À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Annabelle Seery, « Une politique familiale visant une meilleure articulation famille-travail. Enjeux pour des parents québécois de milieu socioéconomique modeste », publié en 2020 dans la revue Enfances Familles Générations, no 35.

  • Faits saillants

  • Plusieurs mesures de la politique familiale québécoise ne bénéficient pas aux parents aux revenus précaires.
  • Le RQAP, malgré ses critères plus inclusifs, laisse toujours de côté les parents dont les revenus d’emploi sont trop faibles pour que s’arrêter soit une option.
  • Les places à contribution réduite en CPE sont rares pour les parents à faibles revenus, pourtant visés initialement.
  • La précarité d’emploi entraîne une dynamique familiale plus traditionnelle : les mères gèrent la garde des enfants, diminuent leurs heures de travail ou restent à la maison, tandis que les pères travaillent souvent de longues heures à des horaires atypiques.

La politique familiale québécoise : un droit pour certains, un privilège pour d’autres. Mais pour les parents qui peinent à joindre les deux bouts, c’est carrément un luxe qu’ils ne peuvent se permettre. Pourtant axée sur le travail, il semblerait qu’être en emploi ne soit pas suffisant pour en bénéficier : il faut la « bonne job », au risque de devoir passer son tour.

Dans une série d’entretiens avec 30 parents aux revenus modestes, Annabelle Seery, détentrice d’un doctorat en sociologie et professionnelle de recherche au Centre de recherche sociale appliquée, met en lumière les difficultés que rencontrent ces derniers avec la politique familiale québécoise. Son constat : les parents moins nantis profitent peu des mesures qui leur sont pourtant destinées.

Les laissés-pour-compte du RQAP

Est-ce réaliste de ne recevoir que 75 % à 55 % d’un salaire modeste pour rester à la maison avec son enfant ? Poser la question, c’est y répondre ! Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) a beau faire mieux que son prédécesseur, c’est toujours trop peu. Le dilemme est encore plus fort pour les pères, travaillant souvent de longues heures avec des horaires atypiques

« Bien, c’est parce que rendu là, il n’y avait plus de revenu qui rentrait. C’est sûr que ça, ça a aidé le choix [de ne pas prendre de congé]. » (Sophie, mère à la maison de deux enfants)

Père au travail et mère à la maison : voilà qui correspond à une vision très traditionnelle de la famille. Loin d’être un choix, ce sont plutôt les inégalités de salaire plus prononcées entre les hommes et les femmes dans les emplois plus précaires qui orientent les décisions. 

Le congé parental : une prérogative attachée à la famille ? Plutôt au travail ! Malgré des critères plus souples, il est toujours une condition primordiale pour le RQAP. Autrement dit, on compense les heures passées hors du bureau, pas celles à s’occuper de son petit. Pour les parents sans emploi, aux études ou travaillant trop peu pour se qualifier, on constate facilement l’absurdité de la chose : c’est tout simplement impossible de prendre un congé parental.

Chasse aux places en CPE

Ce n’est plus un secret : le manque de places en CPE est criant. Premières victimes ? Les parents à faibles revenus, ceux-là mêmes qui devaient en être les grands bénéficiaires. Sur 22 couples rencontrés, seulement sept ont bénéficié d’une place à contribution réduite. Voilà une proportion qui témoigne bien des problèmes d’accessibilité dans le réseau.

Que font les autres parents ? Plusieurs se sont tournés vers les garderies privées ou en milieu familial. D’autres ont choisi des horaires alternés pour que l’un des parents reste toujours à la maison. Dans trois familles, sans surprise, la mère reste à la maison pendant que le père travaille :

« J’irai pas, aux allocations que j’ai présentement, mettre mes enfants en service de garde et travailler au salaire minimum. C’est moi qui vais le payer, le service de garde ; mon conjoint ne le payera pas. […] J’aurais même pas assez de mon salaire pour couvrir le service de garde. » (Ariane, mère à la maison de quatre enfants)

D’autres options au menu ? Les haltes-garderies à raison de quelques heures par semaine pour les enfants de certains parents à la maison. L’aide de la famille, elle, est utilisée en dernier recours, en fonction de la disponibilité et la proximité des proches.

Horaires atypiques : un problème de mères

Les horaires atypiques sont monnaie courante dans les familles à faibles revenus, contraintes à travailler de soir ou de week-end. Ces horaires deviennent sources de maux de tête pour les parents, en particulier les mères, puisque la gestion de la garde des enfants leur revient la plupart du temps. Dans un marché du travail qui se précarise, notamment pour les femmes et les personnes peu scolarisées, trouver un emploi de jour et de semaine relève de l’impossible :

« Il n’y a personne qui veut engager quelqu’un de 8 à 5, les jours de semaine. […] J’étais pas capable de me trouver un horaire parfait pour gérer ma vie de pratiquement mère monoparentale. » (Nathalie, travailleuse autonome et mère de deux enfants)

Prévoir le coup : c’est la stratégie de certaines femmes qui ont changé d’emploi avant d’avoir des enfants. D’autres ont choisi de se réorienter pendant leur congé de maternité. Dans plusieurs familles, le travail du père est vu comme intouchable et celui de la mère, malléable. C’est donc elles qui changent leur emploi et leurs horaires, si elles ne se mettent pas carrément à l’arrêt. Le manque de revenus alourdit cette pression de concilier famille et travail.

Emploi fragile, politique inutile ?

Une politique familiale axée sur les conditions de travail aide-t-elle vraiment toutes les familles ? Pas vraiment. Pourtant, avec leurs horaires et leurs revenus, les parents aux faibles revenus sont les plus à risque de vivre les soubresauts du marché de l’emploi et donc, de vivre encore plus de précarité financière. Par exemple, pendant la pandémie de la COVID-19, les emplois à temps partiel, non syndiqués ainsi que les emplois occupés en majorité par des femmes sont ceux qui ont le plus écopé des fermetures du premier confinement. Ne faudrait-il pas sécuriser et soutenir d’autant plus les parents dans ces situations ?