À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Thalia Aubé, Sarah Pisanu et Lisa Merry, « La Maison Bleue : Strengthening Resilience Among Migrant Mothers Living in Montreal, Canada », publié en 2019, dans PLoS One, vol. 14, no7, p. 1-20.

  • Faits saillants

  • Entrevoir un avenir meilleur, bénéficier du soutien des proches, préserver sa culture et développer son autonomie : voilà quelques éléments qui favorisent la résilience des femmes migrantes.
  • La mission de La Maison Bleue : réduire les inégalités sociales en intervenant auprès des femmes enceintes en situation de vulnérabilité. Elle accueille donc de nombreuses femmes et familles au statut migratoire précaire.
  • La Maison Bleue intervient au-delà du suivi médical : elle offre un espace sécuritaire, composé d’une équipe multidisciplinaire dont l’objectif est de briser l’isolement et de favoriser le mieux-être des mères migrantes.

« [E]n regardant comment me retrouver dans tout ça, avec un enfant et la grossesse et le froid, c’était une vraie épreuve », partage une femme originaire de la République démocratique du Congo sur ses premiers mois au Québec. Les mères migrantes dans la même situation doivent conjuguer grossesse ou parentalité avec les défis de la migration. Isolement, difficultés financières, précarité résidentielle et barrières linguistiques : leur intégration est une épreuve d’endurance ! Cela dit, plusieurs parviennent à retrouver, maintenir et développer leur bien-être malgré l’adversité.

Thalia Aubé [1], Sarah Pisanu [2] et Lisa Merry [3] donnent la parole à neuf mères migrantes qui reçoivent des services de La Maison Bleue, un centre de périnatalité sociale qui aide à briser l’isolement des femmes et des familles en situation de vulnérabilité. Ces femmes font part des défis rencontrés depuis leur arrivée à Montréal, des stratégies qui leur ont permis d’assurer le confort de leur famille, et de la façon dont La Maison Bleue les soutient dans leur nouvelle vie. 

La résilience, une force individuelle

Face aux nombreux obstacles qui jalonnent leur parcours, les mères migrantes font preuve d’une grande résilience. Elles misent sur le soutien de leur entourage, la préservation de leur culture et sur leurs forces individuelles pour assurer leur bien-être au Québec. 

Vouloir le meilleur pour ses enfants : voilà l’une des raisons principales qui motivent les familles à émigrer au Canada. Cet avenir plein de promesses donne aux femmes le courage de surmonter les difficultés de la migration. 

« C’était vraiment difficile, mais j’arrive à gérer, je dis, il y a des choses qui me donnent de la force et je me dis que c’est pour une bonne cause, et quelle est cette cause ? C’est pour mon enfant. » (Traduction libre des propos d’une mère originaire de la République démocratique du Congo) 

Les enfants, sans aucun doute, mais c’est aussi l’ensemble de la famille qui leur apporte soutien et force. En première ligne ? Leur mari, avec qui une collaboration sans faille s’avère essentielle. 

« [Mon mari est parti] toute la journée, toute la nuit, mais j’ai dit que ça valait le coup, ça va aider la famille, c’est très difficile mais maintenant ça va bien, je m’occupe de la maison, je m’occupe de mes enfants. » (Traduction libre des propos d’une mère originaire du Cameroun)

Ensuite viennent les membres de la famille élargie qui vivent déjà au Canada et qui sont familiers avec les façons de faire d’ici. Ces femmes ont alors la chance de comprendre le système, de développer un réseau, et d’obtenir du soutien informatif et matériel.  

« Le Canada est un bon endroit où être, tant que vous avez de l’aide, que vous avez des gens entourés d’amour, avec moi, j’ai mes deux frères ici… donc j’ai deux personnes sur lesquelles je peux compter, mais sans les membres de ma famille, ça peut être très, très difficile. » (Traduction libre des propos d’une mère originaire de Sainte-Lucie)

Enfin, elles entretiennent fièrement leurs origines en transmettant leur langue maternelle et leur culture à leurs enfants.

« Nous essayons de garder les traditions, de les perpétuer, nous parlons arabe, nous voulons garder le bon arabe pour eux… c’est important pour [mes enfants], à leur retour au Maroc, de pouvoir communiquer et comprendre. » (Traduction libre des propos d’une mère originaire du Maroc)

Leurs croyances, leurs valeurs et l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants les aident à porter un regard positif sur leur nouveau pays. Grâce à cette volonté à toute épreuve, elles trouvent la force de briser l’isolement, de rompre la barrière de la langue et de s’adapter à un nouvel environnement. Les parcs de quartier, par exemple, deviennent un espace de socialisation important qui leur permet d’engager des conversations avec d’autres femmes et de nouer des liens d’amitié. Pour d’autres, l’utilisation du transport collectif, l’obtention du permis de conduire ou l’apprentissage de l’anglais ou du français sont des moyens d’intégration éprouvés. 

La résilience, une affaire collective

La Maison Bleue, bien plus qu’une clinique : une communauté pour les mères migrantes, qui y trouvent un refuge, une oreille attentive, et un espace de soutien et d’entraide. 

Sécurité, respect et confiance sont au cœur de son fonctionnement. Établir un lien de confiance avec les femmes est primordial pour son personnel. Il prend le temps de connaître leur parcours, leurs difficultés, mais aussi leurs forces et aspirations tout en respectant leurs valeurs et leur culture. Quant aux nombreuses activités de groupe, elles favorisent les échanges entre les mères. 

« Je ne connaissais personne, même pas les mères de mon propre pays, mais grâce à La Maison Bleue, j’ai pu les rencontrer. » (Traduction libre des propos d’une mère originaire de la République démocratique du Congo) 

La collaboration entre plusieurs professionnels de la santé permet d’offrir des soins et services qui dépassent le simple examen médical. Médecins, infirmières, sages-femmes, travailleurs sociaux, psychoéducateurs et éducateurs spécialisés travaillent ensemble pour pallier leurs besoins physiques, psychologiques et sociaux. Plusieurs participantes ont ainsi pu être aidées dans leurs démarches d’immigration, ou pour trouver un appartement ou un emploi. 

Finalement, La Maison Bleue mise sur l’autonomie des femmes. Lorsqu’elles répondent à leurs besoins et décident de leur propre chef des mesures à prendre pour améliorer leur santé et leur bien-être, c’est une grande victoire. Comment y arriver ? En les encourageant à acquérir de nouvelles connaissances et à développer leur sens de l’initiative. En quelques mots : à se faire confiance.

« [La sage-femme] m’a aidée avec la logistique liée à la naissance, où aller, quoi faire, comment se préparer, le certificat, comment avoir un passeport pour le bébé, et plusieurs choses comme ça, elle m’a donné l’information, que je connais maintenant, donc je peux le faire toute seule. » (Traduction libre des propos d’une femme enceinte originaire de l’Érythrée) 

Être résiliente, c’est bien, mais à plus long terme, c’est mieux

La mission de La Maison Bleue montre que la résilience est plus qu’une habileté individuelle : c’est aussi la capacité d’un environnement à fournir des ressources qui favorisent le bien-être. Les organismes communautaires jouent un rôle critique dans l’aide aux femmes migrantes à l’image de la clinique Médecins du Monde, seule organisation de la province à venir en aide aux personnes migrantes sans couverture médicale. Les cas de femmes enceintes et sans-papiers qui ont peur d’être dénoncées ne sont pas si rares. Elles, qui se cachent souvent des réseaux de la santé et des services sociaux, se voient même parfois refuser l’accès aux soins nécessaires durant leur grossesse et après l’accouchement. D’autres femmes, dont le statut d’immigration ne donne pas accès à l’assurance-maladie, doivent débourser d’importantes sommes d’argent pour elles ou leur enfant. Un climat de confiance, un milieu sécuritaire et des soins accessibles sont plus que nécessaires, afin que toutes puissent obtenir les services de santé auxquels elles ont droit. 


[1] Détentrice d’une maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill

[2] Directrice de programme à La Maison Bleue

[3] Professeure en sciences infirmières à l’Université de Montréal