À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le rapport de Thomas Bastien, Anne-Marie Morel et Sandy Torres, « Impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et la qualité de vie des femmes au Québec », publié en novembre 2020, un partenariat entre l’Association pour la santé publique du Québec et l’Observatoire québécois des inégalités.

  • Faits saillants

  • Seulement la moitié des mères estime que le partage des tâches liées aux enfants est équitable (53 %), contre les trois quarts des pères (75 %).
  • En raison de la pandémie liée à la COVID-19, la moitié des femmes peine à concilier famille, travail et études.
  • Depuis le début de la pandémie, le tiers des proches aidantes offre davantage d’aide à une personne de leur entourage (ex. : faire le ménage, l’épicerie, etc.).
  • Comme elles sont plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois temporaires ou précaires (ex. : hébergement, restauration, services), le quart des femmes craint de ne pas pouvoir remplir ses obligations financières durant la pandémie de COVID-19.
  • Les mères, tout particulièrement celles de tout-petits, ressentent plus de détresse psychologique que les pères depuis le début de la pandémie liée à la COVID-19.

En mars 2020, le Québec est brusquement mis sur pause. Comme le monde entier, il doit apprendre à composer avec la pandémie de COVID-19, une crise sans précédent qui affecte toutes les sphères de la société. Fermeture des écoles et des garderies, télétravail, isolement, précarité financière : la pandémie bouleverse le quotidien, et ce sont les femmes qui, à plusieurs égards, en subissent le plus durement les conséquences.

C’est ce que constatent Thomas Bastien et Anne-Marie Sorel, de l’Association pour la santé publique du Québec, et Sandy Torres, de l’Observatoire québécois des inégalités, dans un rapport visant à mettre en lumière la situation particulière des femmes dans le contexte de la pandémie. Leur objectif ? Mieux comprendre comment la pandémie affecte la santé et la qualité de vie des femmes, et proposer des pistes de solution pour atténuer ses effets.

Pour ce faire, les auteurs effectuent une recension des écrits, consultent 24 organismes québécois offrant des services de soutien aux femmes et mènent un sondage[1] en octobre 2020 auprès de 1 501 Québécoises âgées de 18 ans et plus, pour recueillir leur perspective sur le sujet. 

Frontières brouillées entre famille, travail et études

Être à la fois travailleuse, mère et enseignante à la maison : la COVID-19 force les mères à alterner entre trois quarts de travail ! Même si les pères s’impliquent de plus en plus dans la sphère familiale, le travail invisible demeure majoritairement l’apanage des mères : la moitié des femmes interrogées indique qu’elles sont les principales responsables de l’éducation des enfants (53 %) et qu’elles peinent à concilier famille, travail et études (51 %). 

Dans les trois quarts des cas (76 %), les femmes s’occupent aussi davantage de la gestion des repas et de l’épicerie. Et si par miracle il leur reste un peu de temps, elles ne le prennent pas pour elles puisque depuis le début de la pandémie, le tiers (34 %) offre plus d’aide ou de soins à un proche. Un fardeau qui pesait déjà lourd sur leurs épaules auparavant, puisque la proche aidance se décline davantage au féminin et s’ajoute bien souvent à un travail rémunéré et aux soins des enfants. 

Si le télétravail comporte des avantages que plus de huit femmes sur dix (85 %) apprécient, il est loin de rendre la conciliation travail-famille plus évidente. Sans installation digne de ce nom, difficile d’en tirer un réel bénéfice ! Le quart des femmes interrogées — et le tiers des mères de tout-petits — ne disposent effectivement pas d’un aménagement adéquat pour travailler de la maison. 

Pertes d’emploi et congés non adaptés : femmes précarisées

Hébergement, restauration, commerce de détail : qui sont les premières au front dans ces secteurs d’emploi temporaires et plus précaires ? Les femmes, bien sûr ! Entre mars et octobre 2020, une femme sur dix a perdu définitivement ou temporairement son emploi, une proportion qui grimpe à 17 % chez celles appartenant à une minorité visible, 35 % chez les étudiantes et 45 % parmi les communautés lesbiennes. Qui dit perte d’emploi dit insécurité financière : le quart des femmes interrogées craignent de ne pas pouvoir faire face à leurs obligations économiques.  

Qu’en est-il de celles qui doivent prendre congé pour faire tester les enfants, en cas d’isolement préventif ou dans l’attente d’un résultat ? Comme les congés disponibles ne sont pas adaptés à la situation, plusieurs mères doivent s’absenter à leurs frais ou empiéter sur leurs congés personnels. C’est particulièrement vrai chez les employées des domaines de la santé et des services, secteurs à prédominance féminine.  

Problèmes de santé mentale : une autre crise invisible

Fardeau accru des tâches parentales et domestiques, pertes d’emploi, conciliation travail-famille complexifiée… la pandémie pèse lourd sur le moral des troupes et sur leur santé mentale. Sans surprise, ce sont de nouveau les mères d’enfants en bas âge qui écopent : elles ressentent en effet plus de détresse psychologique que les pères. 

« L’état de santé mentale de femmes est extrêmement préoccupant : 17 % des femmes affirment s’être senties « déprimées, désespérées, agitées, comme si tout était un effort, anxieuses et/ou bonnes à rien la plupart du temps ou tout le temps depuis le début de la pandémie. » 

C’est encore plus vrai chez les mères d’enfants de moins de 13 ans (21 %), les jeunes femmes âgées de 18 à 34 ans (31 %), celles qui travaillent en contact avec le public (44 %) et celles qui craignent ne pas pouvoir remplir leurs obligations financières (43 %). 

Et dans cette spirale infernale, certaines se tournent vers la consommation de substances pour atténuer leur détresse. En octobre 2020, environ le quart des consommatrices ont augmenté leur utilisation de cannabis (25 %) et d’alcool (22 %) par rapport au début de la pandémie. Comme si tout cela ne suffisait pas, des problèmes de sommeil touchent une femme sur quatre.

Violence conjugale et pandémie : un mélange explosif   

Ce n’est un secret pour personne : la précarité financière et l’isolement qui découlent de la pandémie sont un terreau fertile pour les problèmes de violence conjugale. Coupées de leurs proches et constamment en présence de leur conjoint violent, les femmes se retrouvent particulièrement vulnérables. Environ le tiers des victimes rapporte que les agressions sont plus fréquentes depuis le début de la pandémie. 

Qui sont les plus à risque ? Les jeunes femmes âgées de 18 à 34 ans et les mères de jeunes enfants, qui sont deux fois plus nombreuses que celles plus âgées à avoir été victimes de violence. Par ailleurs, selon un autre sondage réalisé par le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale[2], la violence en temps de pandémie est plus fréquente, plus grave et peut aussi toucher les enfants. 

Repenser les mesures gouvernementales, une inégalité à la fois

La pandémie de COVID-19 met en lumière les inégalités existantes et tend à creuser les écarts sociaux. Pour en amoindrir les effets, le gouvernement et les communautés doivent s’adapter afin de soutenir les populations plus vulnérables. Comment y parvenir ? Les auteurs émettent plusieurs recommandations[3], comme la mise en place de mesures d’accommodement pour faciliter la conciliation famille-travail-études (ex. : permettre des heures de travail plus flexibles, faciliter l’accès à des services éducatifs répondant aux besoins des parents de tout-petits, mieux financer les services de répit pour les enfants ayant des besoins particuliers, etc.).  

Les auteurs prônent aussi l’application d’une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) pour la relance économique[4]. Il s’agit de considérer, à toutes les étapes de la création de politiques, de programmes ou de mesures du gouvernement, les effets différenciés de ceux-ci sur les femmes et sur les hommes. Au-delà du genre, cette approche prend en compte d’autres facteurs d’inégalités, comme le fait d’être racisées, autochtones ou de s’identifier à la communauté LGBTQ+. 

Parmi toutes ces problématiques, une retient particulièrement l’attention. Au début de l’année 2021, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité de la violence conjugale a engendré huit féminicides en huit semaines. Pour endiguer ce fléau, le gouvernement a proposé un plan d’action comprenant 14 nouvelles mesures pour lutter contre la violence conjugale, qui viendront bonifier celles du Plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale 2018-2023. La faisabilité de certaines mesures, comme le port du bracelet électronique pour surveiller les ex-conjoints violents et les tenir loin de leur victime, sera évaluée au cours de la prochaine année.  



[1] Le questionnaire a été élaboré par l’ASPQ, la firme Léger, l’Observatoire québécois des inégalités et l’Observatoire des tout-petits.

[2] Pour connaître les résultats du sondage, consultez l’annexe 3 du rapport (p. 36-39) : https://www.aspq.org/app/uploads/2020/12/rapport_femmes-et-covid_impact_de_la_covid_sur_la_sante_et_qualite_de_vie_des-femmes_au_quebec.pdf

[3] Pour connaître toutes les recommandations émises par les chercheurs, consultez les pages 29 à 32 du rapport : https://www.aspq.org/app/uploads/2020/12/rapport_femmes-et-covid_impact_de_la_covid_sur_la_sante_et_qualite_de_vie_des-femmes_au_quebec.pdf

[4] L’ADS+ est particulièrement réclamée pour la relance économique, comme en fait foi un article paru dans La Presse en septembre 2020 : https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-09-26/relancer-l-economie-dans-une-perspective-paritaire.php