À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Molly Mayer et Céline Le Bourdais, « Sharing Parental Leave Among Dual-Earner Couples in Canada: Does Reserved Paternity Leave Make a Difference? », publié en 2019, dans Population Research and Policy Review, vol. 38, no 2, p. 215-239.

  • Faits saillants

  • En 2011, prestations ou pas, les pères québécois prennent un congé à l’arrivée de leur petit dans plus de 75 % des couples, contrairement à environ 50 % chez les couples canadiens.
  • Parmi les couples dont le père prend congé à la naissance, 64,1 % des Québécois ont reçu des prestations pour leur congé, contre un maigre 10,7 % des Canadiens.
  • Le mariage influence à la hausse la prise de congé parental chez les pères… sauf au Québec, où l’union libre est très présente.
  • Les pères canadiens partent moins en congé de paternité que leurs comparses québécois, mais ils partent plus longtemps.
  • Le salaire, le partage des tâches, l’éducation et le nombre d’enfants dans la famille : tous des critères qui influencent le partage du congé parental entre les conjoints.

Le Québec et ses familles, de « drôles de bibittes » au Canada, voire en Amérique du Nord! Explosion des unions de fait, centres de la petite enfance, congé de paternité : pas étonnant qu’on qualifie si souvent la Belle province de société distincte. Dans cette veine, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), unique au pays, prévoit un congé de paternité exclusif aux pères avec compensation du revenu, pouvant aller jusqu’à cinq semaines. Cette mesure a définitivement modifié le portrait du congé pour les nouveaux parents au Québec, mais pas nécessairement comme on s’y attendait!

Céline Le Bourdais et Molly Mayer[1] s’intéressent aux différents types d’union – mariage, union de fait – ainsi qu’aux congés de paternité exclusifs aux pères. Quelle est leur influence sur la prise d’un congé de paternité et sur sa durée? Elles s’appuient sur les données de l’Enquête sociale générale de 2011 sur les familles de Statistiques Canada pour comparer la réalité des familles québécoises et canadiennes. En tout, les réponses de 806 pères et 909 mères ont été considérées.

Oui je le veux… enfin, pas vraiment!

Au Québec, quand bébé arrive à la maison, les pères sont au rendez-vous, qu’ils soient mariés ou pas. D’après les chercheures, alors qu’on croyait que les pères en union libre s’impliquaient moins dans les congés de paternité, les Québécois chavirent cette conviction. Les pères québécois en union libre sont cinq fois plus susceptibles d’utiliser un congé de paternité que leurs voisins dans la même situation conjugale. Chez les pères mariés, même si les Canadiens utilisent plus souvent le congé parental, les Québécois sont trois fois plus susceptibles de prendre un congé de paternité. Il faut dire que les couples québécois raffolent de l’union libre. Elle y est devenue si commune qu’on ne voit plus les différences avec les liens sacrés du mariage, selon les chercheures. De 1981 à 2016, le pourcentage de couples en union libre au Québec a bondi de 8,2 % à 39,9 %[2].

La progression est bien plus lente au Canada, où seulement 21,3 % des couples étaient conjoints de fait en 2016, comparativement à 6,3 % en 1981[3]. Cela dit, les pères mariés ont bien plus tendance à prendre un congé de paternité que ceux en union libre. Les chercheures avancent que les époux y sont plus solidaires et unis que les couples non mariés. Pas de doute, au Canada, le mariage, c’est du solide! Pourquoi est-ce différent au Québec? L’union libre est si implantée dans les mœurs québécoises que les conjoints ont adopté les habitudes des couples canadiens… mariés!

Quand devenir papa est payant

Définitivement, les pères québécois raffolent du congé de paternité. Près de 75 % des couples québécois comptent un père qui prend un congé, qu’ils participent au RQAP ou non, alors que la proportion tombe à 50 % dans le reste du Canada. Par ailleurs, au Québec, près de 65 % des couples comportent un père qui reçoit un dédommagement financier de l’État, contre un peu plus de 10 % dans le reste du Canada.

Toujours selon les chercheures, le RQAP – plus généreux, moins contraignant et favorisant l’implication des pères – explique cet écart. À salaire égal, les parents québécois reçoivent davantage que leurs homologues canadiens pendant les 30 premières semaines de congé. Le plafond du salaire maximum, utilisé pour calculer les prestations, est aussi plus élevé. Autrement dit, un parent avec un plus haut revenu gagne au change! Finalement, il suffit d’avoir gagné 2000$ au cours de la dernière année pour pouvoir recevoir les prestations.

Tableau 1. Comparaison entre les deux régimes de congé parental

Plus de congés, mais moins longtemps

Les Québécois partent plus souvent en congé, mais ceux-ci sont bien plus courts, près de huit semaines de moins que les pères en congé payé dans le reste du Canada! Chez les Québécois, lorsque les cinq semaines de congé de paternité sont épuisées, très peu s’aventurent dans le congé partageable. La moyenne de semaines de congé prises par les pères utilisant le RQAP s’élève à 6,7 semaines, incluant leur congé de paternité.

Les pères canadiens sont peut-être moins nombreux à partager le congé parental, mais ceux qui le prennent ne le font pas à moitié. S’ils sont peu nombreux à recevoir une compensation pour leur congé parental, la moyenne du nombre de semaines utilisées atteint néanmoins près de 15 semaines!

Derrière la création du RQAP, l’idée était d’inciter les pères à prendre congé. Grâce au meilleur partage du congé, on souhaitait que les mères puissent retourner plus tôt sur le marché du travail, expliquent les chercheures. L’effet s’est-il fait sentir? Pas vraiment. Même si leurs conjoints sont plus nombreux à prendre un congé de paternité, les mères québécoises n’ont économisé que 2,5 semaines de congé par rapport aux autres Canadiennes.

Quant au congé partageable entre les deux conjoints, les pères québécois le boudent. Pourquoi? Les vieilles mentalités de « maman à la maison » semblent difficiles à effacer. Le retour rapide des femmes sur le marché du travail serait-il au final une utopie? Par rapport à ce que laissait présager la nouvelle formule du RQAP, beaucoup de travail reste à faire, déplorent les chercheures.

L’argent, l’éducation et le partage : des conditions gagnantes

Au Québec comme au Canada, certains couples ont tendance à partager plus équitablement le congé parental. Sans surprise, le revenu des deux conjoints pèse dans la balance : c’est plus facile de le partager quand chacun gagne environ le même salaire. Les couples qui se répartissent plus équitablement les tâches ménagères, font de même avec le congé parental remarquent les chercheures. Le niveau d’éducation est aussi un facteur important : des parents plus éduqués le partagent davantage. Finalement, chez les pères, lorsqu’un autre enfant est à la maison, ces derniers sont plus prompts à partager le congé parental avec leur conjointe.

Quelle direction donner au congé parental?

Le congé exclusif aux pères en a convaincu plus d’un de rester auprès de son nouveau-né. Force est de constater qu’il n’en est pas de même pour le congé parental partageable, dont l’équité est loin d’être acquise entre les deux parents. Que devrait-on faire pour y arriver? Au Canada comme au Québec, les règles pour le congé parental viennent d’être modifiées. La province a choisi d’augmenter le congé partageable de quatre semaines si les deux parents prennent au moins dix semaines de congé. Les parents canadiens pourront, pour leur part, avoir jusqu’à 18 mois de congé auprès de leur petit, mais pour une fraction de la prestation hebdomadaire offerte. Reste à savoir quel régime encouragera les pères et rester plus longtemps auprès de leur poupon.

 

 

 

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[1] Céline Le Bourdais est professeure de sociologie de l’Université McGill et se spécialise dans les dynamiques familiales, les unions au sein des couples, ainsi que les politiques familiales. Molly Mayer est chercheure au NatCen, le plus grand centre indépendant en science sociale d’Angleterre et se spécialise dans les questions des enfants et de la famille.

[2] https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/170802/cg-a004-fra.htm

[3] Ibid.

[4] Les données sont tirées de Mayer Le Bourdais 2019, de https://www.rqap.gouv.qc.ca/fr/travailleur-salarie/choix-du-regime-de-prestations et de https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/assurance-emploi/ae-liste/rapports/maternite-parentales.html

[5] Il existe aussi le régime particulier, plus court et aux prestations hebdomadaires plus généreuses.

[6] Il existe aussi les prestations parentales prolongées, plus longues et aux prestations hebdomadaires moins généreuses.

[7] D’autres conditions plus spécifiques peuvent s’ajouter.