À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Sylvie Lévesque, Véronique Bisson, Laurence Charton et Mylène Fernet, “Parenting and Relational Well-being During the Transition to Parenthood: Challenges for First-time Parents”, publiée en 2020 dans le Journal of Child and Family Studies, 29(7), 1938-1956.

  • Faits saillants

  • Être soi-même, parent ou partenaire amoureux : difficile de savoir sur quel pied danser.
  • Malgré leur point de vue critique, les nouveaux parents adoptent des rôles de « mère » et de « père » stéréotypés, ce qui contrevient à leur désir de partager les tâches liées à l’enfant de manière égalitaire.
  • S’investir pleinement comme parent, répondre aux attentes définies par la société… tout en maintenant sa profession, son couple et sa vie sociale : voilà un défi de taille pour les nouveaux parents.
  • L’avalanche de conseils et avis que reçoivent les nouveaux parents les affecte psychologiquement et les fait douter de leurs compétences parentales.

Bien qu’elle soit souvent la plus belle chose au monde, l’arrivée d’un premier enfant est aussi un défi de taille pour les couples. Perte d’individualité, intimité mise de côté, partage des soins et des tâches, gestion des attentes : la transition à la parentalité est une période charnière ô combien délicate pour le couple.

Ce sont là les observations recueillies par l’étude de Sylvie Lévesque, Véronique Bisson, Laurence Charton et Mylène Fernet, quatre chercheures de l’Université du Québec à Montréal et de l’Institut national de la recherche scientifique. Elles donnent la parole à 23 couples de nouveaux parents québécois qui leur font part de l’envers du décor après l’arrivée d’un nouveau-né.

Être parent : un coup dur pour soi et son couple 

Bébé arrive et le reste de la vie semble prendre le bord ! Concilier son identité personnelle, celle de parent et celle de partenaire amoureux : où est le mode d’emploi ? Quand l’organisation familiale s’articule essentiellement autour de bébé, les nouveaux parents s’oublient, négligent leur relation, et l’expression prendre du temps pour soi perd tout son sens ! Ce manque de temps n’est pas une surprise pour les parents, mais le défi est parfois plus grand que ce qu’ils avaient anticipé… 

« Tu sens que tu n’existes qu’à travers [l’enfant], mais tu aimerais toujours être une personne à part entière. Alors c’est vraiment difficile les premières années, je trouve, d’obtenir cette validation ailleurs. » (Traduction libre des propos d’une mère)

De plus, les parents ont moins de temps et d’énergie pour entretenir la flamme amoureuse. Contraintes de la parentalité, manque de temps à deux, partenaire relégué au second plan : tous les éléments sont réunis pour créer des tensions.

Maman fait ci, papa fait ça : les stéréotypes sont tenaces

« Les rôles de maman et de papa sont différents » : une fausse croyance que les parents dénoncent, mais que plusieurs perpétuent ! 

Un déséquilibre s’observe entre les parents dans la division des tâches liées à la grossesse et à la garde de l’enfant. Entre deux rendez-vous médicaux, les femmes enceintes endossent une importante modification de leurs habitudes de vie. Quels changements du côté du partenaire ? Selon les participantes, aucun. Après la naissance, le rythme reste soutenu : entretien de la maison, de l’horaire familial, des repas et de l’essentiel des soins… Plusieurs mères estiment assumer la majorité de la charge mentale de l’organisation familiale. 

Malgré ce regard critique, les rôles de certains parents se conforment à des stéréotypes. Les mères « connaitraient mieux » les besoins de leur enfant et seraient donc plus « réconfortantes », puisqu’elles ont connu la grossesse et, pour certaines, l’allaitement. Les pères, pour leur part, seraient ceux qui jouent davantage avec le bébé. Pourquoi ces rôles dits traditionnels persistent-ils ? Les autrices pointent l’organisation du congé parental ! En effet, la majorité des pères de l’étude ont pris leur congé de paternité (cinq semaines) en même temps que leur conjointe, afin que tous deux puissent s’occuper du bébé. Puis, ils retournent au travail. En fin de compte, les mères passent tout de même plus de temps avec l’enfant. Avec ce lien particulier, elles se « spécialisent » dans la connaissance et le réconfort de leur bébé…

Mais le congé parental peut être divisé entre les deux parents ! Bien que ce soit moins fréquent, les pères peuvent prendre un congé parental seul avec leur enfant, lorsque les mères retournent au travail après leur congé de maternité. L’avantage, selon les autrices, est que chacun développe des aptitudes parentales et prend le temps de connaitre le bébé. Cela évite que le rôle parental ne soit cristallisé en fonction du genre des parents, conclut l’unique couple qui a fonctionné ainsi.

« [J]’ai constaté qu’il était également important pour mon bébé de développer un lien d’attachement très fort avec son père […] J’ai toujours dit que, à mon avis, une famille où la mère fait tout, où le père ne sait pas ce qui se passe autour de lui et où les enfants écoutent seulement leur mère n’est pas le type de famille que je veux. » (Traduction libre des propos d’une mère)

Crouler sous les attentes des autres

Qu’en est-il de la place qu’accordent les nouveaux parents aux avis de leur entourage ? Ils pèsent lourd sur leurs épaules ! Le corps médical, la famille élargie, même des inconnus émettent de nombreux jugements sur la parentalité et le développement d’un nouveau-né. Les effets ? Les parents ressentent de l’incertitude et de l’anxiété. 

Les experts de la petite enfance élaborent des standards du développement et prescrivent des pratiques d’éducation aux parents. Pensons par exemple, aux échelons que les enfants doivent atteindre, ou alors à l’incitation à l’allaitement. On rapporte souvent des exemples de femmes ne souhaitant pas allaiter, ou voulant arrêter l’allaitement, qui se sentent pourtant forcées de le faire, expliquent les autrices.

« Tout le monde vous dit quelque chose de différent : ‘Ne le laissez pas pleurer ; laissez-le pleurer ; faites ceci ; faites cela’. Tant de gens vous disent comment nourrir votre bébé, comment il devrait dormir […]. » (Traduction libre des propos d’une mère de l’étude)

Difficile d’y voir clair, surtout lorsque les avis se contredisent ! Selon les chercheures, un paradoxe important subsiste dans ce qu’on attend des nouveaux parents. D’un côté, une forte pression sociale pour s’investir corps et âme dans le rôle de parent (surtout pour les mères qui ont porté l’enfant). De l’autre, l’exigence d’être « plus que des parents » et de continuer à s’accomplir dans la sphère personnelle, conjugale et professionnelle.

« Une femme doit être un peu tout à la fois. Donc, il faut avoir une carrière et être de bons amants […] mais en même temps une femme indépendante. Donc, tu dois avoir du temps pour tout. » (Traduction libre des propos d’une mère)

Bien entendu, cette diversité de conseils, de règles et de normes sur les bonnes pratiques parentales affecte le bien-être psychologique des nouveaux parents. Sentiment de devoir constamment justifier ses choix, anxiété de performance, sentiment de culpabilité et d’échec : ils ont vite fait de douter de leur compétence et de se considérer comme de « mauvais » parents. Ce climat est particulièrement difficile chez couples de même sexe, qui font face à un entourage qui remet parfois en question la légitimité de leur parentalité et qui leur fait part de leurs craintes quant au bien-être de l’enfant.

« La parentalité homosexuelle est toujours cachée et taboue. Vous pouvez être lesbienne. Tout va bien. Mais les gens, dans leur esprit, parfois, j’ai l’impression que c’est : « Hé, attendez seconde. Deux femmes ou deux hommes ne peuvent pas avoir de bébé ! Ça va nuire à l’enfant ! […] Parfois, [mon épouse] me dit à ce sujet : « Va-t-il être jugé, à l’école, parce qu’il a deux mères ? » (Traduction libre des propos d’une mère)

Le partage du congé parental : quand l’employeur a son mot à dire 

Être soi-même, partenaire amoureux, parent, professionnel, puis naviguer entre le temps pour soi et la garde du bébé, faire face aux pressions sociales : la transition à la parentalité représente un défi de taille pour les couples. 

Une meilleure division du congé parental au sein des couples serait-elle une solution pour faciliter la transition à la parentalité ? Peut-être, mais pour certains pères, plus facile à dire qu’à faire ! En effet, bien que 80 % des pères prennent aujourd’hui leur congé de paternité, encore peu assument une partie du congé parental. Pourquoi ? La réponse se trouve peut-être en partie du côté des employeurs. En effet, bon nombre d’entre eux considèrent qu’il appartient aux mères, et non aux pères, de prendre ces « longues vacances ». Résultat : le partage du congé parental n’est pas toujours le bienvenu et l’employeur peut faire pression. À cet égard, le Réseau pour un Québec Famille lançait, en 2019, le sceau Concilivi, lequel a pour mission de distinguer les employeurs prêts à reconnaître la nécessité de mettre en place des mesures pour faciliter la conciliation famille-travail.