger ses enfants avec de l’aliénation parentale.

« There is a thin line between protection and alienation, and it’s not easy to detect. Few workers are sufficiently trained to screen and assess those situations. » (Maison 6)

Toutefois, plusieurs répondantes notent que les femmes accusées d’aliénation parentale par leur ex-conjoint font rarement face à des charges formelles. Mais la menace suffit à provoquer d’importances répercussions sur la sécurité et le bien-être des mères et de leurs enfants.

Dénoncer… ou se taire

Les accusations et menaces d’aliénation parentale accentuent la détresse psychologique des mères; elles peuvent ressentir de l’impuissance, de la colère, de l’anxiété, ou se sentir encore plus isolées. Comment dénoncer la violence conjugale dans un tel contexte? Les procédures légales s’allongent, sont coûteuses et demandent davantage d’énergie.

« Not only do they have to fight for the recognition of domestic violence and post-separation violence, they must also fight against false allegations of parental alienation. They must therefore increase efforts in the struggle for their rights and integrity. » (Maison 5)

Selon les intervenantes, les femmes accusées d’aliénation parentale ne se sentent pas protégées ni supportées par les professionnels, tels que les experts en protection de l’enfance et les intervenants psychosociaux. Elles hésitent donc à faire appel à leurs services par peur de perdre la garde de leurs enfants.

Chez les enfants

Lorsque la mère est soupçonnée d’aliénation parentale, il arrive que l’enfant soit forcé de garder contact avec son père, même lorsqu’il ne le souhaite pas. Il peut alors être exposé à encore plus de violence.

« Given that the threats of parental alienation have an effect on the judge’s or child protection worker’s decision, children can find themselves in joint custody or unsupervised access with their father and may therefore be exposed to further violence. » (Maison 26)

Sous la menace, les mères elles-mêmes doivent assumer des choix difficiles, lesquels, à court terme, ne servent pas nécessairement le meilleur intérêt de l’enfant.

« In one example, the mother was telling her son he had to call his father every night to prove that she wasn’t alienating him despite the son expressing fear and clearly being distressed that he had to speak to his father. » (Maison 30)

Un concept à revoir?

Les fausses accusations d’aliénation parentale peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour les mères et leurs enfants, particulièrement dans un contexte de violence conjugale. D’après les auteurs, puisque cet argument est de plus en plus utilisé contre les femmes violentées, et que les professionnels éprouvent des difficultés à faire les distinctions qui s’imposent dans un tel contexte, il serait sans doute plus prudent de ne plus avoir recours au concept d’aliénation parentale.

Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs se sont penchés sur ce phénomène controversé, particulièrement dans le cas de litiges de garde. Selon une autre étude, le concept d’aliénation parentale en droit est « ambigu et trop large »; il serait donc bénéfique, à tout le moins, d’en clarifier les lignes directrices quant à son utilisation en Cour.

 

 

______________________

[1] Baker, 2007; Baker & Ben-Ami, 2011; Farkas, 2011; Gagné, Drapeau & Henault, 2005; Hayez & Kinoo, 2005; Vassiliou & Cartwright, 2011. (Tiré de Lapierre & Côté.)