À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume la recherche d’Emilie Chow, “Mixed identity and cultural transmission: narratives of mixed-blood women from a first nations community”, publié en 2017, mémoire de maîtrise en sociologie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal.

  • Faits saillants

  • Même s’ils ont été exclus du territoire, les couples mixtes continuent à transmettre la culture mohawk à leurs enfants et à rendre régulièrement visite à leurs proches sur la réserve.
  • Rares sont les Mohawk de Kahnawake qui parlent encore leur langue d’origine. Les enfants métis qui résident en dehors de la réserve font donc face à un double défi pour apprendre la langue mohawk.
  • Les femmes métisses nées d’une mère autochtone conservent leur appartenance au clan; elles peuvent donc participer aux cérémonies traditionnelles à la maison longue, mais pas leur famille paternelle (non-Mohawk), ce qui peut les placer dans une situation difficile.
  • Pour favoriser la transmission de l’héritage mohawk, les mères d’enfants métis les amènent à plusieurs événements traditionnels, comme les Pow Wow, de grands rassemblements annuels de musique et de danse.

« Marry out, get out! ». Le principe appliqué dans la réserve mohawk de Kahnawake a le mérite d’être clair. Les débats sur les couples mixtes, leur appartenance à la communauté et le droit de résidence des personnes non-natives sur le territoire de la réserve fait rage depuis plusieurs années. Selon certains membres de la communauté, l’exclusion des couples mixtes est un moyen de protéger la culture mohawk.

Depuis 1984, la loi sur l’appartenance et la résidence de Kahnawake spécifie que les couples mixtes, doivent quitter les lieux[1]. Comment leurs enfants, qui n’ont pu vivre au sein de la communauté, peuvent-ils développer un sentiment d’appartenance? Trop « blancs » pour les Mohawks, trop « indiens » pour les Blancs, ils sont souvent victimes de discrimination et doutent parfois de leur identité.

L’auteure de cette recherche (un mémoire de maîtrise en sociologie) donne la parole à six femmes métisses, nées d’une mère autochtone originaire de Kahnawake et d’un père non-natif. Au travers d’entretiens approfondis, elle explore avec elles leurs parcours de vie et la façon dont elles ont construit leur identité. Elle s’intéresse aussi à la façon dont la culture et le mode de vie mohawk continuent à se transmettre au sein de ces familles mixtes.

Traditionnellement, les femmes transmettent l’appartenance au clan à leurs enfants. Même s’ils sont métis, ils conservent théoriquement le droit de réintégrer la communauté. Dans la pratique, cependant, la situation est plus complexe.

Dans ce texte, nous nous attardons sur trois éléments fondamentaux de l’héritage culturel mohawk : la langue, le prénom et la spiritualité.

La famille avant tout

Toutes les participantes se disent fières de leurs origines mixtes, mais elles s’identifient particulièrement à leur culture mohawk. « Si tu connais ma famille, mon clan, ma tribu, alors tu me connais. » Cet adage décrit bien l’importance de la communauté pour les personnes autochtones. Lorsqu’on leur demande de se décrire, elles vont d’abord parler de leurs appartenances familiales et tribales.

Traditionnellement, les femmes mohawk occupent des places très importantes dans la communauté. Elles prennent de grandes décisions pour le groupe et choisissent les chefs. En quittant la réserve à cause de leur mariage, les mères des participantes ont perdu ces pouvoirs. Mais elles n’en demeurent pas moins attachées à leur héritage; la plupart d’entre elles ont choisi de s’installer à proximité de la réserve, souvent à Châteauguay, afin de visiter régulièrement la famille et de favoriser les contacts entre leurs enfants et la communauté.

La langue des anciens

Comme la plupart des personnes de leur génération, aucune des participantes ne parle couramment la langue mohawk (kanien’kéha[2]). Elles connaissent seulement quelques mots et expressions. Elles communiquent principalement en anglais, aussi bien à la maison qu’avec leurs amis.

À Kahnawake comme ailleurs, la transmission de la langue mohawk s’est perdue au fil du temps. Au cours du XXe siècle, les membres de la communauté ont cessé de l’enseigner aux enfants, pour les protéger contre les punitions qui leur étaient infligées à l’école.

« [T]he grandparents were like, well what’s the point? Because they are just going to get in trouble anyways, so why teach it to the kids? So it got lost in that generation. »

– Vanessa

Rares sont donc les parents d’aujourd’hui qui parlent couramment la langue et peuvent l’enseigner à leurs enfants. Les enfants métis dont les parents ont été exclus de Kahnawake fréquentent souvent des écoles anglophones ou francophones, en dehors de la réserve. Ils ont donc encore moins d’opportunités d’apprendre la langue de leur communauté.

« So my mom knew some words that you hear and get used to, but not enough to teach me. And I went to school off reserve because I had no choice, so I was not exposed to it. »

Sarah

Cependant, divers projets de revitalisation de la langue mohawk fleurissent depuis quelques années; notamment sous forme de programme d’immersion au sein d’écoles alternatives. Certains couples mixtes inscrivent leurs enfants dans ces écoles, et ainsi leur permettre de maintenir le contact avec la culture et la langue mohawk. Pour les participantes, langue et identité vont de pair.

« My son speaks Mohawk all day at school. […] Like, he made a book, he knows all his medicine to pick, what they are used for, how to make them, he knows how to sew, how to make a rattle, do wood work, how to make baskets, all this stuff while they are learning the language at the same time. It’s more real-life then sitting at a desk all day long. It really creates a strong sense of identity. »

– Vanessa

Un prénom unique

Souvent, les habitants de Kahnawake portent deux prénoms : un premier, en mohawk, et un second, en français ou en anglais. Même si les participantes n’utilisent pas leur prénom mohawk au quotidien, elles y attachent beaucoup d’importance : il représente leur identité et leur appartenance à une culture dont elles sont fières. Donner un prénom mohawk à leur enfant fait partie de l’héritage culturel qu’elles souhaitent transmettre.

Selon la tradition iroquoise, on donne aux enfants un prénom unique, que l’on ne peut donner à personne d’autre avant son décès. Les femmes les plus âgées du clan (les « mères de clan ») choisissent le nom de l’enfant, lors d’une cérémonie traditionnelle, organisée dans la maison longue. Cette cérémonie existe encore aujourd’hui, mais seules les personnes natives appartenant à un clan peuvent y participer.

« I went through the clan mothers and they asked me if I wanted to go for a name in the family, or… because some people go based on the weather or the time of year. They asked me what my pregnancy was like and I described it. I asked them if they could make a name for me and they made a name. »

– Vanessa

Comme l’appartenance au clan dépend de la mère, les enfants métis nés d’une mère non-native n’ont pas de clan et ne peuvent donc pas participer à la cérémonie. Des aînés respectés de leur famille choisissent alors le prénom mohawk qui sera donné à l’enfant, mais sans pouvoir lui conférer la dimension exclusive de la tradition.

Sarah, issue d’une mère mohawk et d’un père blanc, et maintenant mariée à un natif, raconte qu’elle aurait aimé nommer sa fille selon la tradition. Mais comme les personnes non-natives n’ont pas le droit d’entrer dans la maison longue, où se tient cette cérémonie, elle ne pourrait donc y inviter son père et sa famille paternelle. Pour elle, il est hors de question de séparer la famille.

« If I decide to go that way and have a ceremony there, then my father is not allowed to be there, and my grandmother is not allowed to be there, my niece and sister in law are not allowed to be there. […] I’m not going to choose something that’s going to separate my family. »

Sarah

Pow Wow et maison longue

À Kahnawake, la religion catholique et la spiritualité traditionnelle se côtoient. D’après les participantes, les fêtes catholiques (comme Pâques ou Noël) sont surtout devenues un prétexte pour réunir la famille. Elles s’identifient moins aux croyances chrétiennes qu’aux valeurs spirituelles amérindiennes, tournées vers le partage, la conscience du moment présent et le respect des anciens.

Différents festivals et cérémonies traditionnelles ont lieu tout au long de l’année. Les participantes y amènent leurs enfants, pour que ces derniers puissent mieux connaître leurs origines. Les Pow Wow, grands rassemblements annuels de musique et de danse traditionnels, sont également l’occasion de partager des expériences spirituelles en famille.

« I think the Pow Wow has been great for that because you meet so many people from different nations and of all ages and some people are so young. If you watch the traditional dancers, it’s so moving. You share these customs with people, and stories. »  

Kayla

Fières de leurs origines

Les participantes ont, clairement, un lien très fort avec leur communauté. Malgré les doutes qu’elles ont pu ressentir, elles ont fini par développer une identité forte et assumée : elles n’ont pas peur de se considérer Mohawk.

Ce sentiment d’appartenance à la communauté s’est construit avant tout grâce au soutien de leur famille et aux efforts de leurs mères pour leur transmettre un héritage culturel solide.

Finalement, l’auteure suggère que les couples mixtes ne constituent pas une menace pour la préservation de la culture mohawk. Au contraire, ces familles semblent perpétrer une forte identification à la communauté et à son mode de vie. Selon ces femmes, la force de l’identité mohawk résiderait avant tout dans les liens sociaux et émotionnels plutôt que le sang.

« I don’t believe that you have to speak Mohawk to be Mohawk or you have to practice a certain religion to be Mohawk, or you have to have a certain amount of blood even. It’s sort of like pillars, if you have… 4 out 5, or 3 out of 5, or 7 out of 20. […] but I don’t think you need to try to check off all these boxes to be a real Mohawk. You know? I just AM a real Mohawk. »

Rachel

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[1] À une certaine époque, l’expulsion ne concernait que les femmes qui choisissaient un conjoint non-natif. Depuis les années 1980, cette règle est également valable pour les hommes en couple avec une non-native.

[2] Le kanyen’kéha est considéré comme sur le point de s’éteindre. C’est une langue menacée dont les utilisateurs actifs sont membres de la génération des grands-parents ou de la précédente. D’après les informations fournies par les communautés kanyen’kehaka, il y aurait environ 932 locuteurs natifs du kanyen’kéha dans le monde, avec 14 lignées familiales n’ayant jamais cessé de transmettre la langue à leurs enfants à la maison. Il y aurait également environ 32 locuteurs du kanyen’kéha comme langue seconde, lesquels élèvent au total au moins 28 enfants bilingues. (Source : https://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/kanyenkeha-langue-mohawk)